Sadi CARNOT, président de la République française (3.12.1887 au 24.6.1894)
CARNOT MARIE FRANÇOIS SADI, dit SADI-CARNOT (1837-1894)
Homme d'État français né le 11 août 1837 à Limoges (Haute-Vienne), mort le 24 juin 1894 à Lyon (Rhône).
Marie François Sadi Carnot est le fils d'Hippolyte Carnot, député de la gauche républicaine et opposant virulent au régime de la monarchie de Juillet (1830-1848) devenu ministre d'État sous la IIe République, et le petit-fils de Lazare Carnot, révolutionnaire organisateur de la victoire de l'an II en 1793. Il suit des études d'ingénieur à l'École polytechnique, puis à l'École nationale des ponts et chaussées. Après avoir servi comme ingénieur en chef à Annecy sous le second Empire, il entame une carrière politique peu après la proclamation de la IIIe République. Il est nommé commissaire extraordinaire pour la basse Normandie, chargé par le gouvernement de la Défense nationale d'y organiser la résistance pendant la guerre franco-allemande de 1870. Il exerce les fonctions de préfet de la Seine-Inférieure (aujourd'hui Seine-Maritime) pendant une courte période, avant d'être élu député de la Côte-d'Or en 1871. Siégeant à la Chambre dans les rangs de la gauche républicaine, Carnot concentre ses efforts sur les travaux publics et le développement du chemin de fer.
Il est nommé sous-secrétaire d'État aux Travaux publics en 1878, puis ministre des Travaux publics en 1880. Élu vice-président de la Chambre des députés en 1883, il devient ministre des Finances en 1885. Il est élu président de la République en 1887 sans avoir spécialement aspiré à cette charge.
Le septennat de Sadi-Carnot est marqué par la crise boulangiste, l'éveil du mouvement ouvrier, les attentats anarchistes et le scandale du canal de Panamá (1892). Sa popularité perdure néanmoins, à travers dix cabinets successifs en sept années de présidence. Sadi-Carnot est mortellement blessé par l'anarchiste italien Santo Jeronimo Caserio à l'issue d'un discours prononcé lors d'une exposition à Lyon. Il repose au Panthéon, au côté de son illustre grand-père.
MARIE FRANÇOIS SADI, CARNOT dit SADI-CARNOT (1837-1894) - Encyclopædia Universalis
Né le 11 août 1837 à Limoges (Haute-Vienne), mort le 24 juin 1894 à Lyon (Rhône).
Représentant de la Côte-d'Or à l'Assemblée Nationale de 1871 à 1876.
Député de la Côte-d'Or de 1876 à 1887
Président de la République de 1887 à 1894.
Fils aîné de Lazare-Hippolyte Carnot (1801_1888), ministre, représentant du peuple aux Assemblées constituante et législative, député au Corps législatif impérial, représentant à l'Assemblée de 1871 et sénateur inamovible de 1875 à 1888, Marie-François-Sadi Carnot, représentant à l'Assemblée nationale de 1871, député de 1876 à 1888, ministre, puis président de la République française, est né à Limoges (Haute-Vienne), le 11 août 1837, suivant l'acte de naissance ainsi conçu :
« Aujourd'hui, treize août mil huit cent trente-sept à neuf heures du matin, par devant nous, Jean Poncet des Nouailles, adjoint de M. le maire de la ville de Limoges, faisant les fonctions d'officier de l'état civil soussigné : A comparu monsieur Lazare-Hippolyte Carnot, propriétaire, âgé de trente-six ans, demeurant rue Sainte Valérie, division nord, lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin, né le 11 courant, à six heures du soir, de lui comparant et de dame Jeanne-Marie-Grâce-Claire Dupont, son épouse, auquel enfant il a déclaré donner les prénoms de Marie-François-Sadi ; lesquelles présentation et déclaration faites en présence de Messieurs Antoine-Joseph-Edouard Dupont, officier de marine, âgé de vingt-sept ans, demeurant boulevard de la Pyramide, et de Gaucher Joseph Descoutures, conseiller à la cour royale de cette ville, âgé de cinquante ans, demeurant susdit boulevard ; lesquels, ainsi que le père ont signé avec nous le présent acte, après lecture faite,
« Ont signé au registre : H. Carnot, E. Dupont, Descoutures et Poncet père, adjoint ».
Le nouveau-né reçut le prénom de Sadi, nom d'un poète persan du XIIIe siècle, qui était déjà celui de son oncle paternel.
Elevé à Paris, au lycée Bonaparte, qui a gardé le souvenir de ses succès scolaires (trois prix au concours général de 1855), il y brillait comme helléniste : il apporta, une année, à la Saint-Charlemagne, une pièce de vers grecs. Il entra, le cinquième, en 1857, à l'Ecole polytechnique ; bientôt malade, il fut retardé d'un an ; mais il reprit vite son rang, et, en 1860, passa le premier à l'Ecole des ponts et chaussées, d'où il sortit major en 1863. À l'Ecole polytechnique il avait été rejoint par son frère, M. Adolphe Carnot, plus jeune que lui de deux ans; celui-ci, après avoir été élève, puis professeur à l'Ecole des Mines, est aujourd'hui directeur du laboratoire d'essai de cet établissement.
À sa sortie de l'Ecole des Ponts, M. Carnot resta pendant un an à Paris comme secrétaire adjoint du Conseil supérieur des ponts et chaussées, puis fut envoyé dans la Haute-Savoie pour y diriger le service d'ingénieur. Il s'adonna à cette tâche jusqu'en 1870, et travailla utilement à l'œuvre d'assimilation de la nouvelle province (la Savoie venait d'être rattachée à la France et se voyait dotée de travaux publics importants).
Quand la guerre éclata et que la République eut été proclamée, le jeune ingénieur se mit à la disposition du gouvernement de la Défense nationale, et lui apporta à Tours un modèle perfectionné de mitrailleuse qu'il avait inventée. M. de Freycinet s'attacha M. Carnot comme collaborateur jusqu'au 13 janvier 1871, puis lui confia la mission d'aller organiser au Havre la défense de la Basse-Seine, avec le titre de « préfet de la Seine-Inférieure et commissaire extraordinaire de la République dans la Seine-Inférieure, l'Eure et le Calvados. » Parvenu à son poste le 16 janvier, il s'entendit avec le général Loysel, le maire Ramel, le sous-préfet Leplieux, et, malgré les ressources médiocres d'un matériel et d'un effectif insuffisants, utilisa ses connaissances techniques pour mettre la ville du Havre en état de défense. Aux premiers bruits de la capitulation de Paris et de l'armistice, M. Carnot protesta par la dépêche suivante adressée au ministre de l'Intérieur, contre le projet d'élection d'une Assemblée chargée de traiter.
« Préfet à Intérieur.- 30 janvier,
11 h. 55 soir.
« Au ministre Gambetta, Bordeaux.
« Fidèle aux sentiments qui l'ont toujours animée, la démocratie de la Seine-Inférieure, émet le voeu suivant : Pas d'élections, lutte à outrance. »
CARNOT. »
Obligé cependant, d'exécuter les conditions de l'armistice signé par le gouvernement de Paris et engageant la France entière, le commissaire de la République s'efforça d'épargner des vexations aux communes envahies ou menacées par l'ennemi, et de sauver le matériel des chemins de fer afin de faciliter le ravitaillement de Paris.
Quand le gouvernement de M. Jules Simon, favorable à la paix immédiate, remplaça à Bordeaux les ministres partisans de la « guerre à outrance. » M. Carnot, par une dépêche du 7 février 1871, adressa à M. Arago, ministre de l'Intérieur, sa démission de préfet : « Si vous ne redoutez pas, lui disait-il, une Chambre telle que M. de Bismarck la désire, je ne puis vous suivre. En venant ici avec la mission d'organiser les forces de la défense, j'acceptais un poste de combat qui n'a de raison d'être qu'avec une Chambre fière et résolue, avec l'exclusion des partisans de la paix à tout prix. Pour rester fidèle à la ligne de conduite que je m'étais tracée, je vous remets donc mes fonctions et vous prie d'accepter ma démission ».
Le lendemain du jour où ces lignes étaient écrites, avaient lieu les élections pour l'Assemblée Nationale, et le département de la Côte-d'Or nommait parmi ses représentants, le 3e sur 8, avec 41, 711 voix (73 216 votants, 116 813 inscrits), M. Sadi Carnot.
Le nouveau député resta cependant à son poste jusqu'au renouvellement de l'armistice, et n'arriva à Bordeaux que le 19 février. Il prit place à gauche, se fit inscrire, comme son père, à la « gauche républicaine », et fut le secrétaire de ce groupe durant toute la législature. Il fut des 107 qui se prononcèrent contre le traité de Francfort, vota :
- contre l'abrogation des lois d'exil concernant les Bourbons,
- contre le pouvoir constituant de l'Assemblée,
- pour le retour à Paris,
- contre la démission de Thiers
- et contre le gouvernement du 24 mai.
Il repoussa le septennat, et adopta tous les projets qui aboutirent à l'établissement des lois constitutionnelles.
Il prit part à un certain nombre de discussions économiques et financières, fut, en 1873, membre de la commission chargée d'examiner les comptes définitifs du budget de 1869, le dernier de l'Empire, et publia, en 1875, la traduction d'un ouvrage de Stuart Mill sur la « Révolution de 1848 et ses détracteurs. »
Depuis 1871, M. Sadi-Carnot était conseiller général de la Côte-d’Or, pour le canton de Nolay ; il devint, plus tard, en 1883, vice-président du Conseil.
Elu, le 20 février 1876, député de la 2e circonscription de Beaune, par 7 058 voix (12,797 votants, 15 496 inscrits), contre MM. Benoît-Champy, 3 805 voix et Villers de Faye, 1 881, il fut choisi pour secrétaire par la Chambre nouvelle, puis nommé membre de la commission du budget et rapporteur du budget des travaux publics, en 1876 et en 1877.
Après la dissolution de la Chambre par le gouvernement du 16 mai, M. Sadi-Carnot, qui était des 363, fut réélu le 14 octobre 1877 dans sa circonscription par 7,584 voix (12 976 votants, 15 722 inscrits), contre 5 324 à M. Benoit-Champy. Il redevint secrétaire, membre de la commission du budget et rapporteur du budget des travaux publics, s'associa à tous les votes de la majorité républicaine et ne tarda pas à entrer dans le gouvernement. Il fut d'abord nommé sous-secretaire d'Etat au ministère des travaux publics par M. de Freycinet (1878), et conserva ces fonctions en 1879 avec M. Varroy, quand M. de Freycinet devint président du conseil. Il opina :
- pour l'invalidation de l'élection Blanqui à Bordeaux,
- pour le retour des Chambres à Paris,
- pour l'article 7 et l'application des lois existantes aux congrégations, etc.,
Le 23 septembre 1880, il remplaça M. Varroy comme ministre des travaux publics dans le premier cabinet Ferry. En cette qualité, M. Carnot accepta les conséquences, la charge et la responsabilité du fameux « plan Freycinet ».
Il fut réélu député le 21 août 1881, par 9 038 voix (9,991 votants, 15 617 inscrits). Lorsque le ministère Gambetta, dit le « grand ministère », fut formé, il quitta le pouvoir pour reprendre son siège de député. « Malgré son attitude pendant la guerre, a écrit M. G. A. Hubbard, député de Seine-et-Oise (Célébrités contemporaines, Sadi-Carnot, 1888), M. Carnot, comme M. Tirard, dont il devait faire plus tard son président du Conseil, ne fut jamais dans le cercle des amis de Gambetta ; il était plus modéré que ceux-ci lorsqu'ils étaient des radicaux, et il resta plus libéral qu'eux, quand ils devinrent des modérés autoritaires en se ralliant à M. Ferry. Aussi ne trouve-t-on jamais M. Carnot dans le groupe de l'Union républicaine.
Après la gauche républicaine il fit partie de l'Union démocratique, à la Chambre de 1881, mais il cessa de faire partie d'aucun groupe quand tous les éléments non-radicaux de la Chambre de 1885 se fondirent sous le nom d'Union des gauches. Il se montra toujours un modéré très ministériel dans ses votes, par goût de la stabilité, mais très indépendant dans ses relations avec les personnalités absorbantes. » En 1882, M. Carnot rentra à la commission du budget et fut de nouveau chargé du rapport sur les travaux publics. Il vota avec les modérés :
- contre l'amendement J. Roche sur l'élection du maire de Paris,
- contre l'abrogation du Concordat,
- contre l'élection de la magistrature.
Il fut vice-président de la Chambre de 1883 à 1885, et pendant l'année 1883, président de la commission du budget. Il produisit plusieurs grands rapports au nom des commissions des chemins de fer et des canaux, notamment sur le canal du Nord. M. Carnot rentra au pouvoir dans le ministère H. Brisson, le 7 avril 1885, avec le portefeuille des travaux publics. Mais, M. Clamageran s'étant retiré quelques jours après, M. Carnot passa des travaux publics aux finances. Il s'appliqua à restaurer les finances obérées, fit voter le budget, jeta les bases de la liquidation de la caisse des écoles et des chemins vicinaux, et organisa la conférence monétaire pour le renouvellement de l'Union latine.
Vinrent les élections de 1885, au scrutin de liste : le député de Beaune fut élu député de la Côte-d'Or sur la liste opportuniste, au second tour de scrutin, avec 55 833 voix (91 997 votants, 113 471 inscrits.) Quand le ministère Brisson se retira, M. Carnot fut conservé par M. de Freycinet : il dut aborder toutes les difficultés de la présentation du budget de 1887 à la Chambre renouvelée. Il le fit avec sincérité, avoua le déficit du budget ordinaire, et reconnut la nécessité de supprimer les budgets extraordinaires, qui, par leur système d'emprunts incessants, devenaient ruineux pour le pays. Il prit sur lui de limiter les fonds des caisses d'épargne mis en compte courant au trésor, mais ne s'associa que dans une mesure très restreinte à la volonté, brusquement manifestée par la majorité de la Chambre, de réduire les crédits des diverses administrations, et combattit fermement, sans passion, les demandes de réductions quand il les jugea excessives.
« Sa parole, un peu terne et sans éclat, dit encore M. G. A. Hubbard, mais ferme, nourrie de faits, dédaignant les agréments oratoires ou extérieurs, a toujours été égale à elle-même ; du reste M. Carnot n'a jamais abordé la tribune sans nécessité absolue. Il parle évidemment sans plaisir, pour traduire les pensées qu'il juge indispensable de communiquer à ses auditeurs. Il n'a aucune prétention d'émouvoir ni d'entraîner ; il veut être compris, et pour cela il est toujours clair, ordonné, maître de sa marche un peu compassée, sacrifiant tous les ornements du discours à la solidité du fond. Il parle comme il marche, comme il règle ses affaires, comme il vit, très méthodiquement. »
Le ministre fut battu sur plusieurs questions, à de fortes majorités ; il s'inclina devant ces votes et se retira. Mais, après la chute du cabinet sur la question des sous-préfets, quand il y eut une nouvelle commission à élire pour examiner le budget du successeur de M. Carnot, M. Carnot lui-même fut le premier des membres élus de cette commission.
Quelques mois plus tard, au cours des incidents scandaleux qui devaient amener la chute de M. Grévy, la Chambre rencontra une occasion nouvelle de rendre hommage à la probité du ministre Carnot. L'incident fit du bruit : M. Rouvier, ministre des finances et président du Conseil, discutant, le 5 novembre 1887, la nomination d'une commission d'enquête sur les faits reprochés au gendre de M. Grévy, M. Wilson, fut amené à rappeler le fait de la restitution par le Trésor au profit de M. Dreyfus, ami particulier du président Grévy, de certains droits régulièrement perçus. Le président du Conseil constata que cette restitution n'avait pas été accordée du premier coup, et qu'un ministre avait su s'affranchir des sollicitations, si hautes qu'elles fussent.
« Il ressort, dit-il, du dossier, qu'un de mes prédécesseurs, l'honorable M. Sadi-Carnot, a refusé la restitution qui lui était demandée. » (Applaudissements prolongés.)
Cet hommage, auquel s'associa toute l'assemblée, empruntait un caractère particulier à la crise gouvernementale que traversait alors le pays.
Les incidents de cette crise s'étant précipités, on en vint rapidement à songer à l'éventualité d'une vacance de la Présidence, et à l'intérêt qu'il y aurait à rajeunir, en le purifiant, le pouvoir exécutif. Après de longues tergiversations, M. Grévy donna sa démission.
On avait déjà mis en avant pour lui succéder les noms des principaux personnages du parti républicain : M. J. Ferry, M. de Freycinet. M. Floquet, M. Henri Brisson. Chacun d'eux avait des partisans très dévoués et de violents adversaires. Une candidature surtout, celle de M. Ferry, divisait irrémédiablement les républicains. Quelques-uns, en face de ces candidats très combattus, mirent en avant M. Sadi Carnot. Le 1er décembre au matin, MM. Dide, membre du groupe le plus avancé du Sénat, Colfavru, de la gauche radicale, et Hubbard, de l'extrême gauche de la Chambre, se rendirent auprès de M. Carnot, et lui expliquèrent qu'à leurs yeux sa candidature s'imposait comme la seule qui pût sans contestation faire l'union dès la première heure ; qu'il serait excellent pour la République de fêter le centenaire de 1789 avec la présidence d'un Carnot; qu'il était politique de mettre fin à la crise, en choisissant un homme modeste et probe, dégagé de l'esprit de coterie, et capable d'agir efficacement tout en restant dans les limites de son rôle constitutionnel. M. Carnot accepta.
Au jour de l'élection (3 décembre), les candidats de combat disparurent au fur et à mesure des scrutins préparatoires qui eurent lieu soit au Palais-Bourbon, soit au théâtre des Variétés à Versailles.
Le premier tour de scrutin de la réunion plénière des gauches donna les résultats suivants :
MM. Jules Ferry..... 200 voix
de Freycinet.......... 192 -
Henri Brisson......... 81 -
Sadi Carnot............. 69 -
Saussier.................... 7 -
Floquet....................... 1 -
Ribot........................... 1 -
Le deuxième tour, votants 552 :
MM. Jules Ferry..... 216 voix
de Freycinet .......... 196 -
Brisson..................... 79 -
Sadi Carnot.............. 61 -
Le troisième tour, votants 502 :
MM. Jules Ferry ..... 179 voix
Sadi Carnot............ 162 -
de Freycinet............ 109 -
Brisson...................... 52 -
Enfin, dans le Congrès, les voix se trouvèrent ainsi réparties :
Premier tour de scrutin :
MM. Sadi Carnot..... 303 voix
Jules Ferry............... 212 -
Général Saussier... 148 -
de Freycinet .............. 76 -
Général Appert.......... 72 -
Brisson....................... 26 -
Floquet ......................... 5 -
Anatole de la Forge.... 2 -
Félix Pyat...................... 2 -
Pasteur ........................ 2 -
Spuller ......................... 1 -
Alors M. Ferry se désista, et le second tour de scrutin donna à M. Carnot, seul candidat des gauches, 616 suffrages, contre 188 au général Saussier, pour qui les droites avaient voté, sans qu'il eût accepté la candidature.
Proclamé président de la République Française pour sept années, M. Carnot, après avoir reçu plusieurs hommes politiques de nuances diverses, chargea M. Tirard de constituer son premier ministère. Puis il adressa aux Chambres (12 décembre 1887), un message où il disait :
« Le gouvernement s'efforcera de rendre facile l'accord nécessaire de vos volontés en vous appelant sur le terrain commun des intérêts moraux et matériels de la nation. Avec l'apaisement, la sécurité, la confiance, il voudra assurer au pays les progrès réfléchis, les réformes pratiques destinées à encourager le labeur national, à fortifier le crédit, à amener la reprise des affaires et à préparer les grandes assises industrielles de 1889. Il se préoccupera des mesures qui touchent les conditions du travail et de l'hygiène, de la mutualité et de l'épargne. Il s'attachera à l'amélioration des finances, au sérieux équilibre des budgets, à la simplification du fonctionnement administratif et judiciaire et à l'irréprochable gestion des affaires publiques... etc. »
Tour à tour, suivant les indications parlementaires, le président de la République a confié la direction des affaires à MM. Floquet et Constans. Il a signé le décret de mise à la retraite d'office du général Boulanger, (27 mars 1888), et présidé solennellement à l'ouverture de l'Exposition universelle (mai 1889).
M. Carnot à épousé Melle Dupont-White, fille de l'économiste (1807-1878).
Biographie extraite du
dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 .
(Adolphe Robert et Gaston Cougny)
Malgré les difficultés auxquelles il eut à faire face durant sa présidence : affaire de Panama, affaire Wilson, agitation boulangiste etc..., l'ordre ne fut jamais troublé et il sut gagner à la France un surcroît de prestige à l'étranger. Dès son avènement il s'était fait un devoir d'assister à toutes les solennités publiques et d'entreprendre des voyages dans les départements pour en étudier les besoins et les satisfaire autant qu'il se pouvait. Sa présence contribuait à répandre dans les populations françaises le sens de la concorde et l'attachement à la République. N'avait-il pas déclaré en acceptant son mandat, qu'il le considérait comme un haut témoignage du désir de pacification et de concorde, dont la France était animée ?
C'est au cours d'un de ces voyages, alors qu'il visitait l'exposition de Lyon au Palais de la Bourse, le 24 juin 1894, qu'un anarchiste italien, Caserio, le frappa au flanc d'un coup de poignard. Il mourut dans la nuit, des suites de cet abominable attentat.
À la séance de la Chambre des Députés du lendemain, le Président Casimir-Perier donna lecture à ses collègues d'une lettre du Chef du gouvernement Charles Dupuy faisant part de la douloureuse nouvelle. La même cérémonie eut lieu le même jour au Sénat où la même lettre fut lue par le Président Challemel-Lacour.
« M. Carnot a succombé cette nuit à Lyon, aux suites de l'odieux attentat dont il avait été victime à la sortie du Palais de la Bourse. La France, frappée de stupeur à la nouvelle de ce crime abominable, transmet de toutes parts au Gouvernement l'expression de son émotion et de sa douleur. Elle pleure dans le Président de la République le loyal serviteur, le citoyen intègre qui, pendant sept années a porté avec honneur et fidélité le drapeau national, et inspiré à l'Europe des sentiments qui nous sont une consolation dans la cruelle épreuve que nous traversons. La République gardera la mémoire de son Président. Sa sympathie est acquise à la famille qui le pleure et qui, comme lui, est digne de la France. Le pays tout entier s'associera au mouvement d'indignation que l'attentat de Lyon excite au sein du Gouvernement et de la représentation nationale. »
Les deux présidents, en des paroles émues associèrent leur Assemblée aux sentiments exprimés par le Chef du Gouvernement et les Chambres se séparèrent au milieu de la plus grande émotion. Ses funérailles nationales eurent lieu le dimanche 1er juillet, et son corps fut inhumé au Panthéon.
Il avait épousé la fille de l'économiste Dupont-White. Celle-ci ne cessa de l'assister durant son septennat, avec un admirable dévouement. Elle refusa la pension nationale que le Gouvernement désirait lui attribuer. Compatissante à toutes les misères, elle laissa en mourant, en 1898, une somme de 50.000 francs à la « Fondation Carnot » qui distribuait des secours aux veuves des ouvriers.
Sadi Carnot était le père d'Ernest et de François Carnot, et l'oncle de Jean Carnot.
Biographie extraite du
dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940
(Jean Jolly)
Le 3 décembre 1887, suite à la démission de Jules Grévy, les parlementaires élisent à la présidence de la République Sadi Carnot (50 ans), petit-fils du conventionnel Lazare Carnot, ami de Robespierre ! Jules Ferry, candidat malheureux, doit s'incliner.
La présidence est troublée par la montée de l'antiparlementarisme et la poussée électorale du général Boulanger, lequel finira par s'enfuir et se suicidera sur la tombe de sa maîtresse. Mais le président aura aussi l'immense satisfaction de célébrer le centenaire de la Révolution le 5 mai 1889 à Versailles puis d'inaugurer l'exposition universelle de Paris le 6 mai et la Tour Eiffel le 15 mai !
Le président est assassiné par un anarchiste italien du nom de Caserio le 24 juin 1894, en inaugurant une exposition à Lyon. Cet assassinat n'est pas isolé mais coïncide avec une flambée d'anarchisme meurtrier dans toute l'Europe.
Sadi, Marie, François Carnot
Né le 11 août 1837 à Limoges (Haute-Vienne), mort le 24 juin 1894 à Lyon (Rhône).
Représentant de la Côte-d'Or à l'Assemblée Nationale de 1871 à 1876.
Député de la Côte-d'Or de 1876 à 1887
Président de la République de 1887 à 1894.
Fils aîné de Lazare-Hippolyte Carnot (1801_1888), ministre, représentant du peuple aux Assemblées constituante et législative, député au Corps législatif impérial, représentant à l'Assemblée de 1871 et sénateur inamovible de 1875 à 1888, Marie-François-Sadi Carnot, représentant à l'Assemblée nationale de 1871, député de 1876 à 1888, ministre, puis président de la République française, est né à Limoges (Haute-Vienne), le 11 août 1837, suivant l'acte de naissance ainsi conçu :
« Aujourd'hui, treize août mil huit cent trente-sept à neuf heures du matin, par devant nous, Jean Poncet des Nouailles, adjoint de M. le maire de la ville de Limoges, faisant les fonctions d'officier de l'état civil soussigné : A comparu monsieur Lazare-Hippolyte Carnot, propriétaire, âgé de trente-six ans, demeurant rue Sainte Valérie, division nord, lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin, né le 11 courant, à six heures du soir, de lui comparant et de dame Jeanne-Marie-Grâce-Claire Dupont, son épouse, auquel enfant il a déclaré donner les prénoms de Marie-François-Sadi ; lesquelles présentation et déclaration faites en présence de Messieurs Antoine-Joseph-Edouard Dupont, officier de marine, âgé de vingt-sept ans, demeurant boulevard de la Pyramide, et de Gaucher Joseph Descoutures, conseiller à la cour royale de cette ville, âgé de cinquante ans, demeurant susdit boulevard ; lesquels, ainsi que le père ont signé avec nous le présent acte, après lecture faite,
« Ont signé au registre : H. Carnot, E. Dupont, Descoutures et Poncet père, adjoint ».
Le nouveau-né reçut le prénom de Sadi, nom d'un poète persan du XIIIe siècle, qui était déjà celui de son oncle paternel.
Elevé à Paris, au lycée Bonaparte, qui a gardé le souvenir de ses succès scolaires (trois prix au concours général de 1855), il y brillait comme helléniste : il apporta, une année, à la Saint-Charlemagne, une pièce de vers grecs. Il entra, le cinquième, en 1857, à l'Ecole polytechnique ; bientôt malade, il fut retardé d'un an ; mais il reprit vite son rang, et, en 1860, passa le premier à l'Ecole des ponts et chaussées, d'où il sortit major en 1863. À l'Ecole polytechnique il avait été rejoint par son frère, M. Adolphe Carnot, plus jeune que lui de deux ans; celui-ci, après avoir été élève, puis professeur à l'Ecole des Mines, est aujourd'hui directeur du laboratoire d'essai de cet établissement.
À sa sortie de l'Ecole des Ponts, M. Carnot resta pendant un an à Paris comme secrétaire adjoint du Conseil supérieur des ponts et chaussées, puis fut envoyé dans la Haute-Savoie pour y diriger le service d'ingénieur. Il s'adonna à cette tâche jusqu'en 1870, et travailla utilement à l'œuvre d'assimilation de la nouvelle province (la Savoie venait d'être rattachée à la France et se voyait dotée de travaux publics importants).
Quand la guerre éclata et que la République eut été proclamée, le jeune ingénieur se mit à la disposition du gouvernement de la Défense nationale, et lui apporta à Tours un modèle perfectionné de mitrailleuse qu'il avait inventée. M. de Freycinet s'attacha M. Carnot comme collaborateur jusqu'au 13 janvier 1871, puis lui confia la mission d'aller organiser au Havre la défense de la Basse-Seine, avec le titre de « préfet de la Seine-Inférieure et commissaire extraordinaire de la République dans la Seine-Inférieure, l'Eure et le Calvados. » Parvenu à son poste le 16 janvier, il s'entendit avec le général Loysel, le maire Ramel, le sous-préfet Leplieux, et, malgré les ressources médiocres d'un matériel et d'un effectif insuffisants, utilisa ses connaissances techniques pour mettre la ville du Havre en état de défense. Aux premiers bruits de la capitulation de Paris et de l'armistice, M. Carnot protesta par la dépêche suivante adressée au ministre de l'Intérieur, contre le projet d'élection d'une Assemblée chargée de traiter.
« Préfet à Intérieur.- 30 janvier,
11 h. 55 soir.
« Au ministre Gambetta, Bordeaux.
« Fidèle aux sentiments qui l'ont toujours animée, la démocratie de la Seine-Inférieure, émet le voeu suivant : Pas d'élections, lutte à outrance. »
CARNOT. »
Obligé cependant, d'exécuter les conditions de l'armistice signé par le gouvernement de Paris et engageant la France entière, le commissaire de la République s'efforça d'épargner des vexations aux communes envahies ou menacées par l'ennemi, et de sauver le matériel des chemins de fer afin de faciliter le ravitaillement de Paris.
Quand le gouvernement de M. Jules Simon, favorable à la paix immédiate, remplaça à Bordeaux les ministres partisans de la « guerre à outrance. » M. Carnot, par une dépêche du 7 février 1871, adressa à M. Arago, ministre de l'Intérieur, sa démission de préfet : « Si vous ne redoutez pas, lui disait-il, une Chambre telle que M. de Bismarck la désire, je ne puis vous suivre. En venant ici avec la mission d'organiser les forces de la défense, j'acceptais un poste de combat qui n'a de raison d'être qu'avec une Chambre fière et résolue, avec l'exclusion des partisans de la paix à tout prix. Pour rester fidèle à la ligne de conduite que je m'étais tracée, je vous remets donc mes fonctions et vous prie d'accepter ma démission ».
Le lendemain du jour où ces lignes étaient écrites, avaient lieu les élections pour l'Assemblée Nationale, et le département de la Côte-d'Or nommait parmi ses représentants, le 3e sur 8, avec 41, 711 voix (73 216 votants, 116 813 inscrits), M. Sadi Carnot.
Le nouveau député resta cependant à son poste jusqu'au renouvellement de l'armistice, et n'arriva à Bordeaux que le 19 février. Il prit place à gauche, se fit inscrire, comme son père, à la « gauche républicaine », et fut le secrétaire de ce groupe durant toute la législature. Il fut des 107 qui se prononcèrent contre le traité de Francfort, vota :
- contre l'abrogation des lois d'exil concernant les Bourbons,
- contre le pouvoir constituant de l'Assemblée,
- pour le retour à Paris,
- contre la démission de Thiers
- et contre le gouvernement du 24 mai.
Il repoussa le septennat, et adopta tous les projets qui aboutirent à l'établissement des lois constitutionnelles.
Il prit part à un certain nombre de discussions économiques et financières, fut, en 1873, membre de la commission chargée d'examiner les comptes définitifs du budget de 1869, le dernier de l'Empire, et publia, en 1875, la traduction d'un ouvrage de Stuart Mill sur la « Révolution de 1848 et ses détracteurs. »
Depuis 1871, M. Sadi-Carnot était conseiller général de la Côte-d’Or, pour le canton de Nolay ; il devint, plus tard, en 1883, vice-président du Conseil.
Elu, le 20 février 1876, député de la 2e circonscription de Beaune, par 7 058 voix (12,797 votants, 15 496 inscrits), contre MM. Benoît-Champy, 3 805 voix et Villers de Faye, 1 881, il fut choisi pour secrétaire par la Chambre nouvelle, puis nommé membre de la commission du budget et rapporteur du budget des travaux publics, en 1876 et en 1877.
Après la dissolution de la Chambre par le gouvernement du 16 mai, M. Sadi-Carnot, qui était des 363, fut réélu le 14 octobre 1877 dans sa circonscription par 7,584 voix (12 976 votants, 15 722 inscrits), contre 5 324 à M. Benoit-Champy. Il redevint secrétaire, membre de la commission du budget et rapporteur du budget des travaux publics, s'associa à tous les votes de la majorité républicaine et ne tarda pas à entrer dans le gouvernement. Il fut d'abord nommé sous-secretaire d'Etat au ministère des travaux publics par M. de Freycinet (1878), et conserva ces fonctions en 1879 avec M. Varroy, quand M. de Freycinet devint président du conseil. Il opina :
- pour l'invalidation de l'élection Blanqui à Bordeaux,
- pour le retour des Chambres à Paris,
- pour l'article 7 et l'application des lois existantes aux congrégations, etc.,
Le 23 septembre 1880, il remplaça M. Varroy comme ministre des travaux publics dans le premier cabinet Ferry. En cette qualité, M. Carnot accepta les conséquences, la charge et la responsabilité du fameux « plan Freycinet ».
Il fut réélu député le 21 août 1881, par 9 038 voix (9,991 votants, 15 617 inscrits). Lorsque le ministère Gambetta, dit le « grand ministère », fut formé, il quitta le pouvoir pour reprendre son siège de député. « Malgré son attitude pendant la guerre, a écrit M. G. A. Hubbard, député de Seine-et-Oise (Célébrités contemporaines, Sadi-Carnot, 1888), M. Carnot, comme M. Tirard, dont il devait faire plus tard son président du Conseil, ne fut jamais dans le cercle des amis de Gambetta ; il était plus modéré que ceux-ci lorsqu'ils étaient des radicaux, et il resta plus libéral qu'eux, quand ils devinrent des modérés autoritaires en se ralliant à M. Ferry. Aussi ne trouve-t-on jamais M. Carnot dans le groupe de l'Union républicaine.
Après la gauche républicaine il fit partie de l'Union démocratique, à la Chambre de 1881, mais il cessa de faire partie d'aucun groupe quand tous les éléments non-radicaux de la Chambre de 1885 se fondirent sous le nom d'Union des gauches. Il se montra toujours un modéré très ministériel dans ses votes, par goût de la stabilité, mais très indépendant dans ses relations avec les personnalités absorbantes. » En 1882, M. Carnot rentra à la commission du budget et fut de nouveau chargé du rapport sur les travaux publics. Il vota avec les modérés :
- contre l'amendement J. Roche sur l'élection du maire de Paris,
- contre l'abrogation du Concordat,
- contre l'élection de la magistrature.
Il fut vice-président de la Chambre de 1883 à 1885, et pendant l'année 1883, président de la commission du budget. Il produisit plusieurs grands rapports au nom des commissions des chemins de fer et des canaux, notamment sur le canal du Nord. M. Carnot rentra au pouvoir dans le ministère H. Brisson, le 7 avril 1885, avec le portefeuille des travaux publics. Mais, M. Clamageran s'étant retiré quelques jours après, M. Carnot passa des travaux publics aux finances. Il s'appliqua à restaurer les finances obérées, fit voter le budget, jeta les bases de la liquidation de la caisse des écoles et des chemins vicinaux, et organisa la conférence monétaire pour le renouvellement de l'Union latine.
Vinrent les élections de 1885, au scrutin de liste : le député de Beaune fut élu député de la Côte-d'Or sur la liste opportuniste, au second tour de scrutin, avec 55 833 voix (91 997 votants, 113 471 inscrits.) Quand le ministère Brisson se retira, M. Carnot fut conservé par M. de Freycinet : il dut aborder toutes les difficultés de la présentation du budget de 1887 à la Chambre renouvelée. Il le fit avec sincérité, avoua le déficit du budget ordinaire, et reconnut la nécessité de supprimer les budgets extraordinaires, qui, par leur système d'emprunts incessants, devenaient ruineux pour le pays. Il prit sur lui de limiter les fonds des caisses d'épargne mis en compte courant au trésor, mais ne s'associa que dans une mesure très restreinte à la volonté, brusquement manifestée par la majorité de la Chambre, de réduire les crédits des diverses administrations, et combattit fermement, sans passion, les demandes de réductions quand il les jugea excessives.
« Sa parole, un peu terne et sans éclat, dit encore M. G. A. Hubbard, mais ferme, nourrie de faits, dédaignant les agréments oratoires ou extérieurs, a toujours été égale à elle-même ; du reste M. Carnot n'a jamais abordé la tribune sans nécessité absolue. Il parle évidemment sans plaisir, pour traduire les pensées qu'il juge indispensable de communiquer à ses auditeurs. Il n'a aucune prétention d'émouvoir ni d'entraîner ; il veut être compris, et pour cela il est toujours clair, ordonné, maître de sa marche un peu compassée, sacrifiant tous les ornements du discours à la solidité du fond. Il parle comme il marche, comme il règle ses affaires, comme il vit, très méthodiquement. »
Le ministre fut battu sur plusieurs questions, à de fortes majorités ; il s'inclina devant ces votes et se retira. Mais, après la chute du cabinet sur la question des sous-préfets, quand il y eut une nouvelle commission à élire pour examiner le budget du successeur de M. Carnot, M. Carnot lui-même fut le premier des membres élus de cette commission.
Quelques mois plus tard, au cours des incidents scandaleux qui devaient amener la chute de M. Grévy, la Chambre rencontra une occasion nouvelle de rendre hommage à la probité du ministre Carnot. L'incident fit du bruit : M. Rouvier, ministre des finances et président du Conseil, discutant, le 5 novembre 1887, la nomination d'une commission d'enquête sur les faits reprochés au gendre de M. Grévy, M. Wilson, fut amené à rappeler le fait de la restitution par le Trésor au profit de M. Dreyfus, ami particulier du président Grévy, de certains droits régulièrement perçus. Le président du Conseil constata que cette restitution n'avait pas été accordée du premier coup, et qu'un ministre avait su s'affranchir des sollicitations, si hautes qu'elles fussent.
« Il ressort, dit-il, du dossier, qu'un de mes prédécesseurs, l'honorable M. Sadi-Carnot, a refusé la restitution qui lui était demandée. » (Applaudissements prolongés.)
Cet hommage, auquel s'associa toute l'assemblée, empruntait un caractère particulier à la crise gouvernementale que traversait alors le pays.
Les incidents de cette crise s'étant précipités, on en vint rapidement à songer à l'éventualité d'une vacance de la Présidence, et à l'intérêt qu'il y aurait à rajeunir, en le purifiant, le pouvoir exécutif. Après de longues tergiversations, M. Grévy donna sa démission.
On avait déjà mis en avant pour lui succéder les noms des principaux personnages du parti républicain : M. J. Ferry, M. de Freycinet. M. Floquet, M. Henri Brisson. Chacun d'eux avait des partisans très dévoués et de violents adversaires. Une candidature surtout, celle de M. Ferry, divisait irrémédiablement les républicains. Quelques-uns, en face de ces candidats très combattus, mirent en avant M. Sadi Carnot. Le 1er décembre au matin, MM. Dide, membre du groupe le plus avancé du Sénat, Colfavru, de la gauche radicale, et Hubbard, de l'extrême gauche de la Chambre, se rendirent auprès de M. Carnot, et lui expliquèrent qu'à leurs yeux sa candidature s'imposait comme la seule qui pût sans contestation faire l'union dès la première heure ; qu'il serait excellent pour la République de fêter le centenaire de 1789 avec la présidence d'un Carnot; qu'il était politique de mettre fin à la crise, en choisissant un homme modeste et probe, dégagé de l'esprit de coterie, et capable d'agir efficacement tout en restant dans les limites de son rôle constitutionnel. M. Carnot accepta.
Au jour de l'élection (3 décembre), les candidats de combat disparurent au fur et à mesure des scrutins préparatoires qui eurent lieu soit au Palais-Bourbon, soit au théâtre des Variétés à Versailles.
Le premier tour de scrutin de la réunion plénière des gauches donna les résultats suivants :
MM. Jules Ferry..... 200 voix
de Freycinet.......... 192 -
Henri Brisson......... 81 -
Sadi Carnot............. 69 -
Saussier.................... 7 -
Floquet....................... 1 -
Ribot........................... 1 -
Le deuxième tour, votants 552 :
MM. Jules Ferry..... 216 voix
de Freycinet .......... 196 -
Brisson..................... 79 -
Sadi Carnot.............. 61 -
Le troisième tour, votants 502 :
MM. Jules Ferry ..... 179 voix
Sadi Carnot............ 162 -
de Freycinet............ 109 -
Brisson...................... 52 -
Enfin, dans le Congrès, les voix se trouvèrent ainsi réparties :
Premier tour de scrutin :
MM. Sadi Carnot..... 303 voix
Jules Ferry............... 212 -
Général Saussier... 148 -
de Freycinet .............. 76 -
Général Appert.......... 72 -
Brisson....................... 26 -
Floquet ......................... 5 -
Anatole de la Forge.... 2 -
Félix Pyat...................... 2 -
Pasteur ........................ 2 -
Spuller ......................... 1 -
Alors M. Ferry se désista, et le second tour de scrutin donna à M. Carnot, seul candidat des gauches, 616 suffrages, contre 188 au général Saussier, pour qui les droites avaient voté, sans qu'il eût accepté la candidature.
Proclamé président de la République Française pour sept années, M. Carnot, après avoir reçu plusieurs hommes politiques de nuances diverses, chargea M. Tirard de constituer son premier ministère. Puis il adressa aux Chambres (12 décembre 1887), un message où il disait :
« Le gouvernement s'efforcera de rendre facile l'accord nécessaire de vos volontés en vous appelant sur le terrain commun des intérêts moraux et matériels de la nation. Avec l'apaisement, la sécurité, la confiance, il voudra assurer au pays les progrès réfléchis, les réformes pratiques destinées à encourager le labeur national, à fortifier le crédit, à amener la reprise des affaires et à préparer les grandes assises industrielles de 1889. Il se préoccupera des mesures qui touchent les conditions du travail et de l'hygiène, de la mutualité et de l'épargne. Il s'attachera à l'amélioration des finances, au sérieux équilibre des budgets, à la simplification du fonctionnement administratif et judiciaire et à l'irréprochable gestion des affaires publiques... etc. »
Tour à tour, suivant les indications parlementaires, le président de la République a confié la direction des affaires à MM. Floquet et Constans. Il a signé le décret de mise à la retraite d'office du général Boulanger, (27 mars 1888), et présidé solennellement à l'ouverture de l'Exposition universelle (mai 1889).
M. Carnot à épousé Melle Dupont-White, fille de l'économiste (1807-1878).
Biographie extraite du
dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 .
(Adolphe Robert et Gaston Cougny)
Malgré les difficultés auxquelles il eut à faire face durant sa présidence : affaire de Panama, affaire Wilson, agitation boulangiste etc..., l'ordre ne fut jamais troublé et il sut gagner à la France un surcroît de prestige à l'étranger. Dès son avènement il s'était fait un devoir d'assister à toutes les solennités publiques et d'entreprendre des voyages dans les départements pour en étudier les besoins et les satisfaire autant qu'il se pouvait. Sa présence contribuait à répandre dans les populations françaises le sens de la concorde et l'attachement à la République. N'avait-il pas déclaré en acceptant son mandat, qu'il le considérait comme un haut témoignage du désir de pacification et de concorde, dont la France était animée ?
C'est au cours d'un de ces voyages, alors qu'il visitait l'exposition de Lyon au Palais de la Bourse, le 24 juin 1894, qu'un anarchiste italien, Caserio, le frappa au flanc d'un coup de poignard. Il mourut dans la nuit, des suites de cet abominable attentat.
À la séance de la Chambre des Députés du lendemain, le Président Casimir-Perier donna lecture à ses collègues d'une lettre du Chef du gouvernement Charles Dupuy faisant part de la douloureuse nouvelle. La même cérémonie eut lieu le même jour au Sénat où la même lettre fut lue par le Président Challemel-Lacour.
« M. Carnot a succombé cette nuit à Lyon, aux suites de l'odieux attentat dont il avait été victime à la sortie du Palais de la Bourse. La France, frappée de stupeur à la nouvelle de ce crime abominable, transmet de toutes parts au Gouvernement l'expression de son émotion et de sa douleur. Elle pleure dans le Président de la République le loyal serviteur, le citoyen intègre qui, pendant sept années a porté avec honneur et fidélité le drapeau national, et inspiré à l'Europe des sentiments qui nous sont une consolation dans la cruelle épreuve que nous traversons. La République gardera la mémoire de son Président. Sa sympathie est acquise à la famille qui le pleure et qui, comme lui, est digne de la France. Le pays tout entier s'associera au mouvement d'indignation que l'attentat de Lyon excite au sein du Gouvernement et de la représentation nationale. »
Les deux présidents, en des paroles émues associèrent leur Assemblée aux sentiments exprimés par le Chef du Gouvernement et les Chambres se séparèrent au milieu de la plus grande émotion. Ses funérailles nationales eurent lieu le dimanche 1er juillet, et son corps fut inhumé au Panthéon.
Il avait épousé la fille de l'économiste Dupont-White. Celle-ci ne cessa de l'assister durant son septennat, avec un admirable dévouement. Elle refusa la pension nationale que le Gouvernement désirait lui attribuer. Compatissante à toutes les misères, elle laissa en mourant, en 1898, une somme de 50.000 francs à la « Fondation Carnot » qui distribuait des secours aux veuves des ouvriers.
Sadi Carnot était le père d'Ernest et de François Carnot, et l'oncle de Jean Carnot.
Biographie extraite du
dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940
(Jean Jolly)
Sadi Carnot (1837 - 1894), Président par défaut
Le 3 décembre 1887, suite à la démission de Jules Grévy, les parlementaires élisent à la présidence de la République Sadi Carnot (50 ans), petit-fils du conventionnel Lazare Carnot, ami de Robespierre ! Jules Ferry, candidat malheureux, doit s'incliner.
La présidence est troublée par la montée de l'antiparlementarisme et la poussée électorale du général Boulanger, lequel finira par s'enfuir et se suicidera sur la tombe de sa maîtresse. Mais le président aura aussi l'immense satisfaction de célébrer le centenaire de la Révolution le 5 mai 1889 à Versailles puis d'inaugurer l'exposition universelle de Paris le 6 mai et la Tour Eiffel le 15 mai !
Le président est assassiné par un anarchiste italien du nom de Caserio le 24 juin 1894, en inaugurant une exposition à Lyon. Cet assassinat n'est pas isolé mais coïncide avec une flambée d'anarchisme meurtrier dans toute l'Europe.