PREMIER EMPIRE - Les Cent-Jours (20.3 au 8.7.1815)

EMPIRE (PREMIER)

Le 2 décembre 1804, Napoléon se fait couronner empereur, mais s'il choisit ce titre, c'est par désir d'éviter celui de roi, après dix années de révolution, plutôt que par référence à l'expansion territoriale de Rome ou de Charlemagne. Son objectif est alors de rétablir la monarchie héréditaire à son profit et non de poursuivre une guerre de conquête qui semble terminée depuis que la France a atteint ses frontières naturelles et consolidé son influence en Italie du Nord et en Allemagne.

C'est après Austerlitz et Trafalgar que naît la théorie du grand empire. Talleyrand avait prévenu les Anglais en 1802 : « Le premier coup de canon peut créer subitement l'empire gaulois [...]. Le Premier consul a trente-trois ans et il n'a encore détruit que des États de second ordre. Qui sait ce qu'il lui faudrait de temps, s'il y était forcé, pour changer de nouveau la face de l'Europe et ressusciter l'empire d'Occident ? »

Le Blocus continental, machine de guerre économique contre l'Angleterre, servit de prétexte à une série d'annexions, de remaniements territoriaux et dynastiques qui firent passer plus de la moitié de l'Europe sous la domination de Napoléon. Ainsi se forma un empire tout en rivages et en ports, de Hambourg à Bordeaux, de Barcelone à Gênes, de Naples à Trieste. L'axe principal en fut le Rhin, soumis à l'influence française, de sa source à son embouchure. Cet empire, Napoléon eut le souci de l'unifier par les routes, les codes, les brassages de population au sein de la Grande Armée, la centralisation administrative.

Mais ce qui finit par compromettre la domination napoléonienne, ce fut le sentiment d'abord confus, puis de plus en plus précis après les décrets de 1810 assouplissant le Blocus, que le système continental favorisait en définitive l'industrie et le commerce de la France proprement dite au détriment des pays vassaux ou alliés. Au nom de la lutte contre l'hégémonie économique de l'Angleterre, la France substituait en réalité sur le continent sa propre suprématie à celle de sa rivale.

La désastreuse expédition de Russie précipita la ruine du grand empire et réveilla dans la vieille Europe les nationalismes les plus agressifs. Au terme de l'aventure napoléonienne, la France se retrouvait plus petite qu'à la veille de la Révolution et soumise à la surveillance de ses vainqueurs. Mais en détruisant l'ancien système féodal et en favorisant l'avènement politique de la bourgeoisie dans tous les États que la Grande Armée avait envahis, Napoléon n'en a pas moins préparé la naissance d'une Europe nouvelle.

Les guerres victorieuses

Dès 1803, l'Angleterre avait repris la guerre devant la menace d'une hégémonie non seulement politique mais économique de la France sur le continent. À la faveur de la paix d'Amiens, la politique des républiques sœurs menée par le Directoire avait en effet été poursuivie par Bonaparte. Ce dernier n'avait-il pas été élu à la tête de la République italienne ? N'était-il pas devenu médiateur de la Confédération helvétique et pratiquement suzerain de la République batave ? Ne devait-il pas être considéré comme l'inspirateur des décisions de la Diète germanique qui, en 1803, remania la carte de l'Allemagne ? Le cabinet britannique pouvait difficilement accepter une telle extension de l'influence française, d'autant qu'elle s'accompagnait de la signature de traités de commerce avec Naples, l'Espagne, la Russie, le Portugal et la Turquie. Plus inquiétant encore était un brusque réveil des prétentions coloniales de la France, comme le prouvait l'expédition de Saint-Domingue.

Aussi le conflit entre la France et l'Angleterre se ralluma-t-il en mai 1803. Ce fut la question de Malte qui provoqua[...]

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Bilan institutionnel

Napoléon Bonaparte devient Napoléon Ier, empereur des Français, après approbation par plébiscite (1804)

Sacré par le pape Pie VII, à Notre Dame de Paris, il ne restaure cependant pas l'Ancien Régime. Aux termes de la Constitution de l'an XII, il prête serment de fidélité aux conquêtes de 1789 : égalité des droits, liberté politique et civile, irrévocabilité de la vente des biens nationaux. Mais le régime est autoritaire : Napoléon dispose de tous les pouvoirs, sans exception ; les préfets, qui dépendent directement de lui, surveillent l'établissement en province d'un « despotisme éclairé ».

Le pouvoir législatif est morcelé : le Conseil d'État élabore et prépare les projets de loi, le Tribunat les discute sans les voter, le Corps législatif les vote sans les discuter et le Sénat est juge de la constitutionnalité des lois. Ce système, imaginé au nom de l'efficacité législative, a pour principal effet d'affaiblir les assemblées. Le suffrage universel est établi en France. Aucun autre pays du monde ne l'a mis en oeuvre, à cette époque. Mais, si tous les citoyens français peuvent voter, les effets réels du suffrage universel sont très limités : les électeurs désignent un dixième d'entre eux pour former des listes communales ; à leur tour, les membres de celles-ci désignent un dixième d'entre eux pour former les listes provinciales, lesquelles désignent un dixième de leur membres pour constituer la liste nationale ; les membres de cette liste sont les candidats aux fonctions publiques. Le Sénat, assemblée à demi cooptée, désigne parmi cette liste nationale les membres des assemblées législatives, Tribunat et Corps législatif. Il s'agit, on le voit, d'un suffrage très indirect.

Le Tribunat compte 100 membres. Manifestant trop d'indépendance à l'égard du pouvoir, il sera réduit à 50 membres en 1804 et supprimé en 1807. Le Corps législatif comprend 300 députés et le Sénat 80 membres, nommés à vie et cooptés : le Sénat choisit lui-même le successeur d'un sénateur décédé, parmi trois candidats présentés par le Tribunat, le Corps législatif et le Premier consul ou l'empereur.

Bilan législatif

Napoléon Bonaparte (1800-1815) : le continuateur de la Révolution

Napoléon peut être considéré comme le continuateur de la Révolution dans son ensemble, notamment en mettant en place une administration centralisée, en ne remettant pas en cause la vente des biens nationaux, en promulguant le Code civil qui reconnaît l'égalité devant la loi. Il a conservé l'échelon territorial du département mais il a profondément modifié l'administration départementale. Ainsi la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) a confié l'autorité administrative départementale à un seul homme, le préfet, assisté de deux conseils, le Conseil général compétent en ce qui concerne la répartition des impôts et le Conseil de préfecture chargé du contentieux administratif ; à la tête de chaque arrondissement, sauf celui du chef-lieu du département, a été placé un sous-préfet.

L'administration des finances est réorganisée. Le 16 nivôse an VIII (6 janvier 1800) ont été approuvés les statuts de la Banque de France. La loi du 7 germinal an XI (28 mars 1803) a fixé les caractéristiques du franc. La loi du 1er mai 1802 crée les lycées et une école spéciale militaire, transférée à Saint-Cyr en 1808. Le 11 juillet 1804 a été instituée la décoration de la Légion d'honneur. L'oeuvre napoléonienne a été considérable en matière de codification : code civil en 1804, code de procédure civile en 1806, code commercial en 1807, code d'instruction criminelle en 1808 et code pénal en 1810.

En revanche, les libertés individuelles ont été, au mieux, très encadrées, souvent réduites à la portion congrue (la censure officielle est rétablie en 1810).

Sous la monarchie constitutionnelle (1814-1848), les valeurs morales traditionnelles - Dieu, le roi, la famille - ont été officiellement restaurées (en 1825, la loi dite du « sacrilège » punit de la peine de mort toute personne qui profane un objet sacré).

Tout au long de cette période, les chambres ont été souvent élues au suffrage censitaire, c'est-à-dire par une infime minorité de la population en âge de voter. Lorsque le suffrage n'était pas aussi restreint, sous le Consulat et l'Empire, son exercice était profondément altéré par le recours au plébiscite ou par des mécanismes de listes de notables qui le vidait de sa substance. Les chambres ont été privées du droit d'initiative législative et de leur liberté de délibération.

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1799-1814 : Le Sénat conservateur

Une assemblée chère à Bonaparte

Rédigée sous l'influence directe du nouveau maître du régime, le Premier Consul Bonaparte, la Constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799) est la première à créer un Sénat. Bonaparte va faire de ce "Sénat conservateur", chargé de veiller au respect de la Constitution, un élément-clé de son régime.

Le premier Sénat compte seulement soixante membres inamovibles, âgés de quarante ans au moins, auxquels devaient s'ajouter deux membres supplémentaires chaque année, dix ans durant. Pour former la Chambre, il n'est plus question d'élections, même indirectes. La Constitution prévoit que Sieyès et Roger-Ducos, deuxième et troisième consuls sortants, sont membres de droit du Sénat.

Il leur revient le privilège de nommer la majorité du Sénat, c'est-à-dire vingt-neuf autres sénateurs, en concertation avec Cambacérès et Lebrun (nouveaux deuxième et troisième consuls désignés directement par la Constitution). Cette majorité nommera ensuite elle-même les autres membres. Le Sénat se recrute donc lui-même et, par la suite, remplacera ses membres décédés en choisissant parmi trois candidats présentés respectivement par le Premier Consul, le Tribunat et le Corps législatif.

Le Sénat napoléonien s'installe au Luxembourg et siège dans la partie centrale du bâtiment, aménagée en hémicycle par Chalgrin, l'architecte du Palais. "Les séances, dit la Constitution, ne sont pas publiques." Le premier Sénat conservateur accueille d'anciens membres des assemblées révolutionnaires (François de Neufchateau, Garat, Lanjuinais), mais aussi des savants (Monge, Lagrange, Lacépède, Berthollet), des philosophes (Cabanis), ou encore l'explorateur Bougainville et le peintre Vien, membre de l'Institut.

Sénatus consultes

En l'an X (1802), une révision de la Constitution renforce les attributions des sénateurs. Le Sénat règle désormais, par des actes ayant force de loi, les "sénatus-consultes", tout ce qui n'était pas prévu par la Constitution et qui est nécessaire à l'action politique du régime. La procédure est par exemple utilisée en 1802 pour l'amnistie des Emigrés.

Le nombre des sénateurs est alors porté à cent vingt. Le Premier Consul Bonaparte contrôle étroitement l'activité et la composition de la Chambre Haute : il convoque et préside le Sénat, se réserve le droit de présentation des candidats, désigne lui-même trois candidats pris sur la liste des citoyens élus par les collèges électoraux et peut, en outre, nommer des sénateurs de sa propre initiative.

Une élite choyée

Convaincu que la dignité du service de l'Etat est indissociable d'une confortable position de fortune, Napoléon crée en janvier 1803 le système des sénatoreries, qui lui assure de surcroît la complète docilité des sénateurs. A partir de juin 1804, elles sont attribuées à 36 sénateurs et font de ceux-là de "super-préfets" régionaux. Elles leur donnent droit, à titre viager, à un palais résidentiel (château ou ancien évêché) et à des revenus de 20 à 25 000 francs par an - ce qui double le traitement sénatorial. Ainsi Berthollet, qui reçoit la sénatorerie de Montpellier, occupe le palais épiscopal de Narbonne et perçoit 22 690 francs de revenus annuels.

Grandeur et déchéance d'un empereur

La Constitution de l'an XII (1804) qui proclame l'Empire accroît encore la dépendance de la Haute Assemblée. Les marques d'estime de l'empereur se multiplient, les manifestations d'allégeance des sénateurs aussi. Ainsi le 1er janvier 1806, l'empereur fait don aux sénateurs, en hommage à ces "sages de l'Empire", de cinquante-quatre drapeaux ennemis. Enthousiaste, le sénateur maréchal d'Empire Pérignon propose l'édification d'un arc de triomphe à la gloire de Napoléon 1er, proposition chaleureusement appuyée par ses collègues, dont le sénateur Lacépède.

Napoléon appelle au Sénat les princes français, les grands dignitaires et toutes les personnes de son choix, sans limitation de nombre. Il y nomme ainsi son frère Joseph, mais aussi Cambacérès, Chaptal, Fouché, Fontanes, Tronchet et des généraux tels Caulaincourt et Duroc. Comblés de faveurs, les sénateurs n'en proclamèrent pas moins la déchéance de Napoléon 1er le 3 avril 1814, avant d'appeler au trône Louis XVIII, comte de Provence.

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Le Premier Empire: 1804 - 1815

de Thierry Lentz (Auteur)

Dans cette magistrale synthèse, Thierry Lentz retrace l’histoire d’un « empire » et des réactions qu’il suscita en son temps. Si l’on ne peut échapper à la présence permanente de la volonté, de la personnalité et de l’œuvre de Napoléon, qui ont marqué la période de leur empreinte, l’auteur « raconte » aussi – en l’expliquant – un peu plus d’une décennie d’histoire de l’Europe, voire du monde, en dépassant à la fois la figure de l’empereur et les points de vue purement nationaux. Il relate autant l’histoire des idées que celle des institutions, faisant revivre au lecteur les épisodes essentiels du Premier Empire.
Cette histoire se garde des accents de l’épopée et des facilités de l’anecdote comme des études militaires trop détaillées – même si, comme on peut l’imaginer, les guerres en sont l’une des toiles de fond. Thierry Lentz se place dans la position d’un observateur aussi impartial que possible et ignorant la légende (dorée ou noire) édifiée par les récits enflammés des thuriféraires.

Éditeur ‏ : ‎ Fayard/Pluriel (28 mars 2018)
Langue ‏ : ‎ Français
Poche ‏ : ‎ 832 pages
ISBN-10 ‏ : ‎ 2818505518
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2818505519
Poids de l'article ‏ : ‎ 900 g
Dimensions ‏ : ‎ 13 x 4 x 20.5 cm