TROISIEME REPUBLIQUE (4.9.1870 au 28.6.1940)


Les débuts difficiles de la IIIe République (1870-1877), dans une période marquée par l’affrontement entre républicains et monarchistes, dessinent les traits principaux du régime, et au-delà, ceux de ses successeurs. Témoin de l’incertitude dans laquelle elle a été élaborée, la "Constitution de 1875" se compose, en réalité, de trois lois constitutionnelles, marquées par les faiblesses d’un texte bref et technique. Après la crise de 1877, l’application coutumière des textes fut très différente de la lettre constitutionnelle, conduisant ainsi à distinguer deux lectures des institutions, sans qu’aucune révision formelle ait été opérée.

Marquée par ses origines complexes, la IIIe République a connu une fin dramatique, liée à la Seconde Guerre mondiale. Elle n’en demeure pas moins, jusqu'à aujourd'hui, le régime ayant connu la plus grande longévité dans l'histoire constitutionnelle, et celui par lequel la République s’installe définitivement.

Des origines ambiguës

Deux jours après Sedan, le 4 septembre 1870, un gouvernement provisoire, constitué autour de députés parisiens (notamment Jules Favre, Jules Ferry, Léon Gambetta et Jules Simon), présidé par le général Trochu, proclame la République au balcon de l’Hôtel de Ville de Paris. Ce gouvernement "de défense nationale" autoproclamé, voulant continuer la guerre avec la Prusse, ne peut cependant ni signer la paix avec l’ennemi, ni donner une nouvelle Constitution, faute de légitimité.

Le 28 janvier 1871, le gouvernement provisoire est contraint de signer avec l'Allemagne un armistice de 21 jours. La convention d'armistice précise qu'une Assemblée nationale élue décidera de la conclusion de la paix ou de la reprise des hostilités. Les élections ont lieu le 8 février 1871, au scrutin de liste départemental majoritaire, conformément à la loi de 1849. L'Assemblée nationale, à majorité conservatrice, comprend 400 monarchistes - favorables à la paix -, 250 républicains modérés et radicaux - favorables à la guerre -, 80 « centristes », 15 bonapartistes ; 225 nobles sont élus députés.

En attendant l’adoption d’une future constitution, cette Assemblée monarchiste, réunie à Versailles, nomme le 17 février Adolphe Thiers, républicain modéré, "chef de l’exécutif de la République française", et le charge de gouverner sous son autorité, avec des ministres choisis et dirigés par lui, mais sur la base d’une "résolution" de l’Assemblée. 

Le 1er mars 1871, l'Assemblée approuve les préliminaires de paix reconnaissant la capitulation de Paris ; ce qui provoque un sentiment d'humiliation dans la population parisienne ; à Paris 36 députés sur 43 sont républicains et hostiles à la paix : Gambetta et Victor Hugo démissionnent aussitôt. Adolphe Thiers, le 18 mars, entend faire récupérer les canons et fusils détenus à Paris par la Garde nationale parisienne. Le 20 mars l'Assemblée siège à Versailles. Le 26 mars ont lieu les élections des représentants des arrondissements de Paris et le 28 mars est proclamée la Commune de Paris. Une guerre civile de deux mois oppose l'armée de Versailles, siège du gouvernement, à l'armée de la Commune de Paris et s'achève à l'issue des batailles de rues de la Semaine sanglante (21-28 mai 1871).

Le 10 mai 1871 est signé le traité de Francfort : la France perd le nord de la Lorraine et presque toute l'Alsace -à l'exception de Belfort- et s'engage à verser 5 milliards de francs or ; elle reste occupée par les troupes allemandes jusqu'au 16 septembre 1873.

La période provisoire (1870-1875)

La première est la loi constitutionnelle ou Constitution Rivet du 31 août 1871, qui vise à réduire l’influence de Thiers sur l’Assemblée, malgré ou à cause de sa popularité : "Le chef de l’exécutif prendra le titre de président de la République", mais ses pouvoirs prendront fin en même temps que ceux de l’Assemblée, ce qui marque une évolution vers un régime de type parlementaire, avec un "gouvernement" responsable et un chef de l’État dont le rôle devait être moins direct. Rompant le pacte de Bordeaux, qui consistait à renvoyer à plus tard la question du régime, et qualifiant la République de « régime qui nous divise le moins », Thiers déclare fin 1872 à l'Assemblée : « La République existe, elle est le gouvernement légal du pays. »

La deuxième loi ou Constitution Tréveneuc du 15 février 1872 confie aux assemblées départementales, les conseil généraux, la mission d’assurer la permanence de l’Assemblée nationale dans les cas où celle-ci serait empêchée de se réunir en raison d’une crise politique grave. Elle n'a jamais été abrogée.

La troisième loi ou Constitution de Broglie du 13 mars 1873, destinée également à limiter l’influence de Thiers, met en place un système compliqué de communication entre le chef de l’exécutif et l’Assemblée (qualifié de "cérémonial chinois" par Thiers). Les droites s'unissent autour d'Albert de Broglie contre Thiers et le 24 mai 1873 une interpellation est adoptée par 360 voix contre 344. Thiers démissionne. La majorité royaliste le remplace par le Maréchal de Mac-Mahon, désigné par 390 voix sur 721 présents, compte tenu de l'abstention de toute la gauche ; il s'agit de préparer le rétablissement de la monarchie. Le Comte de Chambord, petit-fils de Charles X, qui aurait pu régner sous le nom d'Henri V, refuse dans une lettre publiée le 30 octobre 1873 dans le journal monarchiste l'Union d'être « le roi légitime de la Révolution » et s'obstine à proclamer son attachement au drapeau blanc au lieu du drapeau tricolore : « Je ne peux consentir à inaugurer un régime réparateur et fort par un acte de faiblesse...Je veux rester tout entier ce que je suis ».

Le 20 novembre 1873 est adoptée une quatrième loi, celle du septennat : en attendant que les partisans des deux branches royales se mettent d’accord sur l’accession au trône de l’un des deux héritiers, elle organise le provisoire, en prévoyant une présidence personnelle au profit de Mac-Mahon pour une durée de sept ans, délai jugé suffisant pour régler la question. C'est la République des ducs. Malgré des lois électorales d'inspiration conservatrice - la loi du 27 juillet 1872 supprime le droit de vote des militaires présumés républicains et la loi du 18 février 1873 modifie les conditions du scrutin - les républicains obtiennent de bons résultats lors des élections partielles. Mais l'élection dans la Nièvre d'un ancien écuyer de Napoléon III puis de cinq représentants du parti de Rouher fait craindre un retour en force des bonapartistes. Une conjonction momentanée des républicains et des monarchistes favorise la discussion des lois constitutionnelles à l'Assemblée nationale, plutôt qu'au sein d'une assemblée constituante dont  l'élection aurait un résultat incertain.

Le régime instauré par les lois constitutionnelles de 1875

La discussion de la première des trois lois constitutionnelles, relative à l'organisation des pouvoirs publics, commence le 6 janvier 1875. L’objectif initial des trois lois constitutionnelles de 1875 était la mise en place d’un régime parlementaire dualiste, ou orléaniste, pouvant fonctionner aussi bien dans le cadre d’une République que dans celui d’une monarchie modérée (le chef de l’État étant susceptible d’être un président de la République ou un roi). Le texte initial ne contient même pas le mot de République. Le 30 janvier 1875, l'amendement présenté par Henri Wallon est adopté par 353 voix contre 352 dispose : « Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés. »

Le pouvoir exécutif est bicéphale :

  • le président de la République, élu par les deux chambres réunies en Assemblée nationale à la majorité absolue, irresponsable, dispose de pouvoirs importants, mais ses actes doivent être contresignés par les ministres ;
  • ces derniers sont solidairement responsables devant les chambres de la politique générale du gouvernement, et individuellement de leurs actes personnels : la solidarité associée à la responsabilité est l’un des principes essentiels du régime parlementaire.
Le Parlement, appelé Assemblée Nationale, est bicaméral et composé de la Chambre des députés et du Sénat. La première est élue au suffrage universel masculin direct, pour quatre ans, au scrutin uninominal d’arrondissement. Le Sénat, quant à lui, est élu au suffrage universel indirect, pour neuf ans, renouvelable par tiers tous les trois ans : 225 membres du Sénat, 75 sénateurs étant désignés à vie par l'Assemblée nationale. Du fait de la composition de son collège électoral, comprenant surtout des élus locaux, le Sénat est, selon la formule de Gambetta, le "Grand conseil des communes françaises". Conçu pour faire contrepoids à une Chambre des députés élue au suffrage universel direct, le Sénat est élu par les députés, les conseillers généraux et les délégués des conseils municipaux (un par commune, quelle que soit sa population, soit quarante-deux mille électeurs pour toute la France). Ce mode d'élection doit en faire le représentant privilégié des petites communes rurales et, espèrent les conservateurs, un bastion de la tradition.

Pour la première fois, le nouveau Sénat dispose de pouvoirs identiques à ceux de la Chambre des députés. Ainsi le Sénat vote-t-il la loi, tant constitutionnelle qu’ordinaire, et peut mettre en cause la responsabilité du gouvernement.

Ce bicaméralisme égalitaire étant destiné à garantir un équilibre institutionnel et à éviter les évolutions politiques trop brutales.

La "Constitution de 1875" et ses évolutions

Les lois de 1875 ne connaîtront pas beaucoup de révisions :

  • la première, du 21 janvier 1879, désigne Paris, et non plus Versailles, comme le siège des pouvoirs publics ;
  • la deuxième, du 14 août 1884, décide que la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une proposition de révision et que les membres des familles ayant régné sur la France sont inéligibles à la présidence de la République (en souvenir notamment de 1848). La même loi constitutionnelle opère aussi la "déconstitutionnalisation" des articles de la loi du 24 février 1875 relative à l’organisation du Sénat, permettant à la loi ordinaire du 9 décembre 1884 de supprimer la catégorie des sénateurs inamovibles. Cette seconde loi de 1884 fait également varier le nombre de délégués selon la taille de la commune, en mettant fin au principe du délégué unique par commune pour le collège sénatorial, qui avait donné un poids politique considérable aux toutes petites communes, nombreuses en France. Par conséquent, cette révision renforce plutôt les bourgs et les chefs-lieux de canton.
La pratique institutionnelle et politique

Le régime instauré en 1875 a connu très tôt un déséquilibre au profit de l’Assemblée.

La crise du 16 mai 1877

Après les législatives des 20 février et 5 mars 1876, la Chambre des députés élue pour quatre ans dans le cadre des nouvelles institutions est composée d'une majorité de républicains. Gambetta interpelle le nouveau gouvernement de Jules Simon, le 4 mai 1877 sur le danger qui menace la République : « Le cléricalisme, voilà l'ennemi ! » Il est acclamé par la gauche remobilisée. Après le vote d'une loi sur la presse, le Président de la République Mac- Mahon souhaite un changement de gouvernement. Le 16 mai, Jules Simon démissionne. Mac-Mahon désigne le duc Albert de Broglie comme son successeur, marquant ainsi un retour à une politique d'ordre moral. La Chambre des députés adopte, en réponse à son ajournement prévisible, un manifeste signé par 363 de ses membres. Mac-Mahon prononce la dissolution de la Chambre des députés, après avis conforme du Sénat le 25 juin. Les élections des 14 et 28 octobre sont un succès pour les républicains qui reviennent à 321, conservant la majorité des sièges et des voix (4,2 millions de suffrages en faveur des républicains, contre 3,6 pour les monarchistes et les bonapartistes).

Après les élections cantonales du 4 novembre 1877 renforçant la gauche, Mac-Mahon remplace Broglie par le général Gaëtan de Rochebouët, bonapartiste.

Le 6 janvier 1878, les élections municipales confortent encore les républicains. Le 5 janvier 1879, la gauche obtient 66 sièges contre 16 à la droite lors du renouvellement du tiers du Sénat, en plus de la majorité des municipalités, des conseils généraux et des deux tiers de la Chambre des députés. Le 30 janvier 1879 Mac-Mahon refuse de signer un décret de mise à la retraite de chefs militaires réputés royalistes et se démet. Le soir même Jules Grévy est élu Président de la République, par 563 voix sur 705 votants.

La Constitution Grévy

Tirant les conséquences de la crise de 1877 lors de son élection à la présidence de la République par les assemblées, Jules Grévy déclara dans son message de janvier 1879 : « Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je n'entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels. » Cette interprétation des institutions appelée la « Constitution Grévy » consacre la suprématie parlementaire et marque l’effacement du chef de l’État. Les chambres quittent Versailles pour Paris en 1879. Le 14 juillet 1880 (le 14 juillet est devenu fête nationale par la loi du 14 février 1879) est l'occasion de l'amnistie des condamnés de la Commune.

La crise du 16 mai se solde ainsi par l'avènement d'une République plus républicaine, par l'amoindrissement délibéré de la fonction présidentielle et la disparition, de fait, d'une prérogative présidentielle essentielle, celle du droit de dissolution.

L’effacement du chef de l’État ne profite donc pas au gouvernement : si la IIIe République consacre un exécutif bicéphale, ses deux têtes sont affaiblies. Elle est aussi fortement marquée par l’instabilité ministérielle (104 gouvernements de 1871 à 1940).

Aux législatives de 1881 les trois quarts des sièges de la Chambre des députés sont conquis par les républicains. En 1885 les droites, légitimiste (soutenant les descendants de la branche aînée des Bourbons), orléaniste (soutenant les descendants de la branche cadette des Bourbons) et bonapartiste, perdent leur influence parlementaire. Les républicains se divisent entre opportunistes (Gambetta, Ferry) et radicaux (Clemenceau). Les opportunistes estiment que l'idée républicaine doit faire son chemin, avant de pénétrer la société française au moment opportun ; les radicaux, tel, revendiquent le « maximum de République », prônent une laïcité offensive, l'impôt sur le revenu et sont opposés à la politique coloniale.

De 1881 à 1885 la République des opportunistes est à son apogée. L'enracinement de la République se matérialise dans la révision constitutionnelle menée à bonne fin en août 1884 par Jules Ferry. Le statut de sénateur inamovible est supprimé et « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision. » Mais la politique d'expansion coloniale est contestée par les radicaux d'autant que Jules Ferry ne cesse de demander des crédits à la Chambre pour les expéditions militaires.

La crise du boulangisme

Plus grave pour la République s'avère la crise du boulangisme. En effet, l'aventure politique du général Boulanger menace la République modérée dans le contexte d'une crise parlementaire consécutive aux élections de 1885 au scrutin de liste. Le gendre du Président Grévy, après la réélection de ce dernier en 1885, est impliqué dans le scandale d'un trafic de décorations exploité par le général Boulanger; le remplacement de Grévy par Sadi-Carnot ne suffit pas à apaiser un mouvement d'antiparlementarisme. Ministre de la guerre dans le gouvernement Freycinet, il est mis à la retraite en 1888 pour ses activités politiques. Son slogan et celui de ses soutiens devient : « Dissolution, révision, constituante ». Il triomphe lors d'élections partielles successives. Malgré les sollicitations de la foule et de ses proches, Boulanger hésite et renonce à marcher sur l'Élysée. Les radicaux de la Chambre, sous l'impulsion de Clemenceau, et les opportunistes s'entendent contre la menace de coup d'État. Boulanger s 'enfuit à l'étranger. Il est condamné par contumace par le Sénat siégeant en Haute Cour de justice. Les élections législatives d'octobre et novembre 1889 confirment l'échec du boulangisme. La République se consolide. C'est la République modérée qui dure de 1893 à 1898.

L'affaire Dreyfus

L'affaire Dreyfus, de 1894 à 1906, est une nouvelle épreuve pour la République, après le scandale de Panama qui rejaillit gravement sur certains dirigeants politiques et déclenche une vague d'antiparlementarisme et d'antisémitisme. Le capitaine Alfred Dreyfus est dégradé et condamné à la déportation à vie en Guyane, accusé de trahison. Le 19 septembre 1899, le Président de la République, Émile Loubet, le gracie. Une loi du 27 décembre 1900, à l'initiative du gouvernement Waldeck-Rousseau, amnistie les faits se rattachant à l'affaire Dreyfus notamment les délits de presse, de réunion et d'association. La Cour de cassation annule sans renvoi le jugement du Conseil de guerre : l'innocence de Dreyfus est reconnue par la Cour de cassation mais seulement en 1906. Une loi du 19 juillet 1906 réintègre le capitaine Dreyfus au grade de lieutenant-colonel.

La République menacée est sauvegardée. L'affaire révèle un profond malaise. Elle fait apparaître au grand jour le racisme, l'antisémitisme et une nouvelle forme du nationalisme se caractérisant par le rejet de l'étranger et la crainte d'une dissolution de l'identité française, associée à un peuple et à une religion. Elle a aussi retardé la réconciliation entre les républicains et les catholiques. A partir de 1899, elle a déplacé l'axe de la majorité vers les radicaux.

La République radicale

De 1898 à 1914 c'est la République radicale. Du 22 juin 1899 au 3 juin 1902, Waldeck-Rousseau, président du Conseil d'un gouvernement de défense républicaine, met fin à la politique d'apaisement de la République modérée.

Après les élections d'avril et mai 1902, les radicaux l'emportent ayant à eux seuls presque autant de sièges que la droite. Émile Combes, devenu président du Conseil, accentue la politique anticléricale de son prédécesseur. Puis l'affaire des fiches établies sur les opinions politiques des officiers supérieurs provoque la chute du ministère en janvier 1905. Aristide Briand fait voter la loi de séparation des Églises et de l'État (9 décembre 1905).

Les élections des 6 et 20 mai 1906 sont gagnées par le parti républicain radical et radical socialiste. Georges Clemenceau, le « tombeur de ministères », devient président du Conseil en octobre. Clemenceau est confronté à une vague de grèves violentes et les réprime durement, se proclamant « le premier flic de France ». La révolte des vignerons du midi, des instituteurs et des fonctionnaires amène les socialistes à se désolidariser des radicaux. Clemenceau est renversé en juillet 1909. Entre 1909 et 1914, onze gouvernements se succèdent.

La montée des périls

Poincaré est élu président de la République en février 1913. Les élections de 1914 sont un succès pour les radicaux-socialistes et les socialistes qui n'ont pas toutefois la majorité. La montée des périls internationaux, notamment la crise des Balkans, et le système d'automaticité des alliances rendent la guerre inéluctable. Le 3 août, l'Allemagne entre en guerre. Dans son message au Parlement, le Président de la République Raymond Poincaré déclare que « la France sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l'ennemi l'Union sacrée. » La Chambre des députés vote à l'unanimité les pleins pouvoirs au gouvernement.

L'Union sacrée trouve un large écho. Les divisions politiques et idéologiques sont mises entre parenthèses. Le 3 septembre, le gouvernement quitte Paris pour Bordeaux. Des aménagements sont apportés à deux théâtres de Bordeaux en vue d'accueillir les chambres.

La première guerre mondiale

Réunies en session extraordinaire, en décembre, les deux chambres décident de siéger en permanence jusqu'à la fin de la guerre, afin d'exercer un contrôle politique.

Le contrôle sur les affaires militaires est souvent très relatif. L'état de siège décrété le 2 août 1914, confère d'importants pouvoirs de police aux autorités militaires et limite la diffusion de l'information. Les opérations militaires sont décidées par le Grand Quartier Général.

Conformément à l'article 5 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 :« chaque chambre peut se former en comité secret sur la demande d'un certain nombre de ses membres fixé par le règlement. » Au cours de comités secrets, peuvent être évoqués par le gouvernement les questions relatives à la conduite de la guerre et à la direction des opérations militaires et de la politique étrangère.

En décembre 1916 le gouvernement Briand est remanié. Lyautey est nommé à la guerre. En mars 1917 le gouvernement démissionne après le refus de Lyautey de fournir au comité secret de la Chambre des députés les informations demandées.

Après la démission de Briand en mars 1917, puis de Ribot et Painlevé, Clemenceau , qui n'avait cessé de critiquer les gouvernements successifs dans son journal L'homme libre devenu, par bravade de la censure, L'homme enchaîné, redevient Président du Conseil. Son programme est clair : « Je fais la guerre ». Il préfère réunir de nombreux conseils de cabinet sous sa présidence, échappant ainsi à l'emprise de Poincaré qui préside les conseils des ministres. Une loi du 10 février 1918 lui permet de diriger l'effort de guerre . Selon cette loi, des décrets peuvent, pendant la durée de la guerre et pendant les six mois suivant la fin des hostilités, « réglementer ou suspendre, en vue d 'assurer le ravitaillement national, la production, la fabrication, la circulation, la vente, la mise en vente, la détention ou la consommation des denrées servant à l'alimentation de l'homme et des animaux. Les dispositions de la présente loi sont applicables aux décrets rendus pour le ravitaillement de la population civile en combustibles. Il pourra être, dans le même but, procédé par décret à la réquisition de la totalité de la flotte marchande. Les décrets rendus par application du présent article seront soumis à la ratification des Chambres dans le mois qui suivra leur promulgation. »

L'armistice est signée le 11 novembre 1918 à Rethondes. En janvier 1919, Clemenceau, « le Père la Victoire » est désigné par acclamation président de la conférence de la paix qui aboutit à la signature du traité de Versailles le 28 juin 1919. La France recouvre l'Alsace et la Lorraine, perdues en 1871. Mais on dénombre 1 383 000 morts, 300 000 mutilés, 1 000 000 d'invalides, 600 000 veuves et 700 000 orphelins. Par ailleurs, la guerre a été essentiellement financée par l'emprunt et la dette publique atteint 220 milliards de francs en 1919. Le franc a perdu les trois quarts de sa valeur de 1914.

L'après-guerre et la « chambre bleu horizon »

En novembre 1919 se déroulent les élections législatives au scrutin de liste à la proportionnelle avec une très forte prime à la majorité, conformément à la loi du 12 juillet 1919. Le Bloc national obtient 437 élus. C'est la chambre « bleu horizon » la plus à droite depuis 1871, appelée ainsi par référence à la couleur des uniformes portés par les fantassins à la fin de la guerre, souvent revêtus par de nombreux élus qui ont combattu. Le Bloc national est une alliance électorale composée de l'Alliance démocratique et de l'Entente républicaine et démocratique. L'Alliance démocratique est elle-même composée de trois groupes : la Gauche républicaine démocratique, les Républicains de gauche et l'Action républicaine et sociale. L'Entente républicaine comprend la Fédération républicaine, l'Action libérale et des nationalistes.

L'échec de la gauche, malgré le regroupement électoral de ses forces, conduit les socialistes à une introspection. Le congrès de Tours, en décembre 1920, décide à la majorité des trois quarts l'adhésion à l'Internationale communiste ce qui entraîne une scission. La tendance majoritaire, dirigée par Marcel Cachin, conserve le Journal L'Humanité. Les minoritaires déclarent « garder la vieille maison » et continuer, avec Paul Faure pour secrétaire général, la SFIO (Section française de l'Internationale socialiste). Ils ont pour journal Le Populaire.

Paul Deschanel, républicain progressiste, est réélu président de la Chambre le 14 janvier 1920. Le 17 janvier, le Congrès le préfère à Clemenceau pour la présidence de la République. Les premiers gouvernements sont plus au centre que la majorité de la Chambre. Millerand est président du Conseil en janvier 1920. Il est confronté à des difficultés sociales et fait poursuivre la CGT. La Chambre vote par 387 voix contre 195 voix de députés socialistes, les radicaux-socialistes et républicains-socialistes. le rétablissement des relations diplomatiques avec le Vatican. Puis un gouvernement dirigé par Georges Leygues est renversé sur le projet de raccourcissement à dix-huit mois du service militaire. Il est remplacé par celui de Briand qui dure un an jusqu'aux entretiens de Cannes avec Lloyd George, Premier ministre britannique, sur la question des réparations. Poincaré, se montrant intransigeant envers l'Allemagne, lui succède. Son ministère, comprenant des modérés du centre, deux radicaux-socialistes et deux républicains-socialistes n'est plus un gouvernement de Bloc national.

Aux élections de mai 1924, le Bloc national est très nettement battu par le Cartel des gauches qui obtient 328 sièges sur 582. Aucun des chefs de file du Cartel n'accepte d'être nommé président du Conseil par le président de la République Alexandre Millerand, élu en septembre 1920 après la démission de Paul Deschanel, malade. Il lui est reproché un discours prononcé à Evreux, le 14 octobre 1923, demandant un renforcement significatif du pouvoir exécutif. Millerand est ainsi contraint à la démission par la « grève des ministres » ; il est remplacé par Gaston Doumergue, contre le candidat du Cartel Paul Painlevé. Edouard Herriot, maire de Lyon depuis 1905 et président du parti radical depuis 1919, est nommé président du Conseil, le 15 juin 1924. Il forme un gouvernement de centre-gauche comprenant 13 radicaux. Le gouvernement reconnaît l'Union soviétique mais ne parvient pas à mener à bien la politique annoncée de laïcisation active. Il est surtout confronté à une crise de trésorerie. Un impôt forcé sur la fortune est proposé ; mais le gouvernement tombe au Sénat, le 10 avril 1925.

Les gouvernements Painlevé et Briand, échouent dans le lancement d'un emprunt, puis sont confrontés à une faillite larvée. En juillet 1926, la tentative de formation d'un deuxième gouvernement Herriot (ce cabinet dure deux jours) échoue en raison de la spéculation. Sept ministres des Finances en quatorze mois n'ont pu enrayer la panique financière et les petits épargnants retirent leurs dépôts des caisses d'épargne, le franc chute et le gouverneur de la Banque de France menace le président du Conseil de cesser ses avances. Le Cartel, affirmant être victime du « mur d'argent », tombe à gauche.

Raymond Poincaré constitue, en juillet 1926, un cabinet d'Union nationale pour sauver le franc. Le gouvernement est restreint à treize ministres dont six anciens présidents du conseil. La confiance revient et on assiste à un retour des capitaux de l'étranger. Poincaré propose d'inscrire dans les textes constitutionnels la création d'une caisse autonome de gestion des bons du Trésor et d'amortissement de la dette publique. L'Assemblée nationale (réunion des deux chambres pour procéder à une révision) adopte par 671 voix contre 144 un article additionnel à la loi du 25 février 1875 sur l'organisation des pouvoirs publics. La caisse est dotée de ressources propres. Il procède à des économies administratives (suppression de 106 sous-préfectures), après avoir demandé les pouvoirs spéciaux.

Les élections d'avril 1928 au scrutin majoritaire uninominal à deux tours sont un succès personnel pour Poincaré puisque, sur 607 députés, 400 se réclament de lui. Dans un discours à la Chambre, Poincaré demande la participation de tous les Français pour soutenir les exportations qui représentent le quart de la production industrielle. La loi monétaire du 25 juin 1928 vise à défendre la compétitivité économique : la valeur-or du franc est diminuée des quatre cinquièmes par rapport à 1914. Mais la majorité se dissocie au lendemain des élections et, en novembre, les ministres radicaux quittent le gouvernement par une décision du congrès de leur parti. Le 11 janvier 1929 la confiance est accordée au gouvernement par 325 voix du centre et de la droite contre 252 voix dont celles de presque tous les radicaux-socialistes. Les gouvernements deviennent « de concentration républicaine » (centre et droite républicaine). Poincaré, malade, se retire en juillet 1929.

La majorité de droite demeure au pouvoir mais, avec André Tardieu, arrive une nouvelle génération politique. Celui-ci souhaite réformer le système parlementaire et fonder un grand parti conservateur, à l'instar du système bipartite (two-party system) en vigueur dans les pays anglo-saxons. En février 1930, Tardieu est renversé par la Chambre sur la question secondaire de la défalcation du salaire de la femme mariée dans le calcul du bénéfice commercial imposable. Un nouveau gouvernement Tardieu, après celui de Chautemps, tombe cette fois au Sénat où il lui est reproché de préférer les blocs à la concentration. Le scandale de la banque Oustric avait précipité cette chute. Après l'intermède de quelques jours du gouvernement Steeg, Tardieu fait partie du gouvernement de Pierre Laval, renversé au Sénat sur un projet de réforme des élections à la Chambre (scrutin à un tour). Un troisième gouvernement dirigé par Tardieu dure deux mois et demi.

L'instabilité politique

Les élections de mai 1932 opposent Tardieu, qui mène campagne à la manière d'un chef de majorité à l'anglaise, ce qui est inédit, à Herriot qui dissocie le choix du gouvernement et de sa politique de la représentation issue des élections à la Chambre. Les élections sont gagnées par la gauche. Elles sont un échec personnel pour Tardieu. Herriot redevient président du Conseil dans un gouvernement à dominante radicale. Il présente des mesures d'économies budgétaires votées par la droite et certains radicaux. Puis il est renversé, en décembre 1932, par la droite à laquelle se joignent des radicaux. Ce troisième gouvernement Herriot n'aura duré que six mois. Cinq gouvernements se suivent jusqu'au 6 février 1934, victimes d'un « massacre des ministères », alors que seize groupes parlementaires sont dénombrés à la Chambre. Une volonté de réforme de l'État et de la politique s'exprime tandis que s'étend une vague d'antiparlementarisme. En janvier 1933, André Tardieu développe le thème d'une révision des institutions et de la modernisation politique. Il propose de remplacer le président du Conseil par un Premier ministre, doté du droit de dissolution, et de retirer au Parlement l'initiative budgétaire. Les jeunes députés radicaux, Pierre Cot, Pierre Mendès France ou Jean Zay, contestent les oscillations entre l'Union nationale et le Cartel, la participation au jeu des combinaisons gouvernementales et la contradiction entre les alliances et le programme de leur parti. Les néosocialistes Déat, Marquet, Renaudel, Ramadier estiment dépassée la doctrine de la S.F.I.O. et en sont exclus. Les ligues antiparlementaires sont réactivées ou créées : les Croix de feu du colonel de la Roque, les Volontaires nationaux, la Fédération des contribuables, la Solidarité française, les Francistes.

L’affaire Stavisky

L'affaire Stavisky éclate en décembre 1933. Dénoncés par la presse, le scandale des faux bons de caisse du Crédit municipal de Bayonne et la corruption provoquent le renversement du gouvernement Chautemps remplacé par Daladier. Des manifestations de rue ont lieu. Daladier renvoie le préfet de police Jean Chiappe, tenu pour complice de l'agitation, ce qui suscite le 6 février 1934 une manifestation qui tourne à l'émeute. Dans la soirée, celle-ci est à son comble place de la Concorde, face au Palais Bourbon, au moment où se prolonge le débat sur la confiance au gouvernement. La police est débordée. Des coups de feu sont tirés. On dénombre 15 morts et 1 500 blessés. Alors que le gouvernement Daladier vient, dans la soirée, d'obtenir la confiance de la Chambre par 360 voix contre 220, il démissionne le lendemain. Le 8 février le président de la République Albert Lebrun rappelle de sa retraite Gaston Doumergue.

Gaston Doumergue, constitue un ministère d'union nationale, composé de conservateurs, de radicaux et de néosocialistes, auquel participent sept anciens présidents du conseil dont Herriot, Laval et Tardieu. Le 12 février a lieu une grève générale de protestation à l'initiative de la CGT. Une manifestation se déroule à Paris à l'appel de la SFIO. Le gouvernement est investi le 15 février et obtient les pouvoirs financiers le 22. Sans pouvoir juguler la crise économique, Doumergue entend mettre en œuvre un projet de réforme des institutions dont il informe directement le pays à la radio. Les ministres Herriot et Sarraut quittent le gouvernement à la demande du congrès du parti radical. Doumergue démissionne à son tour, le 8 novembre 1934. Flandin, nommé à la tête du gouvernement, crée les services de la présidence du conseil, à l'Hôtel Matignon. Il demande les pleins pouvoirs pour assainir la situation financière ; mais ils lui sont refusés et c'est l'échec de l'Union nationale. Il est confronté à une crise monétaire grave et démissionne. Le 7 juin 1935, Laval, à la tête d'un ministère de concentration, obtient les pleins pouvoirs et réduit les dépenses publiques et les traitements des fonctionnaires de 10%. Sa politique de concessions à l'égard de l'Italie mussolinienne est contestée. Herriot et d'autres ministres radicaux démissionnent du gouvernement le 17 janvier 1936. Le gouvernement suivant « de conciliation et de vigilance républicaine », dirigé par Sarraut, assure une transition jusqu'aux élections législatives de mai 1936 alors que le 7 mars Hitler décide d'occuper la Rhénanie démilitarisée en application du traité de Versailles sans réaction concrète des parties signataires.

Tandis que les ligues développent leur agitation, Maurice Thorez, le 13 novembre 1934, lance à la Chambre la formule du « Front populaire du travail, de la liberté et de la paix ». En juin 1935, les radicaux se rallient à la proposition de Maurice Thorez d'entrer dans un rassemblement antifasciste. Adopté et publié en janvier 1936, le programme du Rassemblement populaire fixe seulement des grandes orientations. La campagne électorale est menée contre la politique de déflation de Laval et les « 200 familles ». Léon Blum demande de soutenir « l'idéal socialiste ». Le Parti communiste réclame « Le pain, la paix, la liberté », triptyque illustré par le film La vie est à nous, réalisé par Jean Renoir ; Maurice Thorez tend la main aux catholiques.

Le Front populaire

Les élections ont lieu au scrutin d'arrondissement uninominal à deux tours. Le premier tour, le 23 avril 1936, révèle un taux très élevé de participation (84,30%), une progression socialiste, une poussée communiste, une chute spectaculaire des radicaux et apparentés et un recul de la droite.

A l'issue du second tour, le 3 mai 1936, la victoire est triomphale ; le Front populaire obtient 386 élus sur 608 : 149 socialistes, 72 communistes (au lieu de 11 en 1932), 56 divers gauche (socialistes-communistes, Union socialiste-républicaine, Gauche indépendante, ...) et 109 radicaux.

Léon Blum préside le Gouvernement, sans détenir aucun autre portefeuille ministériel. Les radicaux participent au gouvernement nettement placé sous direction socialiste; les communistes pratiquent « le soutien sans participation ». Trois femmes sont nommées sous-secrétaires d'État. Le 6 juin il présente devant les chambres trois grands trains de mesures. La Chambre des députés vote la confiance par 384 voix contre 210. A peine le gouvernement constitué, il faut tenter de mettre fin aux grèves qui ont éclaté dès le mois de mai, en province puis à Paris. Le 5 juin 1936, une négociation, présidée par Léon Blum, assisté des deux ministres Roger Salengro et Marx Dormoy et de Jules Moch, réunit à l'Hôtel Matignon les représentants du patronat (la CGPF) et la CGT. Dans la nuit du 7 au 8 juin sont signés les accords Matignon.

La montée du nazisme

Mais l'embellie de l'été 1936 fait place aux difficultés de l'automne face à la question espagnole qui provoque de vives dissensions au sein même du Front populaire. Léon Blum annonce une « pause » dans les réformes heurtant le PCF et la CGT. Le 6 juin, Daladier présente lors d'un meeting radical un programme de remplacement de celui du gouvernement. Le 13 juin 1937, le gouvernement demande les pleins pouvoirs financiers au Parlement, procédure en principe réprouvée par les socialistes. Si la Chambre les adopte le 15 juin, par 346 voix contre 247, le Sénat, à l'instigation de Caillaux, les rejette le 21, un tiers des sénateurs radicaux ayant mêlé leurs voix à celles de droite. Léon Blum démissionne le 22 juin 1937.

La formule du Front populaire se poursuit néanmoins sous les gouvernements Chautemps jusqu'au 10 mars 1938. Hitler envahit l'Autriche le 12 mars et réalise l'Anschluss. Blum constitue un deuxième gouvernement qu'il souhaite d'Union nationale, mais la droite républicaine refuse d'y participer. Léon Blum dépose alors un projet de loi visant à accorder les pleins pouvoirs financiers au gouvernement, précédé d'un exposé des motifs rédigé par Pierre Mendès France et inspiré de Keynes. Le projet est adopté par la Chambre par 311 voix contre 250, mais rejeté le 10 avril par le Sénat par 214 voix contre 47.

Désigné Président du Conseil le 10 avril 1938 Édouard Daladier, président du parti radical, obtient les pleins pouvoirs refusés à Blum. Il dévalue le franc qui a perdu 57% de sa valeur de 1926.

Le 1er septembre 1939 commence l'invasion allemande de la Pologne. Les nouvelles exigences de Hitler sont jugées inacceptables par la France et la Grande Bretagne. Daladier annonce à la Chambre la mobilisation générale. Le 3 septembre 1939 la France entre en guerre.

La chute de la République

Le Gouvernement est présidé par Édouard Daladier, également ministre de la Défense nationale, de la Guerre et des Affaires étrangères. Après une brève session extraordinaire, le 2 septembre 1939, pour le vote des crédits militaires, les Chambres ne siègent pas jusqu'au 30 novembre. Cependant, les commissions permanentes des deux assemblées, notamment les commissions des affaires étrangères, celles de l'armée et de l'air se réunissent et exercent un contrôle fréquent sur l'action du Gouvernement, de l'administration et des armées.

Le 30 novembre 1939, au moment de l'expiration des pouvoirs spéciaux accordés le 20 mars 1939 (entrée des troupes allemandes à Prague), le Président du Conseil convoque les Chambres en session. Il s'agit de soumettre au Parlement un projet de loi modifiant l'organisation de la nation en temps de guerre, pour renforcer les prérogatives du Gouvernement : « Pendant la durée des hostilités, les Chambres exercent leurs prérogatives en matière législative et budgétaire comme en temps de paix. Toutefois, en cas de nécessité immédiate, le gouvernement est autorisé à prendre, par décrets délibérés et approuvés en Conseil des ministres, les mesures imposées par les exigences de la défense nationale. Ces décrets sont soumis à la ratification dans un délai d'un mois, et, en cas d'absence des Chambres, dès leur première réunion. » Il est adopté par 318 voix contre 175.

Réunie le 19 mars 1940 en comité secret, après le traité de paix draconien imposé à la Finlande par l'Union soviétique (13 mars 1940), la Chambre des députés vote un ordre du jour de confiance au gouvernement par 239 voix contre une, mais avec 300 abstentions. Édouard Daladier démissionne le 21 mars. Paul Reynaud, précédemment ministre des Finances, lui succède le même jour. Il présente son Cabinet devant la Chambre le 22 mars. La déclaration ministérielle lue par Paul Reynaud est largement l'œuvre du colonel de Gaulle. Grâce à l'intervention de Léon Blum, Paul Reynaud obtient finalement 268 voix favorables, 156 votes contre et 111 abstentions. Édouard Daladier reste ministre de la guerre. A ce titre, il s'oppose à la démission du général Gamelin que Paul Reynaud demande avec insistance. Le conflit entre les deux hommes éclate le 9 mai 1940. Le Gouvernement est démissionnaire.

Eté 1940. Les troupes allemandes sont entrées en France, le gouvernement s'est replié à Tours et à Bordeaux, un exode massif pousse les civils sur les routes.
C'est la débâcle. Président du Conseil depuis mars 1940, Paul Reynaud démissionne le 16 juin et c'est le maréchal Pétain qui forme le nouveau ministère et signe l'armistice de Rethondes. En juillet le gouvernement s'installe à Vichy. Le 10, l'Assemblée nationale (qui réunit Chambre des députés et Sénat) vote une révision des lois constitutionnelles de 1875. Seuls quatre-vingts parlementaires votent contre cette révision, qui donne tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l'autorité et la signature du maréchal Pétain.
Ce dernier promulgue aussitôt trois actes constitutionnels, dont l'un dispose que la Chambre des députés et le Sénat subsistent "jusqu'à ce que soient formées les nouvelles Assemblées", mais sont ajournés.

C'est la fin de la Troisième République.

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Bilan législatif

Sous la Troisième République le domaine de la loi était sans borne. Expression de la volonté générale, elle ne faisait pas l'objet d'un contrôle de constitutionnalité. Une loi pouvait s'appliquer à n'importe quelle matière et n'importe quel objet et même à un cas particulier. La portée de l'action législative de la Troisième République est cependant considérable. En effet, certaines lois de la Troisième République, inspirées par l'idéal républicain, restent actuelles, tenant lieu de références politiques ou même constitutionnelles auxquelles la loi d'aujourd'hui est tenue de se conformer.

Dans le domaine des libertés publiques, la loi du 30 juin 1881 relative à la liberté de réunion dispose que « les réunions publiques sont libres ». Elle supprime l'autorisation préalable et lui substitue la déclaration préalable. Les organisateurs doivent seulement informer l'administration de la tenue de la réunion. L'obligation de déclaration préalable est supprimée en 1907.
La loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse supprime le régime de l'autorisation, le droit de timbre et le cautionnement. Ce régime exclut la censure. Il exclut aussi tout délit d'opinion. Les délits de presse sont précisés ; ils sont limités aux offenses au chef de l'État, aux chefs d'État étrangers et aux ambassadeurs, à la diffamation, à la provocation au meurtre et à la désertion. Un droit de réponse est institué. Les incitations à la désobéissance des militaires, la provocation au crime et les chants séditieux sont réprimés. Les formalités préalables à la création d'un journal sont réduites.

La loi du 21 mars 1884 relative à la liberté d'association professionnelle reconnaît l'activité syndicale. Et la loi du 1er juillet 1901 reconnaît la liberté d'association :« les associations de personnes pourront se former librement sans autorisation ni déclaration préalable. » Elle rend effectif le principe qui avait été proclamé à l'article 8 de la Constitution du 4 novembre 1848 : « Les citoyens ont le droit de s'associer... » Elle abroge l'article 291 du code pénal (« Nulle association de plus de vingt personnes dont le but sera de réunir tous les jours ou à certains jours marqués, pour s'occuper d'objets religieux, littéraires, politiques ou autres, ne pourra se former qu'avec l'agrément du Gouvernement et sous les conditions qu'il plaira à l'autorité publique d'imposer à la société. »). La loi du 10 janvier 1936 prévoira la dissolution administrative des ligues ayant pour but de provoquer à des manifestations armées dans la rue, de présenter, par leur forme ou leur organisation, le caractère de milices privées ou de groupes de combat, de porter atteinte à l'intégrité du territoire national ou attenter par la force à la forme républicaine du gouvernement.

La politique scolaire et religieuse a fait l'objet des premières lois de la République. Jules Ferry, ministre de l'Instruction publique en 1879 crée l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses afin d'assurer la formation des cadres des écoles normales d'institutrices de chaque département. L'École normale de Saint-Cloud quant à elle était destinée aux cadres des écoles normales d'instituteurs déjà créées. La formation du citoyen, nécessaire à la démocratie puisque la souveraineté appartient à l'ensemble des citoyens, est assurée par les maîtres d'école « hussards noirs de la République » (Charles Péguy).

La loi du 16 juin 1881 introduit la gratuité de l'enseignement primaire public. La loi du 28 mars 1882 rend obligatoire l'école pour les enfants âgés de 6 à 13 ans et crée le certificat d'études. Les programmes d'enseignement sont laïcisés et une instruction civique et morale se substitue au catéchisme religieux. La loi du 30 octobre 1886 laïcise le personnel enseignant. Sous le ministère Combes la loi du 5 juillet 1904 accorde un délai de dix années aux congrégations autorisées pour fermer leurs écoles et interdit d'enseignement tous les religieux. La loi du 9 décembre 1905 institue la séparation des Églises et de l'État et dispose que la République ne reconnaît et ne salarie aucun culte ; elle prévoit l'établissement d'un inventaire des bâtiments dévolus aux cultes afin de les transférer à des associations cultuelles. Briand, rapporteur du projet fait introduire la liberté de conscience et le libre exercice des cultes et la loi du 28 mars 1907 supprime la déclaration préalable des cérémonies du culte. La loi a supprimé le service public du culte et remplacé les établissements qui en étaient chargés par des associations cultuelles régies par la loi de 1901. La loi de 1905 a prévu que les édifices affectés à l'usage du culte continueraient, à défaut d'associations cultuelles, à être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion. Les associations diocésaines subviennent aux frais du culte. Une loi du 29 avril 1926 a transféré à celles-ci la partie du patrimoine des anciens établissements cultuels non liquidés à la suite de la loi du 2 janvier 1907. Dans le domaine des moeurs, la loi dite Naquet du 27 juillet 1884 rétablit le divorce qui avait été supprimé à la Restauration par la loi du 8 mai 18l6.

La défense nationale est fondée sur la conscription, instituée par la loi Jourdan de 1798 et supprimée par la loi Gouvion Saint-Cyr en 1818, considérée comme un symbole de la démocratie et de la République. Le service militaire, sous l'impulsion de Freycinet, est rendu obligatoire pour tous par la loi du 15 juillet 1889 soumettant tout Français à vingt cinq ans d'obligations militaires (trois dans l'armée active, sept dans la réserve de l'armée active, six dans la territoriale, neuf dans la réserve de la territoriale) . Mais les exemptions sont nombreuses. La loi du 21 mars 1905 a vraiment institué la conscription, c'est à dire l'inscription individuelle sur les rôles de l'armée sans distinction de classes sociales de tous les jeunes gens ayant atteint l'âge fixé par la loi. La loi rappelle le caractère national, personnel et obligatoire du service en réduit la durée à deux ans (service actif). Depuis cette loi, la durée du service est fluctuante mais trois catégories demeurent : le service actif, la disponibilité et la réserve. La loi du 7 août 1913 rétablit la durée du service à trois ans.

Des réformes décentralisatrices ont été engagées dès 1871. La loi départementale du 10 août 1871 élargit les attributions des conseils généraux, tandis que la loi du 4 mars 1882 supprime la nomination des maires et celle du 5 avril 1884 supprime la nomination des adjoints aux maires. Les lois de 1871 et 1884 créent certaines institutions nouvelles (la commission départementale) et accroissent les pouvoirs des assemblées locales. L'article 61 de la loi du 5 avril 1884 dispose que : « Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune. » Le département et la commune acquièrent ainsi le statut de collectivité territoriale. La loi rend publiques les séances de conseils municipaux. Elle oblige chaque commune à installer la mairie dans un local spécifique. Paris conserve un statut spécial.

Dans le domaine social, la loi du 2 novembre 1892 limite le temps de travail des femmes à 11 heures par jour et interdit le travail des enfants avant treize ans. La loi du 9 avril 1898 sur la réparation des accidents du travail rend les employeurs responsables des accidents du travail et la loi du 31 mars 1905 substitue l'assureur à l'employeur légalement responsable en cas d'action de la victime. La loi du 14 juillet 1913 institue l'assistance aux familles nombreuses. La loi du 29 avril 1919 institue pour tous les salariés la journée de 8 heures. La loi du 5 avril 1928 institue les assurances sociales et celle du 11 mars 1932 rend obligatoire l'affiliation des employeurs de l'industrie et du commerce à des caisses de compensation agréées. La loi du 13 juillet 1928 établissant un programme de construction d'habitations à bon marché et de logements, en vue de remédier à la crise de l'habitation, dite loi Loucheur, vise à favoriser le logement populaire individuel et l'accession à la propriété. La loi du 20 juin 1936 généralise l'institution des congés payés. La loi du 21 juin 1936 limite à 40 heures la durée légale hebdomadaire du travail (la semaine de 40 heures).

Dans le domaine de l'économie, on retient le rôle joué à la commission des douanes de la Chambre par Jules Méline, dont le nom est associé à une politique douanière protectionniste. En 1884, le tarif Méline crée un droit de 3 francs par quintal de froment importé, élevé à 5 francs en 1887 et 7 francs en 1894. La « loi du cadenas » permet au gouvernement de modifier, s'il le juge utile, les droits sur les céréales, sur les vins et la viande. Le système du double tarif douanier permet de moduler les droits de douane selon les secteurs d'activité économique et selon les pays. La politique de Poincaré de 1926 à 1928 est associée au redressement financier. La loi constitutionnelle du 25 février 1875 est partiellement révisée pour créer la Caisse autonome d'amortissement, chargée du service de la dette. La loi monétaire du 25 juin 1928, assure la stabilisation du franc, vise à assurer sa stabilisation. La première guerre et la crise de 1929 ont eu pour conséquence de rendre fréquentes les interventions de l'État en matière économique et le contrôle des importations. A partir de 1930, avec la loi du 4 juillet 1931 permettant à l'État d'intervenir en cas de mévente dans la viticulture, on parle d'économie dirigée. La loi du 21 mars 1936 interdit l'extension de fabriques étrangères de chaussures installées en France. Sous le gouvernement de Front populaire les transports ferroviaires sont nationalisés (création de la SNCF), ainsi que les fabrications d'armement et de matériel aéronautique. L'Office national interprofessionnel du Blé est institué.

La Troisième République a mis en œuvre d'importantes réformes fiscales. L'impôt sur le revenu a été proposé par Joseph Caillaux en 1900, puis en 1907. Il a pour caractéristique d'être général, progressif, personnalisé et d'atteindre l'ensemble des revenus du contribuable. Deux lois du 15 juillet 1914 et du 31 juillet 1917 introduisent deux catégories d'impôts superposées : les impôts cédulaires et l'impôt général sur le revenu. Le système a subsisté jusqu'en 1948. Après la première guerre mondiale, les impôts sur la consommation ont été remplacés par un impôt général à caractère synthétique et en 1936 a été institué une taxe à la production...

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Sources :

Les régimes politiques de la Révolution française à 1958 | vie-publique.fr
Histoire de l'Assemblée nationale - Histoire - Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)
L’Histoire du Sénat | Sénat (senat.fr)
Droit constitutionnel et institutions politiques de Jean GICQUEL et Jean-Eric GICQUEL (LGDJ-Précis DOMAT)
Droit constitutionnel et institutions politiques de Philippe ARDANT et Bertrand MATHIEU (LGDJ-Manuels Droit Public)
Droit constitutionnel de Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN (SIREY)