SECOND EMPIRE (2.12.1852 au 4.9.1870)


Après le coup d'État du 2 décembre 1851, réalisé durant la nuit du 1er au 2 décembre en souvenir de la victoire d’Austerlitz, Louis-Napoléon Bonaparte édicte six décrets proclamant la dissolution de l’Assemblée nationale, le rétablissement du suffrage universel masculin, la convocation du peuple français à des élections et la préparation d’une nouvelle constitution pour succéder à celle de 1848. Le pouvoir constituant est délégué, par un plébiscite du 20 décembre 1851, à une commission qui rédige la Constitution du 14 janvier 1852 : on ne dénombre pas moins de 7.439 000 " oui ", contre seulement 647.000 " non ".

Ce nouveau texte constitutionnel se caractérise par la volonté d’imiter les institutions du régime de l’an VIII. Bien que le suffrage universel soit la source apparente du pouvoir, notamment de celui du Président, la Constitution met en place toutes les caractéristiques d’un régime autoritaire ou césariste. Dans sa proclamation au peuple français du 14 janvier 1852, Louis-Napoléon Bonaparte revendique haut et fort cet héritage : "J'ai pris comme modèle les institutions qui, au lieu de disparaître au premier souffle des agitations populaires, n'ont été renversées que par l'Europe entière coalisée contre nous. En un mot, je me suis dit : puisque la France ne marche depuis cinquante ans qu'en vertu de l'organisation administrative, militaire, judiciaire, religieuse, financière, du Consulat et de l'Empire, pourquoi n'adopterions-nous pas aussi les institutions politiques de cette époque ?"

Comme le Premier consul en l’an VIII, le chef de l’État – qui est encore président de la République en 1852 – est le centre du pouvoir, les autres organes se contentant de graviter autour de lui. Un mandat de dix ans lui est confié, et il n’est responsable que devant le peuple ; les ministres ne sont responsables que devant lui, fermant la porte à un régime de type parlementaire. Trois assemblées sont créées, dont une seule élue, le Corps législatif.

Louis-Napoléon Bonaparte s'inspire des institutions consulaires :
  • Le Conseil d’État composé de membres nommés et révocables par le président de la République ;
  • Le Sénat, assurant la fonction de gardien de la Constitution et des libertés publiques, dont les membres, inamovibles, sont les cardinaux, les maréchaux, les amiraux et des citoyens qu’il juge convenable d'élever à cette dignité ;
  • Le Corps législatif, seul organe élu au suffrage universel (pour six ans), discute et vote la loi, mais ne dispose pas du pouvoir d’initiative des lois qui appartient au président de la République.

Il réintroduit dans les institutions du pays une seconde chambre conservatrice, à nouveau baptisée Sénat et composée "des éléments qui, dans tout pays, créent les influences légitimes : le nom illustre, la fortune, le talent, les services rendus". Il s'explique longuement sur ses attributions. "Le Sénat n'est plus, comme la Chambre des Pairs, le pâle reflet de la Chambre des députés, répétant, à quelques jours d'intervalle, les mêmes discussions sur un autre ton. Il est le dépositaire du pacte fondamental et des libertés compatibles avec la Constitution. (...) Le Sénat ne sera pas, comme la Chambre des Pairs, transformé en cour de justice. (...) Le Sénat peut, de concert avec le gouvernement, modifier tout ce qui n'est pas fondamental dans la Constitution ; mais quant aux modifications à apporter aux bases premières, sanctionnées par vos suffrages, elles ne peuvent devenir définitives qu'après avoir reçu votre ratification."

Les premières élections législatives se déroulent en février 1852 et sont favorables au nouveau pouvoir. Le rétablissement de la censure est immédiat. Au-delà de ces institutions taillées sur mesure, le sénatus-consulte du 7 novembre 1852 propose d’approuver par plébiscite populaire le rétablissement de la dignité impériale et héréditaire. L'Empire est proclamé le 2 décembre 1852. Napoléon III se veut avant tout le garant de l'ordre et le défenseur de la propriété. En février 1853, l'Empereur déclare : " A ceux qui regrettent qu'une part plus large n'ait pas été faite à la liberté, je répondrai : la liberté n'a jamais aidé à fonder d'édifice durable, elle le couronne quand le temps l'a consolidé ".

Le Second Empire a profondément évolué entre son instauration et sa chute. Cette évolution très marquée d'un régime autoritaire vers un système plus libéral et plus démocratique découle des pressions exercées par l'opposition républicaine. Elle résulte également de l'évolution rapide du contexte international et des profonds changements nés de la révolution industrielle. Mais elle est aussi le fruit des initiatives personnelles de Napoléon III, autant que des contradictions de sa politique. Fondé sur un coup d'État et sans cesse réaffirmé par la voie plébiscitaire, le régime impérial présente un bilan contrasté, à bien des égards.

Si jusqu'en 1860 la vie politique est pratiquement inexistante, Napoléon III doit ensuite chercher de nouveaux appuis, libéraux et républicains, dans la société, car il a perdu le soutien des catholiques (par sa politique favorable à l’Italie mais hostile à l’Autriche) et celui des milieux d’affaires.

Le régime évolue alors progressivement par un renforcement des droits du Parlement :

  • restauration du vote de l’Adresse au discours du Trône (1860) ;
  • publication in extenso des débats parlementaires au Journal officiel et vote du budget par chapitres et sections (1861) ;
  • allongement de la durée des sessions (1866) ;
  • lois sur la liberté de la presse et sur la liberté de réunion (1868).
En 1869, après des élections qui permettent l’arrivée de 125 députés libéraux, un nouveau sénatus-consulte (8 septembre) introduit le partage de l’initiative des lois entre l’Empereur et le Corps législatif, les ministres peuvent être membres des assemblées… autant de conditions favorables à l’instauration d’un régime parlementaire.

Cette évolution s’achève par le sénatus-consulte du 20 avril 1870 : soumis au peuple, qui l’adopte à une très large majorité, ce texte consacre un régime de type parlementaire avec deux assemblées législatives, le Corps législatif et le Sénat, mais l’Empereur continue de nommer et révoquer des ministres qui "sont responsables", sans qu’il soit précisé devant quel organe.

Cependant, quelques mois plus tard, la défaite militaire de Sedan, le 2 septembre 1870, contraint Napoléon III, alors prisonnier, à l’abdication. C’est encore une guerre qui a accéléré le changement de régime constitutionnel.

Bilan législatif

Le Corps législatif, hostile au libre-échange, n'a pas été saisi du traité de commerce franco-britannique diminuant fortement ou supprimant les droits de douane ; un sénatus-consulte de décembre 1852 accordait à l'Empereur le droit de signer les traités de commerce. En revanche la législation modifie profondément le droit commercial et le droit des affaires.

La loi du 28 mai 1858 crée les magasins généraux et le warrant des marchandises.

Le chèque, défini comme un moyen de paiement par la loi du 14 juin 1865, apparaît en même temps que les banques de dépôt.

Faisant suite à la loi du 23 mai 1863 dispensant les petites et moyennes sociétés anonymes d'une autorisation administrative, la loi du 24 juillet 1867 relative aux sociétés par actions a supprimé l'autorisation préalable de fondation d'une société anonyme. Restée appliquée pendant près de cent ans, cette loi a permis l'essor des sociétés anonymes.

La législation sociale traduit le souci social personnel manifesté par Napoléon III. Ainsi la loi du 25 mai 1864 abrogeant la loi Le Chapelier autorise les grèves sans violence ni attentat à la liberté du travail. Elle est adoptée peu après la grâce accordée par l'Empereur aux typographes condamnés pour avoir protesté par la grève contre un recrutement massif de main d'oeuvre féminine payée en dessous du tarif.

La loi du 2 août 1868 atténue l'inégalité de la relation juridique entre patron et ouvrier en abrogeant l'article 1781 du code civil selon lequel « le maître est cru sur son affirmation pour la quotité des gages, pour le paiement des salaires échus et pour les acomptes donnés pour l'année courante ».

Dans le domaine de l'enseignement, la loi du 14 juin 1854 établit les grandes académies. Celle du 21 juin 1865 crée l'enseignement secondaire spécial sanctionné par un diplôme spécifique et non par le baccalauréat.

La loi du 10 avril 1867 permet aux communes de développer la gratuité de l'école primaire pour les pauvres et rend obligatoire l'ouverture d'une école de filles dans les communes de plus de 500 habitants.

La loi du 11 mai 1868 supprime l'autorisation préalable et les avertissements en matière de presse, au profit de la simple déclaration préalable.

Bilan institutionnel

Très largement inspirée de la Constitution de l'an VIII, la Constitution du 14 janvier 1852 accorde au Président le pouvoir de nommer seul les ministres, ainsi que les membres du Conseil d'État, chargés de rédiger les projets de loi, et les sénateurs, qui peuvent s'opposer à leur promulgation et modifier la Constitution par sénatus-consulte. Le Président a seul l'initiative des lois qui sont préparées par le Conseil d'État ; il peut refuser de promulguer une loi, même régulièrement votée. Le Conseil d'État est formé de fonctionnaires nommés par le Président de la République. Le Président nomme également à vie les sénateurs, chargés de vérifier la constitutionnalité des lois votées. Le Corps législatif, qui ne possède pas le droit d'initiative est certes composé de députés élus pour six ans au suffrage universel direct, par tous les Français âgés de plus de 21 ans. Mais le déroulement des élections, en particulier dans la première phase dictatoriale du régime (1852-1860), est encadré par le Gouvernement qui désigne et soutient ouvertement, au travers des préfets, des candidats officiels. Le Corps législatif est assimilé à une chambre d'enregistrement dont la publicité des comptes rendus des débats est interdite. Ne tenant session que pendant trois mois, son rôle se résume à voter les projets de loi préparés par le Conseil d'État, entièrement soumis au Président.

Ce régime est transformé en Second Empire par le sénatus-consulte du 7 novembre 1852 approuvé par plébiscite. Napoléon III espère ainsi, au-delà du coup d'État fondateur, tirer sa légitimité de la souveraineté populaire.

Le recours fréquent au plébiscite permet à l'Empereur d'établir un lien direct avec le peuple, par dessus les assemblées et sans tenir compte des objections formulées par l'opposition ou, parfois, par ses propres partisans. Il est également censé réaffirmer la légitimité populaire d'un régime fondé sur une illégalité.

A partir de 1860, la majorité qui soutenait l'Empire se désagrège peu à peu, sous le triple effet de l'unification italienne et de la guerre contre l'Autriche, de la libéralisation des échanges et des mesures prises de façon très progressive en faveur des classes populaires. Parallèlement, l'opposition républicaine se reconstitue.

De sa propre initiative, Napoléon III libéralise progressivement le régime. Le décret du 24 novembre 1860 accorde au Corps législatif le droit d'adopter une Adresse en réponse au discours de trône . Les débats font désormais l'objet d'un compte rendu sténographique intégral. Des ministres sans portefeuille sont chargés des rapports avec les assemblées et participent aux débats. En décembre 1861, il est décidé que le Corps législatif devra désormais donner son accord pour l'octroi de tout crédit budgétaire complémentaire ou exceptionnel. Le droit d'amendement est progressivement élargi. En 1867, le droit d'adresse des députés est transformé en droit d'interpellation. En 1868, l'autorisation préalable et le régime des avertissements pour la presse sont supprimés, le droit de réunion assoupli, notamment lorsqu'il s'agit de réunions électorales. Le sénatus-consulte du 8 septembre 1869 prévoit que le Corps législatif partage avec l'Empereur l'initiative des lois et qu'il vote le budget par chapitre. Puis, le sénatus-consulte du 28 avril 1870, approuvé par un plébiscite du 8 mai 1870 (par 7 350 000 oui, contre 1 500 000 non), instaure la responsabilité des ministres devant le Corps législatif. Pour autant, on ne peut parler de régime parlementaire, l'empereur conservant de très larges prérogatives.

Le régime fondé par le coup d'État de 1851 est fondamentalement anti-démocratique. Cependant, à certains égards, le régime parlementaire qui s'établira sous la IIIe République trouve quelques-unes de ses origines dans la seconde phase libérale du Second Empire, au fil de l'affirmation progressive de ses droits et de ses prérogatives par le Corps législatif. Parallèlement, l'exercice du suffrage universel direct par l'ensemble des Français s'affirme progressivement.

Cependant, Napoléon III ne parvient pas à empêcher la montée de l'opposition républicaine qui se renforce à chaque élection du Corps législatif. Les républicains y engagent des débats de plus en plus vifs autour de la nature du régime, contre l'Empire et pour le rétablissement de la République. En 1869, les candidats du Gouvernement obtiennent 4,5 millions de voix, contre 5,3 millions en 1863 ; ceux de l'opposition en recueillent 3 millions, au lieu d'un peu moins de 2 millions (665 000 voix en 1857) [Elections législatives de mai-juin 1869]

En dépit des résultats favorables du plébiscite du 8 mai 1870, la rapidité de la chute du régime, après la défaite de Sedan, a montré la faiblesse de son enracinement et de ses soutiens.

Sources :
Les régimes politiques de la Révolution française à 1958 | vie-publique.fr
Histoire de l'Assemblée nationale - Histoire - Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)
L’Histoire du Sénat | Sénat (senat.fr)
Droit constitutionnel et institutions politiques de Jean GICQUEL et Jean-Eric GICQUEL (LGDJ-Précis DOMAT)
Droit constitutionnel et institutions politiques de Philippe ARDANT et Bertrand MATHIEU (LGDJ-Manuels Droit Public)
Droit constitutionnel de Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN (SIREY)



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