Eginhard raconte... Louis le Débonnaire
Né sans doute au début des années 770, éduqué au grand monastère de Fulda, Eginhard est envoyé à la Cour en 791 pour y suivre l’enseignement d’Alcuin. Il se lie d'amitié avec Charlemagne puis avec son successeur Louis le Pieux (814-840). Renommé pour son savoir, il semble avoir une activité politique limitée. Remarqué pour ses qualités d'administrateur et de lettré, l'empereur le nomma Directeur des bâtiments royaux, et lechargea de plusieurs missions diplomatiques. A la mort de Charlemagne, Eginhard servit sous l'administration de Louis, et fut chargé de l'éducation du futur empereur Lothaire. En 828, il se retire de la vie publique et se consacre à ses charges ecclésiastiques. Il correspond avec de nombreux savants et l'empereur, avant de mourir en 840.
On suppose qu’Éginhard voulait
proposer un modèle en temps de crise. Le règne de Louis le Pieux ayant été marqué
par des divisions à répétition, les chercheurs estiment que la rédaction de l’œuvre
s’est échelonnée de 817 à 833. Le texte que je vous propose ci-dessous est tiré
de la COLLECTION DES MÉMOIRES RELATIFS A L'HISTOIRE DE FRANCE, depuis la fondation de la monarchie française
jusqu'au 13e sièclE » (GUIZOT).
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Louis le Débonnaire
ANNALES D'EGINHARD
Ce
fut alors que deux de ses fils, Lothaire et Pépin reçurent de lui l’ordre de se
rendre, le premier en Bavière, et le second en Aquitaine. Vers le même temps,
Hériold et Rainfroi, princes danois, vaincus et chassés de leurs États l’année
précédente par les enfants de Godefroi, rassemblèrent de nouvelles forces et
recommencèrent la guerre ; Rainfroi et l’aîné des fils de Godefroi y
périrent ; Hériold se défiant alors du succès de ses affaires vint trouver
l’empereur, et se remit entre ses mains. Ce prince l’accueillit bien, et lui
commanda d’aller en Saxe attendre le moment où il pourrait utilement lui porter
les secours qu’il sollicitait.
Les
Saxons et les Obotrites eurent de l’empereur l’ordre de se préparer à cette
expédition ; deux fois on tenta cet hiver le passage de l’Elbe ; mais la
température changea subitement, l’air s’adoucit et les glaces du fleuve se
rompirent ; il fallut donc renoncer à mettre à fin cette entreprise, et
attendre jusque vers le milieu de mai que, l’hiver étant terminé, le temps plus
favorable permit d’entrer en campagne. Alors tous les comtes Saxons et toutes
les troupes des Obotrites, se rendirent, conformément aux instructions de
Louis, et sous la conduite de Balderic son lieutenant, dans le pays des
Normands, au lieu nommé Sinleu, au-delà du fleuve de l’Eyder, pour secourir
Hériold ; ensuite, quittant cet endroit, ils posèrent enfin, et après sept
jours de marche, leur camp sur le rivage de l’Océan, et y demeurèrent trois
jours ; mais comme les fils de Godefroi, quoiqu’ils eussent rassemblé des
troupes nombreuses et une flotte de deux cents voiles, restaient enfermés dans
une île séparée du continent par une distance de trois milles, et n’osaient en
venir aux mains, les nôtres ravagèrent tous les bourgs des environs, reçurent
des peuples de ce pays quarante et un otages, et retournèrent en Saxe auprès de
l’empereur.
Il
tenait alors à Paderborn une assemblée générale de la nation, où tous les
grands et les députés des Esclavons orientaux vinrent le trouver. Avant qu’il
se rendit dans cette ville, et lorsqu’il était encore dans sa résidence
ordinaire, on lui rapporta que quelques-uns des principaux d’entre les Romains
avaient conspiré de tuer le pape Léon dans Rome même, et qu’ensuite le pontife
ayant eu révélation de ce complot, avait fait égorger tous les chefs de cette
faction ennemie. Mécontent de cette affaire, Louis termina promptement celle
des Esclavons et d’Hériold, renvoya celui-ci en Saxe, et se rendit à son palais
de Francfort. A son arrivée, il chargea son neveu Bernard, roi d’Italie, qui
l’avait accompagné dans le pays des Saxons, d’aller à Rome prendre connaissance
de ce qui s’était passé.
A
peine Barnard fut-il arrivé dans cette ville, que la maladie le força de
s’aliter ; il manda cependant à l’empereur par le comte Gérold, envoyé
avec lui à cet effet, tout ce qu’il avait appris de cette affaire. Ce messager
fut suivi de près par l’évêque Jean Théodore, maître des cérémonies, et le duc
Serge, députés du pontife, qui satisfirent pleinement César sur toutes les
accusations portées contre leur maître.
Les
envoyés des Sardes vinrent alors de Cagliari, et apportèrent des présents. Vers
ce temps encore la paix faite avec Abulaz, prince des Sarrasins, fut, après
trois ans, rompue comme inutile, et l’on reprit les hostilités contre lui.
Cependant
l’évêque Norbert et le comte Richwin revinrent de Constantinople et
rapportèrent l’expédition du traité que leur avait remise l’empereur Léon, ils
racontèrent, entre autres choses, que, dans le mois d’août, un violent
tremblement de terre, qui dura cinq jours consécutifs, avait renversé beaucoup
d’édifices de cette ville et ruiné les habitants de plusieurs autres
cités ; on dit même que, dans les Gaules, Saintes, ville d’Aquitaine, en
éprouva, en septembre, quelques secousses, et que le fleuve du Rhin, grossi par
les eaux des Alpes, se déborda d’une manière extraordinaire.
A
cette époque les habitants des États romains, voyant le pape Léon prêt à
succomber sous la maladie, se réunissent en armes, pillent d’abord et
détruisent ensuite par le feu les maisons que ce pontife avait bâties récemment
sur le territoire de chacune des cités ; cela fait, ils arrêtent d’aller à
Rome et de reprendre par la force tout ce qu’ils se plaignaient qu’on leur eût
enlevé. Le roi Bernard, instruit de ce projet, envoie des troupes, sous la
conduite de Winégise, duc de Spolète, apaise la sédition, contraint les
rebelles de se désister de leur entreprise, et expédie des messagers chargés de
rendre compte à l’empereur de ce qu’il avait fait.
Cependant
les Esclavons Sorabes se montraient peu soumis ; quand l’hiver fut passé,
les Saxons et les Francs orientaux reçurent donc l’ordre de marcher contre eux,
l’exécutèrent avec courage et réprimèrent, sans grande fatigue, l’audace des
rebelles. Lorsqu’en effet on eut pris une seule ville, tout ce qui, dans cette
nation, montrait du penchant à la révolte, promit de se soumettre et se tint
tranquille.
D’un
autre côté les Gascons, qui habitent au-delà de la Garonne et au pied des
Pyrénées, mécontents d’être privés de leur duc, nommé Siegwin, que l’empereur
leur avait enlevé à cause de sa trop grande insolence et de la dépravation de
son caractère, poussés par leur légèreté accoutumée, formèrent une conjuration
et s’abandonnèrent à tous les excès de la rébellion. Mais deux campagnes les
réduisirent si bien qu’il leur tardait de se soumettre et d’obtenir la paix.
Cependant
le seigneur pape Léon sortit de ce monde dans la vingt-et-unième année de son
pontificat, vers le 25 du mois de mai. Le diacre Étienne fut élu et ordonné à
sa place ; deux mois ne s’étaient pas encore écoulés depuis sa
consécration qu’il s’efforça de se rendre, à aussi grandes journées qu’il le
put, auprès de l’empereur auquel il avait cependant envoyé déjà deux légats
pour le prévenir de son élévation à la papauté. Dès que Louis fut informé de
son arrivée, il résolut de venir le recevoir à Reims, envoya des gens chargés
de l’y conduire, alla de sa personne au-devant de lui, et l’accueillit avec les
plus grands honneurs. Le pontife se hâta de dire à l’empereur quelques mots sur
le motif de son voyage, célébra la messe avec toute la solennité accoutumée, et
couronna ce prince en lui mettant le diadème sur la tête. Après avoir l’un et
l’autre échangé de nombreux présents, prodigué des festins magnifiques, cimenté
leur amitié par les liens les plus forts, et pris les mesures que permettait
l’opportunité des circonstances pour l’avantage ultérieur de la sainte Église
de Dieu, ils retournèrent, le pape à Rome, et l’empereur à son palais de Compiègne.
Pendant
le séjour qu’il y fit, ce monarque y reçut les députés des Obotrites et ceux
que lui adressa d’Espagne Abdérame, fils du prince Abulaz. Après s’être arrêté
dans ce lieu vingt jours entiers et même plus, Louis se rendit à
Aix-la-Chapelle pour y passer l’hiver.
Les
ambassadeurs envoyés de Saragosse par Abdérame, fils d’Abulaz, prince des
Sarrasins, étaient venus pour demander la paix. Louis leur donna d’abord
audience à Compiègne, puis leur enjoignit de le devancer à Aix-la-Chapelle. A son
arrivée dans cette ville, il y trouva Nicéphore que lui députait Léon, empereur
de Constantinople, relativement à quelques difficultés avec les Dalmates, et
lui ordonna d’attendre Cadolach, chargé de la garde des frontières de cette
contrée, qui n’était pas présent et qu’on croyait devoir venir sous peu. Dès
que celui-ci fut arrivé, la discussion des plaintes, portées par l’envoyé de
l’empereur s’établit entre eux ; mais, comme la question intéressait plusieurs
peuples et spécialement les Romains et les Esclavons, on remit à la décider sur
les lieux mêmes, et Albigaire, neveu d’Unroch, fut envoyé à cet effet avec
Cadolach et le député grec dont on a parlé.
Quant
aux ambassadeurs d’Abdérame, après avoir été retenus pendant trois mois, et
quand déjà ils commençaient à désespérer de pouvoir s’en aller, ils obtinrent
enfin la permission de partir.
Les
fils de Godefroi, roi des Danois, tourmentés par les ravages continuels
qu’Hériold exerçait dans leur pays, envoyèrent à l’empereur une députation pour
demander la paix et jurer de l’observer fidèlement mais ces protestations
parurent plus feintes que sincères ; on les négligea donc, comme choses
vaines, et on soutint Hériold contre eux.
Le
5 février, il y ce une éclipse de lune vers la seconde heure de la nuit, et une
comète parut dans le signe du Sagittaire vers le 5 janvier précédent. Le pape
Étienne mourut avant la fin du troisième mois qui suivit son retour à Rome. On
élut pour son successeur Paschal, qui, après avoir été solennellement consacré,
envoya des présents à l’empereur, avec une lettre d’excuse, dans laquelle il
l’assurait que le pontificat lui avait été imposé non seulement contre son vœu,
mais encore malgré ses refus réitérés. Ne s’en tenant pas là, il fit partir une
ambassade pour solliciter le renouvellement et la confirmation du traité conclu
avec ses prédécesseurs. Théodore, son maître des cérémonies, chargé de cette
mission, obtint ce qu’il demandait. Le cinquième jour de la Semaine Sainte,
auquel jour de la fête se célèbre la cène du Seigneur, comme Louis, revenant de
l’église après l’office, passait sous un portique en bois construit avec des
matériaux peu solides, les poutres qui supportaient la charpente et le plafond,
et qui, déjà pourries et vermoulues, ne pouvaient soutenir le moindre poids,
s’écroulèrent tout à coup sur l’empereur et plus de vingt personnes qui
l’accompagnaient, et les jetèrent par terre. La chute de ces poutres blessa
grièvement plusieurs de ceux qu’elle renversa ; quant au roi, il n’eut
d’autre mal qu’une contusion que lui fit aux dernières côtes du côté gauche la
garde de son épée, une légère blessure derrière l’oreille droite, et une
meurtrissure à la cuisse droite, auprès de l’aine, produite par quelque éclat
d’un lourd morceau de bois ; mais il fut promptement rétabli par le
secours des médecins qui s’empressèrent de lui donner des soins. Le vingtième
jour, en effet, après cet accident, il se rendit à Nimègue, et put s’y livrer à
l’exercice de la chasse. De retour à Aix-la-Chapelle, il y tint, comme de
coutume, une assemblée générale de la nation, y couronna Lothaire, le premier
né de ses fils, et l’associa au titre et à la puissance d’empereur. Quant à ses
autres fils qu’on appelait seulement rois, il préposa l’un au gouvernement de
l’Aquitaine, et l’autre à celui de la Bavière. Cette assemblée terminée, comme
il allait chasser dans les forêts des Vosges, il rencontra des députés de
l’empereur Léon, et leur donna audience dans son palais d’Ingelheim, près de
Mayence ; mais, reconnaissant que leur mission n’était autre que celle
dont avait été tout récemment chargé près de lui Nicéphore, envoyé du même
souverain, il les congédia promptement, et poursuivit sa route.
Ayant
appris vers cette époque la rébellion des Obotrites et de Sclaomir, il en
instruisit par un messager les comtes qui résidaient habituellement dans des
forts auprès de l’Elbe, pour mettre à l’abri de toute attaque les frontières
confiées à leur garde. La cause de cette révolte était l’ordre donné à
Sclaomir, qui jusqu’alors avait exercé seul l’autorité royale sur les Obotrites
depuis la mort de Thrasicon, de la partager avec Ceadrag, fils de celui-ci.
Cette injonction avait tellement irrité Scluomir, qu’il jura dès ce moment de
ne jamais passer le fleuve de l’Elbe pour se rendre au palais de l’empereur, et
députa sur-le-champ au-delà de la mer, vers les fils de Godefroi, afin de
contracter alliance avec eux. Il obtint de ces princes d’envoyer une armée
au-delà de l’Elbe : leur flotte, en effet, remonta ce fleuve jusqu’au château
d’Esselfeld, et dévasta toute la rive de la Sture, pendant que Gluom, préposé à
la garde de la frontière contre les Normands, conduisait des corps
d’infanterie, et se rendait par terre, en même temps que les Obotrites, au pied
de ce même château ; les nôtres leur ayant opposé une courageuse
résistance, ils abandonnèrent le siège de ce fort, et se retirèrent.
Pendant
que ces choses se passaient, l’empereur, après avoir terminé sa chasse, était
retourné à Aix-la-Chapelle ; on lui apprit là que son neveu Bernard, roi
d’Italie, poussé par les conseils de quelques hommes pervers, et affectant la
tyrannie, avait fortifié tous les passages, ou cluses, par lesquels on peut
entrer en Italie, et entraîné toutes les cités de ce pays à lui prêter serment
de fidélité. De ce rapport une partie était vraie et l’autre fausse. Comme
cependant, pour comprimer ces mouvements de révolte, l’empereur avait rassemblé
en grande hâte, de tous les points de la Gaule et de la Germanie, une immense
armée et s’avançait à marches forcées vers l’Italie, Bernard, inquiet de l’état
de ses affaires, depuis surtout qu’il se voyait chaque jour abandonné par les
siens, posa les armes et vint à Châlons-sur-Saône, se remettre entre les mains
de son oncle. Tous ses partisans suivirent son exemple, et non seulement mirent
bas les armes et se rendirent à discrétion, mais encore déclarèrent
volontairement et à la première question qu’on leur fit, comment les choses
s’étaient passées. Les chefs de cette entreprise criminelle furent Eggidéon le
premier d’entre tous les amis du roi, Reginbard camérier de ce prince,
Reginhaire fils du comte Meginhaire, dont l’oncle maternel Hardrad avait
autrefois ourdi en Germanie, avec un grand nombre de nobles de cette contrée,
une conspiration contre l’empereur Charles. Beaucoup d’autres personnages illustres
et d’un haut rang trempèrent en outre dans ce crime, et parmi eux étaient
quelques prélats, tels qu’Anselme évêque de Milan, Wolfold de Crémone, et
Théodulfe d’Orléans.
L’empereur
ayant éclairci cette oeuvre de ténèbres, mis au grand jour la conspiration et
réduit tous les séditieux en sa puissance, reprit la route d’Aix-la-Chapelle.
Quand le temps de jeûne du carême fut fini, et peu de jours après la Pâque,
Louis ordonna que les chefs de la conjuration qu’on a nommés plus haut, et le
roi Bernard, tous condamnés à la peine capitale par le jugement des Francs,
fassent seulement privés de la vue ; il confina dans des monastères les
évêques, préalablement déposés par un décret svnodal, et quant aux autres il
les exila ou les fit tondre et enfermer dans des couvents, selon qu’ils
parurent plus ou moins coupables. Ces choses ainsi réglées il marcha de sa
personne en Bretagne avec une armée considérable, et tint à Pannes l’assemblée
générale de la nation. Entrant ensuite dans la province dont il vient d’être
parlé, il prit toutes les places fortes des rebelles, et se rendit bientôt
maître, sans beaucoup de fatigues, du pays entier. Après, en effet, que Morman
qui s’y était arrogé l’autorité royale au mépris de l’usage constant des
Bretons, eut été tué par les troupes de l’empereur, il ne se trouva plus un
seul Breton qui résistât, ou qui refusât soit d’obéir aux ordres qu’il
recevait, soit de fournir les otages qu’on exigeait de lui. Cette expédition
achevée, l’empereur, après avoir congédié son armée, retourna dans la cité
d’Angers ; la reine Hermengarde sa femme, qu’en quittant cette ville il y avait
laissée malade, et dont l’état s’était toujours empiré, mourut là, le 3 octobre
et deux jours après que son mari fut venu la rejoindre. Le 8 juillet il y eut
une éclipse de soleil. L’empereur revint par Rouen, Amiens et Cambrai, passer
l’hiver à Aix-la-Chapelle ; comme il arrivait à Herstall, il rencontra des
députés de Siggon duc de Bénévent, qui apportaient des présents, et venaient
excuser leur maître sur la mort du duc Grimoald son prédécesseur. Là étaient
aussi les envoyés d’autres nations, et particulièrement ceux des Obotrites et
de Borna duc des Guduscans et des Timotians, qui ayant rompu récemment toute
société avec les Bulgares, s’étaient portés sur nos frontières ; là se
trouvèrent encore les députés de Liudewit, duc de la Pannonie inférieure, qui
machinant de nouvelles entreprises, s’efforçait d’accuser d’insolence et de
cruauté le comte Cadolach, préfet des Marches du Frioul. L’empereur, après
avoir entendu et congédié toutes ces députations, se rendit à Aix-la-Chapelle
pour y séjourner pendant l’hiver.
Cette
année on envoya l’armée des Saxons et des Francs orientaux au-delà de l’Elbe
punir la perfidie de Sclaomir, roi des Obotrites ; lui-même fut amené à
Aix-la-Chapelle par les préfets des frontières de Saxe et les lieutenants de
l’empereur qui commandaient les troupes ; les principaux d’entre son
peuple, qui avaient eu ordre de le suivre, l’accusaient d’une foule de
crimes ; lui ne pouvant opposer une raisonnable défense aux reproches
qu’on lui faisait, il fut donc condamné à l’exil et dépouillé de son royaume en
faveur de Céadrag, fils de Thrasicon. Il en arriva autant à Loup, duc de
Gascogne, qui livra, cette même année, à Bérenger, comte de Toulouse, et à
Warin, comte d’Auvergne, une bataille dans laquelle il perdit son frère
Garuhand, homme d’une remarquable folie, et où il aurait infailliblement péri
lui-même s’il n’eût cherché son salut dans la fuite. Ayant comparu devant
l’empereur, et ne pouvant se justifier de la perfidie dont le taxaient les
susdits comtes, il fut exilé pour un certain temps. L’assemblée
d’Aix-la-Chapelle se tint après la fête de Noël ; on y discuta et arrêta
plusieurs dispositions relatives à l’état des églises et des monastères ;
on ajouta aux lois et fixa par écrit quelques capitulaires indispensables et
qui manquaient. Cette réunion terminée, l’empereur, s’étant fait présenter
beaucoup de filles des premières familles, choisit pour femme Judith, fille du
comte Guelfe, de Bavière. Il tint ensuite dans le mois de juillet, à son palais
d’Ingelheim, une autre assemblée de la nation, et envoya une armée d’Italie en
Pannonie pour punir la rébellion de Liudewit ; nos troupes obtinrent peu
de succès et revinrent sans avoir presque rien fait. Liudenit, alors enflé
d’orgueil, députa vers l’empereur, sous couleur de demander la paix, et fit
proposer certaines conditions avec promesse de rentrer dans le devoir si on les
lui accordait ; elles furent rejetées ; mais dans le temps même qu’il
chargeait les envoyés d’en offrir de nouvelles, jugeant qu’il lui serait plus
avantageux de persister dans la perfidie où il s’était engagé, il expédia de
tous côtés des messagers et ne négligea rien pour entraîner les nations
voisines à la guerre. Il parvint si bien à détourner les Timotians, qui avaient
rompu toute société avec les Bulgares, de se rendre auprès de l’empereur et de
se remettre en sa puissance, et les abusa si complètement par des espérances
illusoires, qu’abandonnant leur premier dessein, ils devinrent les complices et
les auxiliaires de sa révolte. Cependant, après que notre armée eut quitté la
Pannonie, Cadolach, duc de Frioul, fut saisi de la fièvre et mourut sur le
territoire même de ses marches. Balderie, qu’on lui donna pour successeur,
était à peine entré dans le pays des Carinthiens compris dans son commandement,
qu’il se trouva en face de l’armée de Liudewit ; quoiqu’il n’eût qu’une
poignée de monde, il l’attaqua dans sa marche auprès de la Drave, lui tua
beaucoup de monde, le contraignit de prendre une autre route, et lui fit
évacuer cette contrée. Mais dans le même temps, Borna, duc de Dalmatie, avant,
à la tête de nombreuses troupes, tenté d’arrêter sur les bords de la Kulpe
Liudewit qui s’avançait contre lui, fut, au premier choc, abandonné des
Guduscans ; protégé cependant par les efforts de ses gardes, il parvint à
s’échapper. Dans le combat périt Dragomose, beau-père de Liudewit, qui avait
rompu avec son gendre dès le commencement de sa révolte et s’était uni à Borna.
Celui-ci soumit de nouveau les Guduscans rentrés dans leurs foyers ; mais
Liudewit, profitant d’une occasion favorable, entra en Dalmatie, dans le mois de
décembre, avec un fort corps de troupes et ravagea tout par le fer et le
feu ; alors Borna, qui se voyait hors d’état de tenir la campagne contre
lui, enferme dans ses châteaux forts tout ce qu’il possède, puis,avec un corps
d’élite, se porte tantôt sur les derrières, tantôt sur les flancs de l’armée de
Liudewit ; l’attaque de jour, de nuit, partout où il peut, ne souffre pas
qu’elle parcourre impunément son pays, la force enfin de le quitter après lui
avoir fait éprouver de grandes pertes, tué trois mille hommes, pris plus de
trois cents chevaux, enlevé ses bagages et toute sorte de butin, et envoie des
messagers rendre compte à l’empereur de la manière dont les choses s’étaient
passées.
Dans
le même temps et du côté de l’occident, Pépin, l’un des fils de Louis, entra en
Gascogne, par l’ordre de son père, à la tête d’une armée, enleva tous les
séditieux de cette province, et la pacifia si complètement qu’il paraissait n’y
être demeuré aucun individu rebelle ou même désobéissant. Alors aussi Hériold,
que les Obotrites avaient reconduit jusqu’à ses vaisseaux d’après les
instructions de l’empereur, gagna par mer sa patrie ; dans l’espoir d’en
occuper le trône ; mais on dit qu’on lui associa, pour régner
conjointement avec lui, deux des fils de Godefroi, et qu’on chassa du pays les
deux autres : ceci fut, au reste, regardé comme l’œuvre de la ruse.
L’empereur,
avant congédié l’assemblée de la nation, alla d’abord à Creutznach, puis à
Bingen et navigua heureusement sur le Rhin jusqu’à Coblentz ; de là il se
rendit dans les Ardennes pour prendre l’exercice de la chasse, et après s’y
être livré, suivant sa coutume, avec une suite nombreuse, il retourna passer
l’hiver à Aix-la-Chapelle.
Au
mois de janvier il se tint dans cette même ville une assemblée générale de la
nation ; on y traita de la rébellion et de Liudewit ; on y arrêta de
faire marcher tout à la fois trois armées de trois côtés différents pour
dévaster son pays et réprimer son audace ; et Borna envoya d’abord des députés,
puis vint lui-même suggérer ce qu’il lui paraissait utile de faire à cet égard.
Pendant cette même assemblée, Bera, comte de Barcelone, que ses voisins
taxaient depuis longtemps de fraude et d’infidélité, combattit à cheval son
accusateur, et fut vaincu. Lorsque ensuite on l’eut jugé coupable de
lèse-majesté, et condamné à la peine capitale, la miséricorde de l’empereur lui
fit grâce de la vie et l’exila à Rouen.
Dès
que l’hiver fut passé, et que l’herbe put fournir à la pâture des chevaux, les
trois armées destinées à combattre Liudewit, partirent ; l’une entra chez
lui par l’Italie et les Alpes Noriques, l’autre par le pays des Carinthiens, et
la troisième par la Bavière et la Pannonie supérieure. Deux de ces armées,
celle de droite et celle de gauche, ne pénétrèrent que tard chez l’ennemi ;
l’une eut à disputer, contre une poignée d’hommes déterminés, le passage des
Alpes ; l’autre fut retardée par la longueur du chemin et par la Drave qu’il
lui fallut passer ; mais la troisième, qui venait par la Carinthie, plus
heureuse quoiqu’elle rencontrât de la résistance sur trois points, battit
l’ennemi trois fois, traversa la Drave, et arriva, plus tôt à sa destination.
Liudewit, qui n’avait fait aucune disposition contre de si grands préparatifs,
se tint renfermé lui et les siens dans les murailles d’un château fort qu’il
avait élevé sur une montagne escarpée, et l’on assure que ni par lui-même, ni
par députés, il n’entama aucun pourparler ni sur la guerre ni sur la paix.
Cependant les trois armées opérèrent leur jonction, ravagèrent presque tout le
pays par le fer et le feu, et rentrèrent chez elles sans avoir éprouvé aucun
échec considérable. Celle pourtant qui revint par la Pannonie supérieure,
souffrit beaucoup de la dysenterie au passage de la Drave, par suite de
l’insalubrité des eaux et des lieux, et perdit de cette maladie une bonne
partie de son monde. Ces trois armées, au surplus, avaient été levées dans la
Saxe, la France orientale, l’Allemagne, la Bavière et l’Italie. Quand elles
eurent regagné leurs foyers, ceux de la Carniole, qui habitent les bords de la
Save et touchent presque au Frioul, se soumirent à Balderie, et une portion des
Carinthiens, qui nous avaient abandonnés pour suivre le parti de Liudewit, s’empressa
d’imiter cet exemple.
Vers
ce même temps, le traité juré entre nous et Abulaz, roi des Sarrasins, fut
rompu de dessein prémédité, comme n’étant assez avantageux à aucune des
parties, et on entreprit la guerre contre ce prince.
Pendant
que ces choses se passaient, des pirates prirent et submergèrent, dans la mer
d’Italie, huit vaisseaux marchands qui revenaient de Sardaigne en Italie. Mais
treize corsaires sortis de la Normandie, et qui tentèrent d’abord de piller le
littoral de la Flandre, furent repoussés par les garnisons ; toutefois, et
par l’incurie des gardes, ils brûlèrent sur ce point quelques misérables
chaumières, et enlevèrent un peu de menu bétail. Avant ensuite essayé d’en
faire de même à l’embouchure de la Seine, ils essuyèrent une vigoureuse
résistance de la part des gardes du rivage, eurent cinq des leurs tués, et se
retirèrent sans avoir réussi ; plus heureux enfin sur les côtes de l’Aquitaine,
ils dévastèrent entièrement un certain bourg nommé Buin, et regagnèrent leur
patrie chargés d’un immense butin.
Cette
année, les pluies continuelles et la trop grande humidité qui ramollit l’air,
causèrent de grandes maladies ; en effet, la contagion qui enlevait les
hommes et les bêtes à cornes étendit si cruellement et si au loin ses ravager,
qu’à peine aurait-on pu trouver dans tout le royaume des Francs un seul coin
que ce fléau eût laissé intact et exempt de malheur. D’un autre côté, les
grains et les légumes, gâtés par l’abondance continue des pluies, ne purent
être récoltés ou se pourrirent après l’avoir été. Le vin même, dont on ne fit
que très peu cette même année, fut aigre et plat, faute de chaleur. Dans
quelques endroits, enfin, les eaux dont les fleuves débordés avaient couvert la
terre, y séjournèrent si longtemps et empêchèrent tellement les semailles
d’automne, qu’on ne put absolument confier à la terre aucun de ses fruits avant
l’époque du printemps. Il y eut une éclipse de lune le 24 novembre, à la
seconde heure de la nuit. L’empereur après avoir tenu à Quiersy l’assemblée de la
nation, et fait, suivant la coutume, les grandes chasses d’automne, revint à
Aix-la-Chapelle.
L’assemblée
générale eut lieu dans cette ville au mois de février ; elle s’occupa de la
guerre contre Liudewit, et décréta que trois armées iraient encore l’été
suivant dévaster tour à tour les terres de ce perfide. Les mêmes mesures furent
prises relativement aux Marches d’Espagne, et les mêmes ordres donnés aux
préfets de cette frontière ; on arrêta de plus qu’une seconde assemblée se
réunirait au mois de mai à Nimègue, et l’on désigna les comtes qui devraient
s’y rendre. Le seigneur empereur se rendit dans cette ville, en s’embarquant
sur la Meuse, après la célébration des fêtes de Pâques : là, il examina de
nouveau le partage du royaume entre ses fils, fait et enregistré les années
précédentes, et voulut que les grands alors présents le garantissent par leurs
serments ; là encore, il reçut Pierre, évêque de Civita-Vecchia, et Léon maître
des cérémonies, députés du pontife romain Paschal, et les congédia promptement.
Après avoir ensuite désigné ceux des comtes présents qu’il chargea de
l’expédition de la Germanie, et n’être demeuré que fort peu de temps à Nimègue,
il reprit le chemin d’Aix-la-Chapelle. Quelques jours après son arrivée dans
cette ville, il se rendit à Trèves et à Metz, en traversant les Ardennes ; de
là gagnant le château de Remiremont, il passa le reste des chaleurs de l’été,
et la moitié de l’automne, à prendre l’exercice de la chasse, dans les lieux
les plus retirés des forêts des Vosges.
Cependant
Borna, duc de Dalmatie et de Croatie, étant mort, son neveu, nommé Ladasclav
[Ladislas], lui succéda sur la demande du peuple et du consentement de
l’empereur. Il se répandit, vers ce même temps, relativement à la mort de Léon,
empereur de Constantinople, qu’il avait été tué dans son propre palais, victime
d’une conspiration des grands de sa cour, et particulièrement de Michel comte
des domestiques, qu’on disait ceint du bandeau impérial par le suffrage des
citoyens et le dévouement des gardes prétoriennes. Alors encore Fortunat,
patriarche de Grado, accusé pros de l’empereur par un prêtre de son église,
nommé Tibère, d’avoir exhorté Liudewit à persévérer dans la révolte où il
s’était engagé, et de l’avoir aidé à fortifier ses châteaux, en lui fournissant
des maçons et d’autres ouvriers, reçut ordre de venir au palais. Faisant
d’abord mine d’obéir, il partit pour l’Istrie, feignit ensuite de retourner à
Grado, et sans qu’aucun des siens, excepté ceux avec lesquels il avait concerté
son projet, en eût le moindre soupçon, saisit un moment favorable et s’embarqua
secrètement ; arrivé à Jadère, cité de Dalmatie, il découvrit la cause de sa
fuite à Jean, préfet de sa province, qui lui donna place dans un vaisseau, et
le fit passer sur-le-champ à Constantinople.
Dans
le milieu du mois d’octobre se tint à Thionville une assemblée générale, où
accourut en foule la nation des Francs ; Lothaire, le premier né de l’empereur,
y épousa solennellement, suivant l’ancienne coutume, Hermengarde, fille du
comte Hugues ; Théodore primicier et Florus, envoyés du pontife romain, y
vinrent aussi chargés de riches présents ; on vit encore dans cette même
assemblée les comtes revenus de Pannonie, qui, après avoir ravagé tout le pays
des rebelles et des adhérents de Liudewit, et ne trouvant aucun ennemi qui se
présentât pour combattre, rentrèrent dans leurs foyers. Là, enfin, brilla dans
tout son éclat la singulière clémence du pieux empereur envers ceux qui, avec
son neveu Bernard avaient conspiré en Italie pour lui ravir sa couronne et le
jour. Les ayant fait comparaître en sa présence, non seulement il leur fit
grâce de la vie, et de la perte des membres ; mais encore il leur restitua par
un excès de libéralité, leurs possessions confisquées, par jugement de la loi,
au profit du fisc ; il rappela aussi Adalhard d’Aquitaine, on il l’avait
exilé, le rétablit supérieur et abbé du monastère de Corbie, comme il l’était
précédemment, et renvoya avec lui dans le même monastère Bernard, son frère,
admis au pardon. Ayant ainsi terminé toutes les choses entreprises pour
l’avantage du royaume, et fait confirmer par tous les grands le serment qu’une
partie seulement d’entre eux avaient prêté à Nimègue, ce prince revint à
Aix-la-Chapelle, et, après avoir célébré les nones de son fils Lothaire, avec
la pompe accoutumée, il l’envoya passer l’hiver à Worms.
Cette
année, tout fut tranquille du côté des Danois. Les fils de Godefroi avaient
admis Hériold au partage du royaume, et l’on attribue à cet arrangement la paix
qui régnait alors entre eux ; mais, comme on soupçonnait Céadrag, prince
des Obotrites, de trahison, et d’avoir contracté quelque alliance avec les fils
de Godefroi, Sclaomir, son rival, eut permission de retourner dans sa patrie. A
peine était-il arrivé en Saxe qu’il tomba malade, reçut le sacrement du baptême
et mourut.
Cette
année encore, la continuité des pluies empêcha dans plusieurs endroits les
semailles d’automne. A ces pluies succéda un hiver si long et si âpre que non
seulement les petits ruisseaux et les rivières peu considérables, mais encore
les plus grands et les plus célèbres fleuves, tels que le Rhin, le Danube,
l’Elbe, la Seine, et tous ceux qui vont, à travers la Gaule et la Germanie, se
décharger dans l’Océan, se couvrirent d’une glace tellement solide que, pendant
plus de trente jours, ils portèrent les chariots de transport d’une rive à
l’autre, comme si des ponts les eussent réunies ; ensuite la fonte de cette
glace ne causa pas de médiocres dommages aux métairies bâties sur les bords du
Rhin.
Dans
le pays des Thuringiens, en un certain lieu près d’un fleuve, un tertre de
gazon de cinquante pieds en longueur sur quatorze de largeur et un demi pied de
hauteur, fut coupé et enlevé de terre sans travail de la main des hommes, et
trouvé à vingt-cinq pieds de l’endroit d’où il avait été arraché. De même, dans
la partie orientale de la Saxe qui touche aux frontières des Sorabes, en un
certain lieu désert, prés du lac qu’on nomme Arnsee, le sol se souleva en forme
de terrasse, et, dans l’espace d’une seule nuit, sans le concours d’aucun
travail humain, éleva, sur une longueur d’une lieue, un boulevard qui
présentait l’aspect d’un véritable rempart.
Cette
année, Winégise, duc de Spolète, appesanti déjà par la vieillesse, quitta
l’habit séculier, et s’asservit à la vie monastique ; mais peu de temps
après il mourut accablé par les infirmités, et Suppon, comte de Brescia, fut
mis en sa place. Vers ce temps, le seigneur empereur ayant réuni un conseil
composé des évoques et des grands de ses États, fut pardonné par ses frères
qu’il avait fait raser contre leur vœu, et fit publiquement confession et
pénitence tant pour ce fait que pour les actes de sévérité exercés contre
Bernard, fils de son frère Pépin, ainsi que contre l’abbé Adalilard et son
fière Wala. Ces mortifications, il s’y soumit de nouveau en présence de tout
son peuple dans l’assemblée générale de la nation, qu’il tint cette même année,
dans le mois d’août, à Attigny, et apporta le soin le plus pieux à réparer tout
ce qu’il put découvrir d’actions semblables commises par son père ou par lui.
On
avait cependant envoyé une armée d’Italie en Pannonie, afin de terminer la
guerre contre Liudewit. A l’approche de ces troupes, celui-ci, abandonnant sa
cité de Siscia, s’enfuit chez les Sorabes, nation qu’on dit maîtresse d’une
grande partie de la Dalmatie, fit périr par trahison un de leurs ducs qui
l’avait accueilli, et réduisit en sa puissance le territoire où celui-ci
commandait. Toutefois il fit partir des députés pour l’armée de l’empereur, et
se dit dans l’intention de comparaître par-devant ce prince. Cependant les
Saxons construisirent, par les ordres de Louis, un fort au-delà de l’Elbe et
dans un lieu nommé Delbend, dont ils avaient chassé les Esclavons qui
l’occupaient auparavant ; et, pour s’opposer aux incursions de ce peuple,
on y mit une garnison saxonne. D’un autre côté, les comtes des Marches
d’Espagne pénétrèrent dans ce royaume au-delà de la Sègre, dévastèrent les
campagnes, brûlèrent un grand nombre de métairies, et revinrent chargés d’un
butin considérable ; de même les comtes des Marches de Bretagne, après
l’équinoxe d’automne, se jetèrent sur les possessions d’un certain breton nommé
Wihomarch, qui restait encore en état de rébellion, et ravagèrent tout par la
flamme et le fer. L’empereur, ayant clos alors l’assemblée d’Attigny, alla
chasser dans les Ardennes, et envoya son fils Lothaire en Italie ; il le fit
accomgagner du moine Wala, son parent, comme frère de l’abbé Adalhard, et de
Gérung, chef des portiers du palais, afin qu’il se gouvernât par leurs conseils
dans l’administration tant de sa maison que des affaires relatives aux intérêts
de son royaume. Quant à Pépin, son père lui enjoignit de se rendre en Aquitaine
; mais auparavant il le maria à la fille de Théodebert, comte de Mâcon, et le
fit partir après ses noces pour les contrées de l’ouest. Pour lui, lorsqu’il
eut fini la chasse d’automne, il alla passer l’hiver à Francfort, au-delà du
Rhin ; et là, dans une assemblée générale de la nation, il s’occupa,
conformément à l’antique usage, de régler, avec les grands qu’il avait
convoqués à cet effet, tout ce qui importait à la sûreté des frontières
orientales de son royaume. Ce fut dans cette même assemblée qu’il reçut les
députations et les présents que lui envoyèrent les Esclavons orientaux, c’est-à-dire,
les Obotrites, les Sorabes, les Wiltzes, les Bohémiens, les Marvaniens, les
Prédénécentins et les Avares, habitants de la Pannonie. Des ambassades venues
de Normandie, au nom tant d’Hériold que des fils de Godefroi, se rendirent
également à cette assemblée. Après les avoir entendues et congédiées toutes,
Louis séjourna l’hiver dans cette même ville de Francfort, où il avait fait
construire, ainsi qu’il se l’était proposé, de nouveaux bâtiments nécessaires
pour tenir sa cour.
Une
autre assemblée se réunit au même lieu dans le mois de mai. On n’y appela pas
les grands de toute la France ; ceux de la France orientale, de la Saxe, de
l’Allemagne, de la Bourgogne contiguë à l’Allemagne, et des contrées qui
avoisinent le Rhin, eurent seuls l’ordre de s’y rendre. Parmi les autres
députations des nations barbares qui s’y présentèrent, soit de leur propre
mouvement, soit en vertu d’injonctions qui leur avaient été faites, parurent
deux frères, tous deux rois des Wiltzes, en discussion pour l’empire ; ils s’appelaient
Méligast et Céléadrag, et tous deux étaient fils de Liub, roi des Wiltzes, qui,
quoiqu’il eût partagé le royaume avec ses frères, exerçait toutefois en qualité
d’aîné la suprême autorité sur tout le pays. ll avait été tué dans un combat
contre les Obotrites, et les Wiltzes s’étaient donné pour roi Méligast son fils
aîné ; mais, comme il usait peu dignement de l’autorité que la nation lui
avait confiée, conformément à ses anciens usages, on le rejeta et l’on
transporta à son frère les honneurs de la royauté. Cette affaire amena les deux
frères devant l’empereur. Dès que ce prince les eut entendus, et se fut assuré
que les vœux de la nation penchaient davantage en faveur du plus jeune, il
décida que celui-ci jouirait de la puissance que lui avait conférée le peuple,
et les renvoya cependant tous deux comblés de présents et liés à l’obéissance
par un serment.
Dans
la même assemblée on accusa auprès de Louis Céadrag, prince des Obotrites, d’en
agir avec peu de fidélité à l’égard des Francs, et de trop tarder à paraître en
présence de leur monarque ; on lui envoya donc des commissaires qu’il fit
accompagner à leur retour par quelques-uns des principaux de sa nation, chargés
de promettre en son nom qu’il se rendrait l’hiver prochain auprès de l’empereur.
Cependant
Lothaire après avoir, suivant l’ordre de son père, fait droit en Italie à
toutes les justes réclamations, se préparait à revenir ; mais il alla
jusqu’à Rome, à la sollicitation du pape Pascal. Accueilli par ce pontife avec
de grands honneurs, il reçut de lui, le jour même de Pâques et dans la
basilique de Saint-Pierre, la couronne, marque distinctive de l’autorité, ainsi
que les titres d’empereur et d’Auguste. Sur le compte qu’il rendit à son père
des affaires qu’il avait terminées par ses décisions, où préparées en Italie,
Adalhard, comte du palais, fut envoyé dans ce pays, avec ordre de s’adjoindre
Mauring, comte de Brescia, et d’apporter tous ses soins à statuer
définitivement sur ce qui n’était encore que commencé. Vers le même temps,
Louis, d’après l’élection faite et le consentement exprimé par le clergé de la
ville de Metz, donna pour pasteur à cette église, Drogon son frère qui vivait
sous la loi canonique, et trouva bon de l’élever au pontificat. Dans cette même
assemblée on indiqua le temps et le lieu de la tenue de l’assemblée suivante,
savoir le mois de novembre et le palais de Compiègne.
Au
moment où ces plaids finissaient et où, après avoir congédie les grands,
l’empereur était sur le point de quitter Francfort, on lui apporta la nouvelle
de la mort de Liudewit, qui, ayant laissé là les Sorabes, se rendit en Dalmatie
chez Liudemuth, oncle du duc Bernard, demeura quelque temps chez lui, et périt
par la perfidie de son hôte. Le bruit se répandit aussi que Théodore, primicier
de la sainte Église romaine, et Léon son gendre, maître des cérémonies, avaient
été d’abord privés de la vue, et ensuite décapités dans le palais pontifical de
Latran, et cela parce qu’ils s’étaient montrés fidèles en toutes choses au
jeune empereur Lothaire. Quelques gens prétendaient même que ces cruautés
s’étaient commises par l’ordre, ou au moins de l’aveu du pape Pascal. Adalung,
abbé du monastère de Saint-Vaast et Hunfroi, comte de la cour de justice
impériale, furent chargés d’aller prendre des informations, et faire une
enquête sévère à cet égard. Mais ils n’étaient pas encore partis que l’évêque
Jean, et Benoît, archidiacre du Saint-Siège apostolique, ambassadeurs de
Pascal, arrivèrent et supplièrent l’empereur de laver le pontife de
l’accusation infime qui tendait à faire croire qu’il avait donné son
consentement à la mort des hommes dont on a parlé plus haut. Louis leur
répondit comme la raison l’exigeait, les congédia, et enjoignit à ses
commissaires susdits d’aller à Rome, ainsi qu’il l’avait réglé d’abord, pour
rechercher la vérité des faits. Quant à lui, il finit l’été dans le pays de
Worms, passa ensuite dans les Ardennes, et après les chasses d’automne se
rendit à Compiègne, comme il l’avait dit, au commencement de novembre. Ses
commissaires arrivés à Rome ne purent acquérir aucune certitude sur ce qui s’y
était passé ; car le pape Pascal se purgea par le serment, ainsi qu’un
très grand nombre d’évêques, de toute participation à ce crime, défendit de
tout son pouvoir, comme gens appartenant au clergé de Saint-Pierre, les
meurtriers des personnages dont en a parlé, déclara ceux qui avaient été tués
coupables de lèse-majesté, et affirma qu’ils avaient été mis à mort justement.
A cette occasion donc il députa vers l’empereur, et fit suivre les commissaires
envoyés par ce prince de l’évêque Jean, de Serge bibliothécaire, de Quirinus
sous-diacre, et de Léon, maître de la milice.
Lorsque
Louis eut appris, tant par eux que par ses propres délégués, le serment du
pontife et la justification de ceux qu’on accusait, persuadé qu’il n’y avait
plus lieu pour lui à pousser davantage cette affaire, il renvoya l’évêque Jean
et ses collègues au pape avec une réponse convenable.
Vers
le même temps Céadrag, prince des Obotrites, se montrant fidèle à ses
promesses, vint à Compiègne, arec quelques-uns des principaux de sa nation, et
offrit à l’empereur des excuses assez plausibles pour avoir différé cette
démarche pendant tant d’années. Aussi, quoiqu’il parût coupable en certaines
choses, par considération cependant pour les bons services des siens, il lui
fut permis de retourner dans son royaume, non seulement quitte de toute peine,
mais même comblé de présents. Hériold accourut aussi de Normandie, sollicitant
des secours contre les fils de Godefroi, qui menaçaient de le chasser de sa
patrie. Les comtes Théothaire et Rotmund furent envoyés vers ceux-ci pour
informer avec soin sur cette affaire. Se hâtant de reconnaître à fond et la
conduite des fils de Godefroi, et l’état général de tout le royaume des
Normands, ils devancèrent le retour d’Hériold et mirent clairement sous les
yeux de l’empereur tous les documents qu’ils avaient recueillis dans ces
contrées. Avec eux revint Ebbon, archevêque de Reims, qui, de l’avis de
l’empereur et avec l’autorisation du pontife romain, s’était rendu sur les
frontières des Danois pour prêcher la religion, et avait, l’été précédent,
baptisé beaucoup d’entre eux convertis à la foi.
On
raconte que certains prodiges se firent remarquer cette année. Les principaux
furent un tremblement de terre qu’on ressentit dans le palais d’Aix, et une
jeune fille, à peine âgée de douze ans, qui, dans le territoire de Toul et près
de la ville de Commercy, s’abstint de toute nourriture pendant dix mois. En
Saxe, dans un bourg appelé Firisaz [Freysachs], la foudre tomba en plein jour,
par un temps serein, et le feu du ciel brûla vingt-trois maisons des
champs ; dans plusieurs endroits la grêle détruisit tous les fruits de la
terre, et avec cette grêle on vit tomber des pierres véritables et d’un grand
poids. Les flammes d’en haut consumèrent aussi des maisons çà et là, et l’on
rapporte encore que plus d’hommes et d’autres animaux que dans d’autres temps
furent frappés du tonnerre. A ces fléaux succédèrent une peste affreuse et une
grande mortalité qui, répandant leurs cruels ravages dans toute la France,
enlevèrent par leurs fureurs une innombrable multitude de personnes de tout âge
et de tout sexe.
Omortag,
roi des Bulgares, envoya vers l’empereur des députés avec des lettres, sous le
prétexte de conclure la paix. Louis, ayant entendu ces hommes et lu les
dépêches qu’ils apportaient, fut justement étonné de la nouveauté du fait, et
renvoya au susdit roi des Bulgares, avec ses propres messagers, un certain
Machelme, Bavarois, pour s’enquérir avec soin de la véritable cause d’une
ambassade si extraordinaire, et telle que jusqu’alors il n’en était jamais venu
en France. Cependant l’hiver fut si long et si dur que non seulement des
animaux, mais encore plusieurs hommes, périrent de la rigueur du froid. Il y
eut une éclipse de lune le 5 mars, à la seconde heure de la nuit. On répandit,
vers ce temps, le bruit de la mort de Suppon, duc de Spolète ; d’autre
part, les députés du pontife romain le trouvèrent, à leur retour à Rome,
attaqué d’une maladie grave, et déjà tout prés de sa fin : deux jours en effet
après leur arrivée, ce pape sortit de cette vie [le 11 mai]. Le peuple s’étant
partagé sur le choix de son successeur, deux sujets furent élus en même
temps ; mais Eugène, alors archi-prêtre du titre de sainte Sabine, l’emporta
par les efforts de sa noblesse, fut mis en leur place et consacré. Le
sous-diacre Quirinus, qui faisait partie de la précédente députation, vint
rendre compte de cette affaire à l’empereur. C’était le moment où l’assemblée
générale de la nation, indiquée pour le 24 juin, se tenait à Compiègne, et où
Louis se préparait à faire en personne une expédition en Bretagne. Ce prince
envoya donc à Rome Lothaire, son fils et son associé à l’empire, pour le
remplacer et régler sur des bases solides, entre le nouveau pontife et le
peuple romain, tout ce que paraîtrait exiger la nécessité des circonstances. Le
jeune prince se rendit en Italie vers le milieu d’août, pour exécuter cette
commission. Mais l’empereur différa la course qu’il voulait faire en Bretagne
jusqu’au commencement de l’automne, à cause de la famine qui se faisait alors
sentir dans toute sa force. Ayant enfin réuni ses troupes de toutes parts, il
se dirigea sur Rennes, cité contiguë aux frontières de la Bretagne. Là divisant
son armée en trois corps, il en confia deux à ses fils, Pépin et Louis, se
réserva la troisième, pénétra dans la Bretagne, et la ravagea par le fer et par
le feu. Après avoir employé quarante jours et plus à cette expédition, et reçu
les otages qu’il avait ordonné au perfide Breton de lui livrer, il partit le 17
novembre pour la ville de Rouen, où il avait prescrit à sa femme de l’attendre,
et aux députés de l’empereur Michel de venir à sa rencontre. Avec eux se rendit
auprès de lui Fortunat, patriarche de Grado ; mais les envoyés de Michel
apportaient des présents et des lettres, se disant uniquement chargés de
resserrer les liens de la paix, et ne parlèrent en rien de Fortunat ;
cependant, tout en traitant les autres objets de leur mission, ils mirent en
avant quelque chose du culte des images, et annoncèrent qu’ils devaient faire
le voyage de Rome, pour consulter à cet égard le chef du siège apostolique.
Louis, après les avoir entendus et congédiés avec sa réponse, ordonna de les
conduire à Rome, où ils assuraient vouloir se rendre. Quant à Fortunat., le
monarque s’étant informé de la cause de sa fuite, lui enjoignit de se rendre
aussi à Rome, afin d’y être interrogé par le pape. Lui-même enfin partit pour
Aix-la-Chapelle, où il avait résolu de passer l’hiver.
Lorsqu’il
y fut arrivé et y eut célébré les fêtes de la naissance de Notre-Seigneur, on
lui rapporta que des ambassadeurs du roi des Bulgares étaient en Bavière.
Envoyant à leur rencontre, il leur fit dire d’attendre dans ce pays le moment
où il jugerait à propos de les recevoir ; mais en même temps il permit
d’arriver jusqu’à Aix-la-Chapelle à ces députés qu’on lui disait venir vers lui
de la part des Obotrites, vulgairement nommas Prédénécentins, et qui habitent
la Dacie, province située le long du Danube, et limitrophe de la Bulgarie ;
et comme ces peuples se plaignaient d’être injustement molestés par les
Bulgares, et sollicitaient contre eux des secours, il fut enjoint à leurs
envoyés de retourner chez eux et de se présenter au terme fixé pour entendre
les ambassadeurs Bulgares. Suppon étant mort à Spolète, comme on l’a dit plus
haut, son duché fut alors conféré à Adalhard, comte du palais, qu’on appelait
Adalbard le jeune ; mais il jouissait de ce poste honorable depuis à peine
cinq mois, qu’il fut pris de la fièvre et mourut. Mauring, comte de Brescia,
qu’on lui donna pour successeur, tomba malade au moment où il venait de
recevoir l’annonce de l’honneur qu’on lui déférait, et termina sa vie peu de
jours après. Dans ce temps, les comtes Eble et Asinaire, envoyés avec des troupes
gasconnes à Pampelune, et, rentrant en France après avoir rempli l’objet de
leur mission, tombèrent dans une embuscade sur le sommet des Pyrénées, par la
trahison des montagnards ; cernés de toutes parts, et faits prisonniers,
ils virent les troupes qu’ils avaient avec eux mises en déroute, et presque
entièrement massacrées. Un dirigea Eble sur Cordoue ; mais Asinaire
obtint, de la pitié de ceux qui s’étaient emparés de lui et le considéraient
comme un homme du même sang qu’eux, la permission de retourner chez lui.
Cependant
Lothaire, qui s’était rendu à Rome ainsi que lui avait commandé son père, fut
reçu par le pape Eugène avec de grands honneurs. Ayant fait connaître ensuite à
ce pontife les ordres dont il était porteur, il réforma si bien, avec le bienveillant
assentiment d’Eugène, l’administration de l’État romain, corrompue par la
perversité de certains chefs, que tous ceux qu’on avait cruellement ruinés, par
le pillage de ce qu’ils possédaient, se virent magnifiquement indemnisés par la
restitution de leurs biens, et la durent à la bonté de Dieu et à l’arrivée de
ce prince.
Cette
année, peu de jours avant le solstice d’été, la température changea
subitement ; un effroyable orage éclata sur le territoire d’Autun, et l’on
raconte qu’avec la grêle tomba un énorme morceau de glace de quinze pieds de
longueur, sept de largeur et onze d’épaisseur.
Après
avoir célébré, avec la plus grande solennité, la sainte fête de Pâques à
Aix-la-Chapelle, et dès que la saison du printemps commença de sourire à la terre,
l’empereur alla chasser à Nimègue, et ordonna que les ambassadeurs Bulgares se
rendissent vers le milieu de mai dans la première de ces deux villes, car il
était résolu de retourner à cette époque pour tenir l’assemblée générale, dont,
à son retour de Bretagne, il avait indiqué à ses grands la réunion pour ce
moment et dans ce lieu. La chasse terminée, il revint en effet à
Aix-la-Chapelle et donna audience à la députation de Bulgarie, dont la mission
avait pour but de fixer les limites entre les Francs et les Bulgares. A
l’assemblée dont il s’agit se trouvèrent presque tous les principaux de la
Bretagne, et entre autres Wihomarch, qui avait troublé, par sa rébellion, tout
son pays, provoqué par sa folle obstination la colère de l’empereur et attiré sur
lui l’exécution militaire dont il a été parlé ; rendu enfin à des idées
plus saines il ne balançait pas, disait-il, à venir se remettre au nombre des
fidèles de l’empereur. Ce prince lui pardonna donc, le combla même de présents,
et le laissa retourner chez lui avec les autres grands de sa nation ;
mais, retombant dans la perfidie ordinaire à sa race, Wihomarch viola
promptement, comme il était habitué à le faire, la foi qu’il avait jurée, et ne
cessa de désoler ses voisins par le pillage et l’incendie jusqu’au moment où
enfin il fut cerné et tué dans sa propre demeure par les hommes du comte
Lambert.
Cependant
l’empereur, après avoir entendu l’ambassade de Bulgarie, répondit aux lettres
du roi de ce pays par les envoyés même que ce prince avait chargés de les lui
apporter. Ayant ensuite congédié l’assemblée de la nation, il alla chasser à
Remiremont dans les Vosges et y vit son fils Lothaire qui vint l’y trouver à
son retour d’Italie. La chasse finie, Louis reprit le chemin d’Aix-la-Chapelle
et y tint au mois d’août, suivant l’usage consacré, l’assemblée générale de son
peuple. Dans ce plaid, il reçut, entre autres députations arrivées des divers
pays, celle qu’envoyaient de Normandie les fils de Godefroi, et fit ratifier,
au mois d’octobre et sur leurs frontières même, la paix qu’ils lui demandaient.
Toutes les affaires qui paraissaient de la compétence de cette assemblée une
fois terminées, l’empereur se rendit à Nimègue avec son fils aîné ; le cadet
Louis, il l’envoya en Bavière, et lui-même, après les chasses d’automne, revint
à Aix-la-Chapelle vers le commencement de l’hiver.
On
assure que, dans le territoire de Toul et prés de Commercy, une certaine jeune
fille d’environ douze ans, après avoir reçu, le jour de Pâques, la sainte
communion de la main d’un prêtre, suivant la coutume des chrétiens, s’abstint
d’abord de pain, ensuite de toute nourriture et de toute boisson, et poussa son
jeûne si loin que, vers ce temps, s’accomplit la troisième année qu’elle avait
passée sans faire entrer dans son corps le moindre aliment et sans même
souhaiter aucune nourriture ; elle commença en effet son abstinence
l’année de l’incarnation de Notre-Seigneur 823, comme on l’a dit plus haut dans
l’histoire de cette même année, et c’est dans celle dont il s’agit actuellement,
c’est-à-dire en 825, vers le commencement de novembre, que, mettant fin à son
jeûne, elle se remit à prendre de la nourriture et à vivre à la manière du
reste des mortels.
Lorsque
les ambassadeurs du roi des Bulgares lui eurent rendu compte de ce qu’ils
avaient fait, il envoya de nouveau à l’empereur, avec des lettres, le même
homme qu’il lui avait député d’abord, suppliant ce prince d’ordonner que la
démarcation des frontières fût fixée sans aucun retard, ou que si cela ne lui
convenait pas, chacun au moins conservât ses limites actuelles, quoiqu’on n’eût
conclu aucun traité de paix ; mais il se répandit que le roi des Bulgares avait
été détrôné ou tué par un de ses grands. L’empereur différa donc de répondre à
l’envoyé ; il lui enjoignit au contraire d’attendre, et dépêcha Bertheric,
comte du palais, dans le pays des Carinthiens, vers les comtes Balderic et
Gérold, préposés à la garde des frontières des Avares, avec mission de
s’assurer de la vérité du bruit en question. Mais Bertheric, à son retour,
n’ayant rien rapporté de certain sur ce que publiait la renommée, Louis appela
près de lui le député, puis le fit repartir sans lettres.
Cependant
le roi Pépin, fils de l’empereur, se rendit, conformément à l’ordre qu’il en
avait reçu, avec les grands de son royaume et les commandants de la frontière
d’Espagne, vers le commencement de février, à Aix-la-Chapelle, où son père
passait alors l’hiver. Lorsqu’on eut discuté de concert avec eux et arrêté les
dispositions à faire pour défendre les frontières de l’Ouest contre les
Sarrasins, Pépin retourna dans l’Aquitaine, où il demeura l’été suivant tout
entier. Quant à Louis, quittant, dans le milieu de mai, Aix-la-Chapelle, il
arriva vers le commencement de juin à Ingelheim, y tint une assemblée nationale
assez nombreuse, entendit et congédia beaucoup de députations envoyées des
diverses parties de la terre. La principale, et qui l’emportait sur toutes les
autres, était celle dont le pontife romain avait chargé Léon, évêque de
Civita-Vecchia, Théophylacte, maître des cérémonies, et Dominique, abbé du
Mont-des-Oliviers des contrées au-delà des mers. Les fils de Godefroi, roi des
Danois, députèrent aussi pour solliciter paix et alliance. Quelques-uns des
principaux d’entre les Obotrites vinrent également du pays des Esclavons
accuser leur duc Céadrag; on porta plainte encore contre Tunglon, l’un des
chefs des Sorabes, de ce qu’il ne se montrait pas obéissant aux ordres qu’il
recevait ; et il fut signifié aux deux inculpas que, s’ils ne se rendaient
de bonne heure à l’assemblée générale que tiendrait l’empereur au mois
d’octobre, ils porteraient la peine due à leur peu de foi. On vit de plus à ce
plaid quelques-uns des grands de Bretagne amenés par les commandants de cette
frontière. Vers ce même temps, arriva Hériold avec sa femme et un grand nombre
de ses Danois. Il fut baptisé dans l’église de Saint-Albin, à Mayence, avec
tous ceux qui l’accompagnaient ; puis, comblé de présents par Louis,
entreprenant le chemin par lequel il était venu, il retourna chez lui par la
Frise, où on lui donna un comté appelé Rhiustri, afin qu’il pût s’y retirer
avec ce qu’il possédait, si quelque nécessité l’y contraignait. A cette même
assemblée, assistèrent Balderic et Gérold, comte des frontières de Pannonie,
qui déclarèrent n’avoir pu parvenir encore à rien savoir des mouvements des
Bulgares contre nous. Avec Balderic était venu un certain prêtre de Venise,
nommé George, qui se disait en état de fabriquer un orgue. L’empereur l’envoya
à Aix-la-Chapelle avec le sacristain Thanculf, et ordonna de lui fournir tous
les objets nécessaires à la confection de cet instrument. La prochaine
assemblée générale ayant été fixée et annoncée pour le milieu d’octobre, et
toutes les autres affaires étant terminées suivant l’ancienne coutume, Louis se
rendit avec sa suite, par-delà le Rhin, à une maison de campagne nommée Selz.
Là lui arrivèrent, de la part des Napolitains, des députés qui repartirent dès
qu’ils eurent reçu sa réponse. Là aussi on lui apporta la nouvelle de la fuite
et de la perfidie d’Aizon, qui, entré dans Ausone par trahison, et accueilli
des habitants séduits par ses artifices, avait détruit la cité de Roda,
approvisionné les châteaux de cette contrée qui paraissaient les plus forts,
envoyé son frère auprès d’Abdérame, roi des Sarrasins, et reçu de ce prince les
secours qu’il sollicitait contre nous. L’empereur, quoique vivement affecté de
ces détails, mais ne voulant rien faire sans une mûre réflexion, résolut
d’attendre l’époque de la réunion de ses conseillers. Après les chasses
d’automne, il s’embarqua vers le commencement d’octobre sur le Mein, et se
rendit heureusement par ce fleuve à Francfort ; de là il arriva vers le milieu
du même mois à Ingelheim où il tint, comme il avait été arrêté, l’assemblée
générale de son peuple. Il y donna audience à Céadrag, duc des Obotrites, et à
Tunglon, qui tous deux étaient accusés près lui de trahison. Ayant consenti à
recevoir le fils de Tunglon comme otage de sa fidélité, il permit à celui-ci de
retourner chez lui : mais pour Céadrag, il le retint, congédia tous les
autres Obotrites, et envoya dans leur pays des commissaires chargés de
rechercher si la masse de la nation voulait que Céadrag régnât sur elle. Cela
fait, Louis partit pour Aix-la-Chapelle, où il avait résolu de passer l’hiver.
Comme les commissaires envoyés chez les Obotrites rapportèrent, à leur retour,
que la nation était partagée sur la question de reprendre leur roi, mais que
les plus grands et les plus considérables s’accordaient à le recevoir, Louis
reçut de Céadrag les otages qu’il avait exigés, et le fit rétablir dans ses
États.
Pendant
que ces choses se passaient, Hilduin, abbé de Saint-Denis martyr, envoya
chercher à Rome les os du bienheureux martyr du Christ Sébastien, qu’Eugène,
chef alors du Saint-Siège apostolique, avait accordés à ses prières, et les fit
placer à Soissons dans la basilique de Saint Médard. Tandis que ces reliques,
toujours renfermées dans le coffre où on les avait apportées, n’étaient encore
que déposées dans cette église auprès du tombeau de saint Médard, il éclata une
telle multitude de miracles et de prodiges, et la bonté divine manifesta
tellement sa toute-puissance par les guérisons de tous genres opérées au nom de
ce bienheureux martyr, que nul mortel ne pourrait se faire une idée du nombre
de ces miracles, et que les paroles ne suffiraient pas à en exprimer la
variété. Quelques-uns même frappèrent, dit-on, d’un tel étonnement, qu’ils
passeraient les bornes de la croyance permise à notre faible humanité, s’il n’était
certain que Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour qui ce saint martyr avait
souffert, peut faire tout ce qu’il lui plaît par l’intervention de cette
puissance divine, à laquelle tout créature est soumise dans le ciel et sur la
terre.
L’empereur
chargea, l’année suivante, Hélisachar, prêtre et abbé, ainsi que les comtes
Hildebrand et Donat, d’aller réprimer les mouvements de rébellion qui
troublaient les Marches d’Espagne. Avant leur arrivée, Aizon, fort de l’appui
des Sarrasins, attaqua fréquemment les gens préposés à la garde de cette
frontière, et les fatigua tellement par de continuelles incursions, que
plusieurs d’entre eux se retirèrent, et abandonnèrent les châteaux qu’ils
devaient défendre. Un fils de Béra, nommé Hillemund, et beaucoup d’autres que
la légèreté naturelle à leur nation entraînait à l’amour des nouveautés,
désertèrent nos drapeaux pour les siens, et réunis aux Sarrasins, désolaient
journellement par le pillage et l’incendie la Cerdagne et le Vallais espagnol.
Pendant que d’une part l’abbé Hélisachar, de concert avec les autres délégués
de l’empereur, prenait, et par l’effet de sa propre sagesse et par les conseils
de ses collègues, les meilleures mesures pour calmer et ramener au devoir les
esprits des Goths et des Espagnols de cette frontière, et que de l’autre
Bernard, comte de Barcelone, opposait une courageuse résistance aux piéges
d’Aizon, à la ruse et aux machinations frauduleuses de ceux qui avaient
embrassé son parti, et rendait vains leurs téméraires efforts, il se répandit
qu’une armée envoyée par Abdérame, roi des Sarrasins, au secours d’Aizon,
s’approchait du côté de Saragosse. Abumarvan, parent du roi, qui lui avait
confié le commandement de ces troupes, se promettait, sur la parole d’Aizon,
une victoire certaine. L’empereur avait chargé Pépin son fils de marcher contre
lui à la tête d’une immense armée de Francs, et enjoint à ce jeune prince de
mettre à l’abri de tout danger les frontières de son propre royaume. Cet ordre
eût été exécuté si, par suite de la négligente lenteur des ducs qui
commandaient les divers corps des Francs, les troupes qu’ils amenaient ne
fussent arrivées dans les Marches d’Espagne plus tard que la nécessité des
circonstances ne le demandait. Ce retard fut si nuisible qu’Abumarvan, après
avoir ravagé les campagnes de Barcelone et de Gironne, brûlé les métairies et
pillé tout ce qu’il avait trouvé hors des murs des villes, se retira dans
Saragosse avec son armée sans qu’elle eût éprouvé la moindre perte. On regarda
comme des présages de ce revers des armées qui on aperçut plusieurs fois dans
le ciel, et la chute toujours si terrible de feux nocturnes à travers les airs.
Cependant
Louis avait tenu deux assemblées nationales, l’une à Nimègue, nécessitée par la
perfidie dont Herric, fils de Godefroi, roi des Danois, s’était rendu coupable
en faussant la promesse par laquelle il s’était engagé à comparaître dans cette
ville, en présence de l’empereur ; l’autre à Compiègne, pour recevoir les
dons annuels, et prescrire à ceux qu’on envoyait dans les Marches Espagnoles ce
qu’ils avaient à faire, et quelle conduite ils devaient tenir. Lui-même ensuite
partagea son temps entre Compiègne, Quiersy, et les autres palais voisins de
ceux-ci, jusqu’au commencement de la saison d’hiver.
Pendant
ce temps-là, les rois des Danois, c’est-à-dire les fils de Godefroi, excluant
Hériold de toute association au royaume, le forcèrent à s’éloigner des
frontières des Normands ; d’un autre côté les Bulgares, envoyant une armée
navale par la Drave, portèrent le fer et le feu dans le territoire des
Esclavons établis en Pannonie, chassèrent leurs ducs, et leur imposèrent des
chefs Bulgares. Dans le mois d’août mourut le pape Eugène ; le diacre
Valentin élu et consacré en sa place par les Romains, jouit à peine un mois du
pontificat ; lui mort, on élut Grégoire prêtre du titre de saint Marc ;
mais on ne le fit consacrer qu’après qu’un commissaire de l’empereur fut venu à
Rome, et eut examiné la validité de l’élection faite en septembre par le
peuple. Des députés de Michel, empereur de Constantinople, vinrent à Compiègne
avec la mission apparente de resserrer les liens d’amitié entre les deux
nations ; Louis les accueillit avec bienveillance, puis les congédia dans
le courant d’octobre. Enfin les corps des bienheureux martyrs Marcellin et
Pierre furent apportés de Rome en France, où les vertus de ces saintes reliques
se manifestèrent avec éclat, et par une foule de prodiges.
L’assemblée
d’Aix-la-Chapelle se tint au mois de février suivant; entre beaucoup d’autres
affaires, on traita spécialement tout ce qui regardait les Marches
d’Espagne ; les hommes qui avaient commandé l’armée furent reconnus
coupables et punis, comme ils le méritaient, par la perte de leurs dignités. on
dépouilla également de ses honneurs Balderic, duc de Frioul, qui, par une lâche
indolence, avait laissé les Bulgares dévaster impunément les frontières de la
Pannonie, et l’on partagea entre quatre comtes le territoire qui lui était
confié. Halitcaire, évêque de Cambrai, et Ansfried, abbé du monastère de
Nonentola, envoyés à Constantinople, y furent honorablement traités par
l’empereur Michel. Louis vint dans le mois de juin à Ingelheim, et y tint un
plaid qui ne dura que quelques jours. Il y prit la détermination de faire
partir ses fils Lothaire et Pépin pour les Marches d’Espagne, et leur traça la
conduite qu’ils avaient à tenir ; il entendit et congédia Quirinus
primicier et Théophylacte maître des cérémonies, députés du pontife romain, qui
étaient venus le trouver dans ce lieu ; puis il partit pour Francfort.
Après y avoir séjourné quelque temps, il se rendit à Worms, et de là continua
sa route pour Thionville, d’où il dirigea son fils Lothaire, avec une grande armée
de Francs, sur la frontière d’Espagne. Celui-ci, arrivé à Lyon, s’y arrêta pour
se donner le temps de recevoir des nouvelles qui lui confirmassent l’approche
des Sarrasins. Pendant cette attente, il eut des conférences avec son frère
Pépin, et quand on sut enfin que les Sarrasins n’osaient pas, ou ne voulaient
pas se présenter sur la frontière, Pépin reprit le chemin de l’Aquitaine, et
Lothaire retourna vers son père à Aix-la-Chapelle. Cependant comme on allait
s’occuper, sur la frontière des Normands, tant de renouveler l’alliance entre
ces peuples et les Francs que de statuer sur les intérêts d’Hériold, et lorsque
déjà presque tous les comtes de la Saxe s’étaient réunis à cet effet avec les
commandants des Marches, Hériold, trop empressé de hâter la conclusion de cette
affaire, rompit la paix jurée et garantie par des otages, pilla et incendia
quelques métairies des Normands. A cette nouvelle les fils de Godefroi
rassemblent promptement des troupes, marchent sur la frontière, passent le
fleuve de l’Eyder, tombent sur les nôtres qui, campés sur la rive, ne
s’attendaient pas à une telle attaque, emportent les retranchements, forcent
nos gens à la fuite, mettent tout au pillage, et se retirent dans leur camp
avec toute leur armée. Ensuite, avisant aux moyens de détourner la vengeance
d’une telle action, ils envoyèrent une députation à l’empereur, pour lui
représenter que c’était bien malgré eux et uniquement contraints par la
nécessité qu’ils s’étaient portés à cette extrémité ; qu’au surplus, ils étaient
prêts à fournir toutes les satisfactions possibles, et s’en remettaient à la
volonté de l’empereur de la réparation qu’il exigerait, pour que d’ailleurs la
paix demeurât stable entre les deux nations.
Vers ce temps, le comte Boniface, à
qui était confiée la garde de l’île de Corsé, ayant pris avec lui son frère
Berchaire et certains autres comtes, partit de la Toscane avec une petite
flotte, et croisa autour de la Corse et de la Sardaigne ; comme il
n’aperçut en mer aucun pirate, il passa en Afrique, débarqua entre Utique et
Carthage, rencontra une innombrable multitude d’habitants qui s’étaient
rassemblés subitement, en vint aux mains avec eux, les dispersa et les mit en
fuite cinq fois et plus, puis regagna ses vaisseaux, après avoir couché par
terre un grand nombre d’Africains, perdu par sa témérité quelques-uns des
siens, et imprimé par cette expédition une grande frayeur dans l’âme des gens
du pays. Au commencement de juin, et à la petite pointe du jour, la lune
s’éclipsa au moment de son coucher ; elle s’obscurcit de même au milieu de
la nuit, le 25 décembre, c’est-à-dire le jour de la nativité de Notre-Seigneur.
L’empereur arriva vers la fête de la Saint-Martin, à Aix-la-Chapelle, pour y
séjourner l’hiver, et y employa tout le temps de cette saison en diverses
assemblées convoquées pour régler les affaires urgentes du royaume.
Quand l’hiver fut à peu près fini,
dans le temps même du jeûne du carême, et peu de jours avant la sainte Pâques,
un tremblement de terre se fit sentir pendant la nuit à Aix-la-Chapelle ; en
même temps s’éleva un vent si impétueux qu’il enleva les toits, non seulement
des maisons des petites gens, mais même d’une bonne partie de la basilique de
la sainte mère de Dieu, qu’on nomme la Chapelle, quoiqu’elle fût recouverte de
lames de plomb. Louis, que diverses occupations avaient retenu à
Aix-la-Chapelle jusqu’au commencement de juillet, résolut enfin de partir dans
le mois d’août avec sa suite pour l’assemblée générale qui devait se tenir à
Worms. Mais avant qu’il se fût mis en route, il reçut la nouvelle que les
Normands voulaient envahir la partie de la Saxe au-delà de l’Elbe, et que dans
ce dessein leur armée s’approchait déjà de nos frontières. Fortement troublé de
ce rapport, il envoya dans toutes les contrées de la France l’ordre que le
peuple en masse marchât vers la Saxe en toute hâte, et il annonça que, de sa
personne, il passerait le Rhin à Nuitz dans le milieu de juillet. Cependant
aussitôt qu’il eut appris que le bruit répandu sur l’invasion des Normands
n’avait aucun fondement, il se rendit à Worms vers le milieu d’août, comme il
s’y était décidé. Là il tint l’assemblée générale de la nation, reçut les dons
annuels qui lui furent offerts, entendit et congédia plusieurs députations
venues tant de Rome et de Bénévent que d’autres pays éloignés. L’assemblée
finie, il envoya son fils Lothaire en Italie, et nomma chambellan du palais
Bernard, comte de Barcelone, qui jusqu’alors avait commandé dans les Marches
d’Espagne. Après que les autres affaires, qui paraissaient de la compétence de
l’assemblée, furent aussi préparées ou terminées comme il le fallait, et que
chacun eut été renvoyé chez soi, l’empereur se rendit à sa maison de Francfort
pour les chasses d’automne. Lorsqu’elles furent achevées, il retourna passer
l’hiver à Aix-la-Chapelle, et y célébra avec de grands transports de joie la
fête de Saint-Martin, celle du bienheureux apôtre André et le très saint jour
de la nativité de Notre-Seigneur.