DIRECTOIRE (26.10.1795 au 9.11.1799)


Le 22 août 1795 (5 fructidor an III), la Convention adopte une nouvelle constitution, acceptée ensuite par référendum. Longue et précise, elle est fondée sur la séparation des pouvoirs et vise à conforter la République tout en évitant un retour de la Terreur. Le corps législatif est divisé en deux assemblées : le conseil des Cinq-Cents et le conseil des Anciens).

La Constitution de l'an III est la première constitution républicaine effectivement appliquée en France. En réaction contre les excès des années précédentes, la République est modérée et libérale. L'échec du Directoire s'explique en partie par les défauts de la Constitution, notamment une excessive séparation des pouvoirs, sans processus de résolution des conflits. Sur le plan politique, les révolutionnaires modérés, qui ont mis en place le nouveau régime, ne disposent pas d'une majorité suffisante, face aux Jacobins et aux monarchistes. Pour éviter d'être mis en minorité, ils décident de ne pas respecter le résultat des élections. Enfin, le régime est également confronté à une grave crise économique ; le pays est frappé par une crise des récoltes, la spéculation et la faillite financière : l'assignat est abandonné en 1796, mais le papier monnaie qui le remplace s'effondre à son tour. En 1797, c'est la « banqueroute des deux tiers ».

De l’extrême séparation des pouvoirs.

La Déclaration des droits, qui précède la Constitution, énonce un certain nombre de principes moraux voire réactionnaires (art. 5 : "Nul n’est homme de bien, s’il n’est franchement et religieusement observateur des lois"). La proclamation de la seule égalité devant la loi l’emporte sur la recherche de l’égalité politique.

Le Directoire, organe exécutif collégial, est composé de cinq membres, nommés pour cinq ans et choisis par le Conseil des Anciens sur une liste de dix noms présentés par le Conseil des Cinq-Cents. L’égalité entre eux est garantie de manière rigoureuse afin d’éviter la dictature d’un des Directeurs. Le pouvoir exécutif appartient aux Directeurs, qui disposent d’attributions importantes, tandis que les ministres ne sont que de simples agents d’exécution, sans pouvoir politique. Les directeurs ne peuvent assister aux réunions des deux conseils. Ils ne peuvent ni les convoquer, ni les ajourner, ni les dissoudre. Les Conseils, quant à eux, ne peuvent interpeller les directeurs, ni les révoquer.

Les Cinq-Cents proposent, les Anciens disposent

Le pouvoir législatif est partagé entre les deux Assemblées. Le Conseil des Cinq-Cents (500 membres) des Anciens (250 membres) a l'initiative des lois que le Conseil des Anciens (250 membres) approuve ou rejette sans les modifier. Une longue tradition de répartition des rôles commence : pour Boissy d'Anglas, "les Cinq-Cents seront l'imagination de la République, les Anciens (...) la raison." Si l’âge de 30 ans suffit pour appartenir aux Cinq-Cents, les Anciens doivent avoir 40 ans et être mariés ou veufs (ces conditions étant un gage de sagesse et de raison). Les membres de ces assemblées sont élus pour trois ans, renouvelables par tiers tous les ans : ce renouvellement partiel, une première en France, est destiné à assurer une continuité politique et à éviter des changements de majorité trop brutaux.

Les membres du corps législatif ne peuvent exercer une autre fonction publique ; ils ne sont pas rééligibles après deux mandats, sauf à respecter un intervalle de deux ans. Les deux Chambres sont élues par des assemblées électorales.

Le suffrage universel est supprimé au profit d’un suffrage censitaire réservé aux contribuables, et l’élection à deux degrés est rétablie. Les citoyens de chaque canton constituent une "assemblée primaire" qui choisit un électeur pour deux cents habitants. Ces électeurs à leur tour forment "l'assemblée électorale" du département, chargée de désigner les parlementaires. La Constitution de l’an III refuse la démocratie semi-directe s’appuyant sur le référendum législatif : seul le référendum constituant est prévu.

La première chambre haute de l'histoire française, lointain ancêtre du Sénat moderne, s'appelle le Conseil des Anciens. L'idée de ce système à deux chambres, que refusaient les premiers révolutionnaires français, vient de Grande-Bretagne, où Chambre des Lords et Chambre des Communes exercent depuis longtemps un certain contrôle sur l'action politique du roi et de son premier ministre.

Pour les auteurs de la Constitution, obsédés par les souvenirs de Robespierre et de sa sanglante tyrannie, créer cette seconde chambre, c'est faire barrage à la dictature d'une assemblée unique. "Je m'arrêterai peu de temps à retracer les dangers inséparables de l'existence d'une seule assemblée, j'ai pour moi votre propre histoire et le sentiment de vos consciences", déclare devant la Convention Boissy d'Anglas, son rapporteur. Il faut, ajoute-t-il, "opposer une digue puissante à l'impétuosité du corps législatif, cette digue, c'est la division des deux Assemblées."

Autre élément du dispositif : l'article 68, qui crée un "rayon constitutionnel", véritable "périmètre de sécurité" destiné à protéger les parlementaires des pressions de l'exécutif. Il y est indiqué que "le Directoire exécutif ne peut faire passer ou séjourner aucun corps de troupes dans la distance de six myriamètres (60 kilomètres) de la commune où le Corps législatif tient ses séances, si ce n'est sur sa réquisition ou avec son autorisation."

Une situation politico-institutionnelle paralysée

Les Thermidoriens veulent se protéger à la fois contre un éventuel retour de la monarchie et contre une riposte de "l'extrême-gauche" jacobine. Un décret, dit "des deux tiers", prévoit donc que, dans les nouvelles Assemblées, cinq cents membres sur sept cent cinquante seraient obligatoirement pris parmi les conventionnels sortants. Cette recherche de l’équilibre conduit néanmoins à la paralysie, la Constitution de l’an III consacrant en effet des pouvoirs nouveaux qui sont étroitement séparés.

Nulle trace de régime parlementaire : les Directeurs ne sont pas révocables par les Assemblées, et il n’existe ni interpellation ni question. La volonté de séparation des pouvoirs est poussée jusqu'à l’extrême : les Directeurs n’ont ni initiative des lois, ni droit de veto et ils ne collaborent pas à l’édiction de la loi, qui est l’œuvre du seul Corps législatif. Pour les rédacteurs de la Constitution, il faut éviter la dictature de l’exécutif. En sens inverse, le Corps législatif n’a aucun moyen d’action sur le Directoire et ne peut le renverser : il faut alors prémunir le régime contre la dictature de l’assemblée.

La difficulté est qu’aucun mécanisme institutionnel n’est prévu pour résoudre les conflits. La révision de la Constitution elle-même étant enfermée dans des conditions impossibles à réaliser, seul un coup d’État pourrait permettre de modifier le régime, et d’ailleurs, plusieurs tentatives se succéderont.

Menaces sur les Chambres

Les Directeurs ne parviennent à se maintenir, contre des Chambres dont la majorité leur est hostile, que par coups d'Etat successifs. Les élections favorisent en effet tantôt les Jacobins d'extrême-gauche, tantôt les partisans d'une restauration monarchique. Ces derniers ne sont pas loin de triompher aux élections de l'an IV (1797) pour le renouvellement du tiers des Conseils. Les électeurs ayant désigné de nombreux "modérés" royalistes, les élus monarchistes font accéder l'un des leurs, Barbé-Marbois, à la présidence du Conseil des Anciens.

Mais trois des Directeurs, Barras, La Revellière-Lepeaux et Rewbell, organisent la riposte, avec le soutien de l'armée et au nom de la légitimité républicaine. Le 18 fructidor an IV (4 septembre 1797), violant les limites du "rayon constitutionnel", les douze mille hommes du général Augereau (envoyé par Bonaparte, alors en campagne en Italie, à la rescousse des Directeurs) et leurs quarante canons cernent les Conseils. Les deux Chambres, terrorisées, votent la déportation en Guyane des deux Directeurs qui n'ont pas pris part au coup de force, de quarante-deux députés des Cinq-Cents et de onze députés des Anciens. Le Directoire a gagné, au prix de sa crédibilité.

Celle qui finit par emporter le régime du Directoire, et aussi la République, est le coup de force politico-militaire de Napoléon Bonaparte, appuyé par Sieyès, alors Directeur, le 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799).

Les Chambres vaincues par la force

De nombreux hommes politiques souhaitent finalement mettre un terme aux désordres de toute nature qui affectent le pays. A cette fin, ils veulent renforcer le pouvoir exécutif et rendre les élections moins fréquentes. Les directeurs Sieyès et Roger Ducos prétextent un coup d'État jacobin pour transférer le siège du corps législatif à Saint-Cloud, le 18 brumaire, sous la protection du général Bonaparte, revenu de la campagne d'Égypte. Le Directoire s'effondre et le lendemain, sous la pression militaire, les conseils adoptent une loi instaurant un Consulat provisoire.

Les parlementaires vont cependant opposer une résistance inattendue au complot. Le 19, aux Cinq-Cents, les Jacobins exigent qu'il soit procédé, par appel nominal, à un serment de fidélité à la Constitution. Lucien, l'un des frères de Napoléon Bonaparte, qui préside les Cinq-Cents, doit s'y résoudre. Le plan des conjurés semble compromis. Aux Anciens, les députés s'inquiètent, protestent, exigent des explications du Directoire. Bonaparte, nerveux, décide d'intervenir et de s'adresser à eux. Son discours brutal est mal accueilli. Il ne réussit pas mieux devant les Cinq-Cents.

Lucien Bonaparte fait courir dans les troupes le bruit que l'on a tenté d'assassiner son frère. La garnison de Paris s'indigne, les grenadiers des Conseils, dont beaucoup sont des vétérans d'Italie, sont ébranlés. Murat prend alors la tête d'une colonne pour aller chasser de l'Orangerie les Cinq-Cents. Le coup d'Etat est consommé et les Anciens vont voter le remplacement du Directoire par un exécutif de trois "consuls", Bonaparte, Sieyès et Roger Ducos, l'ajournement des Conseils jusqu'au 1er ventôse et la création d'une commission législative. Le 20, à 3 heures du matin, tout le monde regagne Paris.

Sources :
Les régimes politiques de la Révolution française à 1958 | vie-publique.fr
Histoire de l'Assemblée nationale - Histoire - Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)
L’Histoire du Sénat | Sénat (senat.fr)
Droit constitutionnel et institutions politiques de Jean GICQUEL et Jean-Eric GICQUEL (LGDJ-Précis DOMAT)
Droit constitutionnel et institutions politiques de Philippe ARDANT et Bertrand MATHIEU (LGDJ-Manuels Droit Public)
Droit constitutionnel de Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN (SIREY)

PRECEDENT :
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