Directoire (23.9.1795 au 9.11.1799)

L'échec de la République directoriale (1794-1799)


Le 22 août 1795 (5 fructidor an III), la Convention adopte une nouvelle constitution, acceptée ensuite par référendum. Longue et précise, elle est fondée sur la séparation des pouvoirs et vise à conforter la République tout en évitant un retour de la Terreur. Le corps législatif est divisé en deux assemblées : le conseil des Cinq-Cents et le conseil des Anciens (250 membres). Les deux conseils sont élus pour trois ans et renouvelables par tiers tous les ans. Ce dispositif vise à assurer une certaine continuité et à éviter de trop brusques changements de majorité. Les membres du corps législatif ne peuvent exercer une autre fonction publique ; ils ne sont pas rééligibles après deux mandats, sauf à respecter un intervalle de deux ans. Les membres du conseil des Cinq-Cents sont plus jeunes (30 ans au minimum) ; ils sont, selon Boissy d'Anglas, « l'imagination de la République », les Anciens en étant « la raison » ; ces derniers doivent être âgés d'au moins quarante ans et mariés ou veufs . Le conseil des Cinq-Cents a l'initiative des lois ; le Conseil des Anciens accepte ou rejette en bloc ses projets.

Le pouvoir exécutif est confié à un collège de cinq directeurs désignés par le corps législatif et formant ensemble le Directoire. Chaque directeur est élu par le conseil des Anciens sur une liste de dix noms présentés par les Cinq-Cents. Les directeurs sont assistés de ministres qui assurent le fonctionnement de l'administration. Les directeurs ne peuvent assister aux réunions des deux conseils. Ils ne peuvent ni les convoquer, ni les ajourner, ni les dissoudre. Les Conseils, quant à eux, ne peuvent interpeller les directeurs, ni les révoquer.

Chaque renouvellement partiel d'un tiers des conseils provoque un conflit avec le Directoire, à chaque fois résolu par la force. En 1797, avec l'aide des troupes du général Augereau, l'un des fidèles de Bonaparte, le Directoire contraint les conseils à annuler les élections de 49 départements où des royalistes sont élus. En 1798, le Directoire fait annuler l'élection de 150 Jacobins. En 1799, les conseils éliminent trois directeurs.

La Constitution de l'an III est la première constitution républicaine effectivement appliquée en France. En réaction contre les excès des années précédentes, la République est modérée et libérale. L'échec du Directoire s'explique en partie par les défauts de la Constitution, notamment une excessive séparation des pouvoirs, sans processus de résolution des conflits. Sur le plan politique, les révolutionnaires modérés, qui ont mis en place le nouveau régime, ne disposent pas d'une majorité suffisante, face aux Jacobins et aux monarchistes. Pour éviter d'être mis en minorité, ils décident de ne pas respecter le résultat des élections. Enfin, le régime est également confronté à une grave crise économique ; le pays est frappé par une crise des récoltes, la spéculation et la faillite financière : l'assignat est abandonné en 1796, mais le papier monnaie qui le remplace s'effondre à son tour. En 1797, c'est la « banqueroute des deux tiers ».

De nombreux hommes politiques souhaitent finalement mettre un terme aux désordres de toute nature qui affectent le pays. A cette fin, ils veulent renforcer le pouvoir exécutif et rendre les élections moins fréquentes. Les directeurs Sieyès et Roger Ducos prétextent un coup d'État jacobin pour transférer le siège du corps législatif à Saint-Cloud, le 18 brumaire, sous la protection du général Bonaparte, revenu de la campagne d'Égypte. Le Directoire s'effondre et le lendemain, sous la pression militaire, les conseils adoptent une loi instaurant un Consulat provisoire.

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Le Conseil des Anciens (1795-1799)

Pour protéger la Constitution, deux Chambres

La première chambre haute de l'histoire française, lointain ancêtre du Sénat moderne, s'appelle le Conseil des Anciens. L'idée de ce système à deux chambres, que refusaient les premiers révolutionnaires français, vient de Grande-Bretagne, où Chambre des Lords et Chambre des Communes exercent depuis longtemps un certain contrôle sur l'action politique du roi et de son premier ministre.

Ce Conseil des Anciens est établi par la Constitution de l'an III, votée le 5 fructidor an III (22 août 1795) par les Thermidoriens de la Convention. Pour les auteurs de la Constitution, obsédés par les souvenirs de Robespierre et de sa sanglante tyrannie, créer cette seconde chambre, c'est faire barrage à la dictature d'une assemblée unique. "Je m'arrêterai peu de temps à retracer les dangers inséparables de l'existence d'une seule assemblée, j'ai pour moi votre propre histoire et le sentiment de vos consciences", déclare devant la Convention Boissy d'Anglas, son rapporteur. Il faut, ajoute-t-il, "opposer une digue puissante à l'impétuosité du corps législatif, cette digue, c'est la division des deux Assemblées."

Autre élément du dispositif : l'article 68, qui crée un "rayon constitutionnel", véritable "périmètre de sécurité" destiné à protéger les parlementaires des pressions de l'exécutif. Il y est indiqué que "le Directoire exécutif ne peut faire passer ou séjourner aucun corps de troupes dans la distance de six myriamètres (60 kilomètres) de la commune où le Corps législatif tient ses séances,
si ce n'est sur sa réquisition ou avec son autorisation."

Les Cinq-Cents proposent, les Anciens disposent

Le pouvoir législatif est partagé entre les deux Assemblées. Le Conseil des Cinq-Cents a l'initiative des lois que le Conseil des Anciens approuve ou rejette sans les modifier. Une longue tradition de répartition des rôles commence : pour Boissy d'Anglas, "les Cinq-Cents seront l'imagination de la République, les Anciens (...) la raison."

Renouvelées par tiers tous les ans, les deux Chambres ne sont pas élues directement par tous les Français, mais par des assemblées électorales. Les citoyens de chaque canton constituent une "assemblée primaire" qui choisit un électeur pour deux cents habitants. Ces électeurs à leur tour forment "l'assemblée électorale" du département, chargée de désigner les parlementaires.

En 1795, ces "grands électeurs" sont environ trente mille pour toute la France. Le Conseil des Anciens compte deux cent cinquante membres, âgés d'au moins quarante ans, mariés ou veufs. On ne les appelle pas encore sénateurs, mais députés au Conseil des Anciens.

Ils perçoivent une indemnité calculée non sur la valeur, trop fluctuante, de l'assignat, mais sur celle de trois mille myriagrammes (trente tonnes) de froment. Ils portent un uniforme. Quant au pouvoir exécutif, il est partagé entre cinq Directeurs (d'où le nom de Directoire donné au régime), élus par le Parlement suivant un système qui confère, là aussi, la proposition aux Cinq-Cents et la décision aux Anciens.

Menaces sur les Chambres

Les Thermidoriens veulent se protéger à la fois contre un éventuel retour de la monarchie et contre une riposte de "l'extrême-gauche" jacobine. Un décret, dit "des deux tiers", prévoit donc que, dans les nouvelles Assemblées, cinq cents membres sur sept cent cinquante seraient obligatoirement pris parmi les conventionnels sortants. Cette précaution se révèle inefficace contre l'impopularité croissante du régime.

Les Directeurs ne parviennent à se maintenir, contre des Chambres dont la majorité leur est hostile, que par coups d'Etat successifs. Les élections favorisent en effet tantôt les Jacobins d'extrême-gauche, tantôt les partisans d'une restauration monarchique. Ces derniers ne sont pas loin de triompher aux élections de l'an IV (1797) pour le renouvellement du tiers des Conseils. Les électeurs ayant désigné de nombreux "modérés" royalistes, les élus monarchistes font accéder l'un des leurs, Barbé-Marbois, à la présidence du Conseil des Anciens.

Mais trois des Directeurs, Barras, La Revellière-Lepeaux et Rewbell, organisent la riposte, avec le soutien de l'armée et au nom de la légitimité républicaine. Le 18 fructidor an IV (4 septembre 1797), violant les limites du "rayon constitutionnel", les douze mille hommes du général Augereau (envoyé par Bonaparte, alors en campagne en Italie, à la rescousse des Directeurs) et leurs quarante canons cernent les Conseils. Les deux Chambres, terrorisées, votent la déportation en Guyane des deux Directeurs qui n'ont pas pris part au coup de force, de quarante-deux députés des Cinq-Cents et de onze députés des Anciens. Le Directoire a gagné, au prix de sa crédibilité.

Le 18 brumaire ou les Chambres vaincues par la force

Ultime coup de force du Directoire, le 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799) allait porter au pouvoir un jeune général auréolé de gloire militaire, Bonaparte. Pour avoir le champ libre à Paris, la conspiration doit éloigner les Chambres de la capitale. Or, selon la Constitution, seuls les Anciens peuvent autoriser le transfert des Assemblées hors de Paris. Les amis de Bonaparte répandent alors la rumeur d'un complot "anarchiste". Convaincus qu'il y a danger, les Anciens autorisent le départ des Chambres pour le château de Saint-Cloud.

Les parlementaires vont cependant opposer une résistance inattendue au complot. Le 19, aux Cinq-Cents, les Jacobins exigent qu'il soit procédé, par appel nominal, à un serment de fidélité à la Constitution. Lucien, l'un des frères de Napoléon Bonaparte, qui préside les Cinq-Cents, doit s'y résoudre. Le plan des conjurés semble compromis. Aux Anciens, les députés s'inquiètent, protestent, exigent des explications du Directoire. Bonaparte, nerveux, décide d'intervenir et de s'adresser à eux. Son discours brutal est mal accueilli. Il ne réussit pas mieux devant les Cinq-Cents. C'est finalement par la force que les "putschistes" viendront à bout de la résistance des Chambres.

Lucien Bonaparte fait courir dans les troupes le bruit que l'on a tenté d'assassiner son frère. La garnison de Paris s'indigne, les grenadiers des Conseils, dont beaucoup sont des vétérans d'Italie, sont ébranlés. Murat prend alors la tête d'une colonne pour aller chasser de l'Orangerie les Cinq-Cents. Le coup d'Etat est consommé et les Anciens vont voter le remplacement du Directoire par un exécutif de trois "consuls", Bonaparte, Sieyès et Roger Ducos, l'ajournement des Conseils jusqu'au 1er ventôse et la création d'une commission législative. Le 20, à 3 heures du matin, tout le monde regagne Paris.

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DIRECTOIRE (23.9.1795 au 9.11.1799)

Le Directoire a duré à peine plus de quatre ans (26 octobre 1795 – 10 novembre 1799) : brève période dans la vie d'un homme, dans celle d'un peuple. Entre la Convention et l'époque napoléonienne, le Directoire est souvent présenté comme une transition : liquidation des espoirs révolutionnaires, préparation du pouvoir personnel. Il faut se garder pourtant de l'illusion historique qui juge une époque par rapport à un avenir, aujourd'hui connu, mais dont elle ne savait rien : il faut considérer le Directoire en lui-même, c'est dans la perspective de la fin de 1795 que l'on doit se placer pour essayer de comprendre la France et les Français face à leur avenir immédiat. De ce point de vue, le régime qui s'instaure est essentiellement une tentative pour stabiliser et consolider la situation du moment, pour remettre un peu d'ordre, et un ordre durable, après six ans et demi de révolution. C'était, à vrai dire, la seconde tentative de ce genre. Mais la première – la Constitution de 1791 – s'était soldée rapidement par un échec. Après la révolution du 10 août 1792, il avait fallu en venir à un régime d'exception, nécessité par la guerre, extérieure et intérieure. Mais, en 1795, après la pacification de l'Ouest, après la dislocation de la coalition ennemie, le moment paraît venu de revenir à un régime normal, défini par un ensemble de lois votées par la Convention finissante (la Constitution de l'an III et les décrets annexes). Par réaction contre les trois années précédentes, pour écarter les contraintes subies, on essaye d'organiser une république modérée et libérale, avec le souci de la rendre acceptable pour tous les Français.

Situation territoriale et démographique

La France de 1795 est plus grande que celle de 1789. Aux acquisitions qui datent déjà de quelques années (Avignon, la Savoie, Nice, les anciennes enclaves allemandes, l'évêché de Bâle devenu département du Mont-Terrible) viennent de s'ajouter les ex-Pays-Bas autrichiens, occupés depuis 1794 et incorporés à la République française par la loi du 1er octobre 1795 : quelque 580 000 km2 dans les « limites constitutionnelles ». Le territoire national est libre de toute présence étrangère, à l'exception de la Corse que les Anglais n'évacueront qu'en 1796. Bien plus, les troupes françaises occupent, outre quelques hautes vallées piémontaises, la majeure partie de la rive gauche du Rhin, dont certains dirigeants envisagent l'annexion, lorsqu'une paix victorieuse aura été signée avec l'Autriche et l'Empire : agrandissements qui accroissent sensiblement la part des populations non francophones.

La République compte environ 32 millions d'habitants, dont 28 millions sur le territoire de l'ancien royaume. C'est dire que le bilan démographique des six dernières années, malgré l'émigration, malgré la guerre et la Terreur, malgré le « creux » de 1795, est positif, avec des taux, pour 1 000, de 34,5 (natalité), 32 (mortalité), 10 (nuptialité). La population est donc nombreuse, et jeune : 11,5 millions de Français ont moins de dix-neuf ans, 14 millions ont entre vingt et soixante-quatre ans. Enfin, elle est en grande majorité rurale, dense surtout au nord de la Loire : le chiffre de la population urbaine n'est guère que de 5 millions d'habitants, répartis dans trois grandes agglomérations de plus de 100 000 âmes (Paris 640 000), dans quelques centres d'importance moyenne (Toulouse 60 000, Strasbourg 50 000) et dans de nombreuses petites villes.

Michel EUDE : DIRECTOIRE - Encyclopædia Universalis

Le Directoire - Forger la République

de Loris Chavanette (Sous la direction de), Alan Forrest (Préface)

" La recherche de l'ordre et d'une issue aux violences et épurations successives, auxquelles la République semblait condamnée, était devenue en 1795 le rêve de toute une génération avide de rétablir la stabilité institutionnelle et la paix sociale. [...] Cette recherche de sécurité, véritable quête de sûreté, n'impliquait pas qu'on doive renoncer à sa foi républicaine. Loin de là. [...] Ce que cherchaient les hommes de l'an III, c'est le Saint Graal de tout révolutionnaire, au milieu de l'incertitude créée par une révolution : comment faire une république sans révolution ? "
C'est par ces mots qu'Alan Forrest introduit ce livre regroupant une équipe internationale d'historiens et d'historiennes. Comment sortir de la guerre civile sans renoncer à la République ? Restaurer au quotidien les contre-pouvoirs tout en luttant contre les royalistes d'une part et les Égaux rassemblés autour de Gracchus Babeuf, de l'autre ? Le thème de l'autorité républicaine confrontée au défi de la recherche de l'ordre est au centre de ce livre. Le présent ouvrage met en lumière la difficulté à instaurer un gouvernement légitime en mettant un terme à la Révolution française. Les plumes ici réunies esquissent de précieux portraits des hommes du Directoire (dont Sieyès, Carnot, Babeuf), dessinent un tableau saisissant des institutions de l'an III, et tentent de dresser le bilan de cette époque charnière, non seulement en France mais aussi au-delà des frontières.
Ressortent les idéaux, pensées, doutes, contradictions également, d'un régime fragile empêtré dans une profonde crise de confiance, mais bien disposé à forger la République.

Éditeur ‏ : ‎ Cnrs (27 août 2020)
Langue ‏ : ‎ Français
Broché ‏ : ‎ 300 pages
ISBN-10 ‏ : ‎ 2271124255
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2271124258
Poids de l'article ‏ : ‎ 480 g
Dimensions ‏ : ‎ 15 x 2.6 x 23 cm