Jules GREVY, président de la République française (30.1.1879 au 2.12.1887)

Jules Grévy, un Jurassien président

de Michel Bodin (Auteur), Luc Briot (Auteur), Philippe Bruniaux (Auteur), Collectif (Auteur)

Jules Grévy est le quatrième Président de la République française. Mais il est dans les faits le premier chef d'État républicain de notre histoire à qui l'on doit les valeurs et les symboles de notre République, notamment la Fête du 14 juillet et le choix de la Marseillaise comme hymne national. Il a considérablement influé sur le fonctionnement de nos institutions actuelles, ne serait-ce que par la tacite reconduction de ce que l'on désigne comme domaines réservés des locataires successifs du Palais de l'Elysée, à savoir les Affaires Extérieures et la Défense Nationale. Sous ses deux mandats sont alors votées de nombreuses lois, tant sociales que scolaires.

Éditeur ‏ : ‎ Dmodmo (1 juillet 2007)
Langue ‏ : ‎ Français
ISBN-10 ‏ : ‎ 2916295062
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2916295060
Poids de l'article ‏ : ‎ 1 Kilograms

GRÉVY JULES (1807-1891)


Le sang-froid de Grévy, avocat, théoricien du droit, n'avait d'égal que sa maîtrise du langage : « Ses mots sont frappés en médaille » disait-on. La finesse d'esprit était réelle dans ce corps de grenadier. La fermeté de ses convictions républicaines ne se démentit jamais. Il avait débuté en 1848 en proposant un amendement fameux contre l'élection du président de la République au suffrage universel. Tenté par le gouvernement d'assemblée, il allait s'attacher à dépersonnaliser la fonction politique. Élu député du Jura en 1863 et 1869 au Corps législatif, il est à la tête de l'opposition républicaine. Il s'oppose, avec Thiers et Gambetta, à la déclaration de guerre en 1870. Élu président de l'Assemblée nationale (1871-1873), puis de la Chambre des députés à partir de 1876, il joua un rôle important dans la crise du 16 mai 1876. Le 30 janvier 1879, le maréchal président Mac-Mahon démissionna et le Congrès, réuni à Versailles, élut Jules Grévy président de la République. L'influence de celui-ci a été capitale pour l'avenir de la fonction et de l'exécutif face au législatif. Les prérogatives constitutionnelles du président de la République, compromises par Mac-Mahon (révocation des ministres, ajournement des Chambres et surtout dissolution) allaient être mises en sommeil. Pourtant il allait apporter un soin tout particulier au choix des ministres et particulièrement au choix de celui chargé de constituer le ministère, qui deviendra le président du Conseil, sur lequel la Constitution de 1875 était muette. C'est ainsi qu'il s'efforça, non sans complicité parmi les républicains, d'écarter Gambetta de la présidence du Conseil, puis, avec l'aide de Clemenceau, de miner le « grand ministère » que Gambetta ne dirigea que soixante-treize jours à partir de novembre 1881. Le choix du président du Conseil, effectué par Grévy, chef de l'État, a entraîné un affaiblissement de l'institution du président de la République et de celle même de président du Conseil, en dissociant les notions de chef de l'exécutif et de leader parlementaire ; car, s'il était peu imaginable, après l'expérience Mac-Mahon, de retrouver un pouvoir présidentiel fort, le Conseil des ministres aurait pu devenir un organe moteur et responsable : ce pouvoir ministériel fort et stable fera défaut à la IIIe République dans son ensemble, sauf à de rares exceptions. C'est à ce titre qu'on a pu parler de « Constitution Grévy » pour qualifier l'influence du nouveau président de la République. En politique extérieure, il était très attaché à la paix, ce qui lui valut l'hostilité des partisans de la revanche au moment de la crise boulangiste. Il fut réélu à la présidence en 1885 à la fin de son septennat. En 1887, son gendre le député Daniel Wilson ayant été convaincu de trafic d'influence, les Chambres obligèrent Grévy à donner sa démission. La République opportuniste dévoilait un début d'affairisme parlementaire dont s'emparait l'agitation nationaliste.


Jules, François, Paul Grévy



Né le 15 août 1807 à Mont-sous-Vaudrey (Jura), mort le 9 septembre 1891 à Mont-sous-Vaudrey.

Représentant du Jura à l'Assemblée Nationale en 1848.
Représentant du Jura à l'Assemblée législative de 1849 à 1851.
Député du Jura au Corps législatif de 1868 à 1870.
Représentant du Jura à l'Assemblée Nationale de 1871 à 1876.
Député du Jura de 1876 à 1879.
Président de la République de 1879 à 1887.

Représentant en 1848 et en 1849, député de 1868 à 1870, représentant en 1871, député de 1876 à 1879, et président de la République, né à Mont-sous-Vaudrey (Jura) le 15 août 1807.

Les registres de l'état civil de Mont-sous-Vaudrey ayant été consumés dans un incendie vers 1812, les dictionnaires biographiques, même les plus récents, ont attribué à M. Grévy une date de naissance erronée, et l'ont, pour la plupart, rajeuni de six ans ; nos recherches sur ce point nous ont donné lieu de constater que le nom de M. Grévy ne figure pas sur les listes de tirage au sort de la commune de Mont-sous-Vaudrey, et nous ont permis de supposer qu'il a pu profiter de l'incendie des registres pour échapper à la conscription.

Fils d'un ancien volontaire de 1792 qui était parvenu au grade de chef de bataillon et qui s'était retiré bourgeoisement à Mont-sous-Vaudrey à l'époque du Consulat, M. Jules Grévy quitta à dix ans la maison paternelle pour commencer ses études au collège de Poligny ; il les continua à Besançon, vint faire son droit à Paris, et se fit inscrire au barreau de cette ville en 1837.

Il débuta non sans succès, dans une cause politique, en défendant devant la cour des pairs Philippet et Quignot, complices de Barbès dans l'insurrection du 12 mai 1839. Il se lia avec les hommes en vue du parti libéral, et, à la révolution de février, fut nommé, par le gouvernement provisoire, commissaire de la République dans le Jura. Il montra dans ces fonctions du calme et de la fermeté : « Je ne veux pas, disait-il, que la République fasse peur. » Dans la déclaration qu'il signa, en avril 1848, pour se porter candidat à l'Assemblée nationale, il demanda « une République forte et libérale qui se fasse aimer par sa sagesse et sa modération, qui attire et pardonne tous les partis; la moralité dans le pouvoir, etc. »

Elu représentant du Jura le 23 avril, le 1er sur 8, par 65 150 voix sur 74 155 votants, il s'assit à gauche, et prit une part active aux travaux de l'Assemblée. Le 21 juin, il demanda la diminution de l'impôt des boissons, déposa (8 août) avec Pascal Duprat et Berryer un amendement au projet de cautionnement des journaux ; parla (25 août) contre les poursuites demandées contre Louis Blanc et Caussidière ; combattit (1er septembre) le rétablissement de la contrainte par corps ; vota contre l'état de siège.

Le 6 octobre il développa, lors de la discussion sur l'art. 20 de la Constitution, l'amendement célèbre qui a gardé son nom et qui était ainsi conçu :

« L'Assemblée nationale délègue le pouvoir exécutif à un citoyen qui reçoit le titre de président du conseil des ministres.

« Le président du conseil des ministres est nommé par l'Assemblée nationale au scrutin secret et à la majorité des suffrages.

« Le président du conseil des ministres est élu pour un temps illimité, il est toujours révocable.»

« Oubliez-vous, disait-il, que ce sont les élections de l'an X qui ont donné à Bonaparte la force de relever le trône et de s'y asseoir. Êtes-vous bien sûrs que dans cette série de personnages qui se succéderont tous les quatre ans au trône de la présidence, il n'y aura que de purs républicains empressés d'en descendre ? Êtes-vous sûrs qu'il ne se trouvera jamais un ambitieux tenté de s'y perpétuer ? Et si cet ambitieux est le rejeton d'une famille qui ait régné sur la France, répondez-vous que cet ambitieux ne parviendra pas à renverser la République ? » Ces prophétiques paroles ne purent convaincre l'Assemblée, qui repoussa l'amendement par 643 voix contre 158.

Le 9 décembre suivant, M. Grévy fut élu membre de la commission faisant fonction provisoire de conseil d'Etat. Le 13, il défendit son rapport sur le projet de loi de l'impôt de mutation sur les biens de main-morte. Le 9 janvier 1849, rapporteur de la proposition Rateau (Voy. ce nom), il la combattit, au nom du comité de la justice dont il était membre. Elu vice-président de l'Assemblée le 5 mars, et réélu le 4 avril ; il parla contre l'expédition romaine, et conclut, comme rapporteur, au rejet de la proposition de concentrer entre les mains du général Changarnier le double commandement en chef de l'armée de Paris et de la nationale (19 mai). Il avait voté, durant la session,
- pour le bannissement de la famille d'Orléans,
- contre la loi sur les attroupements,
- contre la proposition Proudhon,
- pour l'abolition de la peine de mort,
- contre l'impôt progressif,
- pour l'ordre du jour en faveur de Cavaignac,
- pour la suppression de l'impôt du sel,
- pour l'amnistie des transportés,
- pour le blâme de la dépêche Léon Faucher,
- pour l'abolition de l'impôt des boissons.

Le département du Jura réélut M. Jules Grévy à l'Assemblée législative, le 13 mai 1849, le 1er sur 7, par 48 740 voix sur 71 295 votants et 90 110 inscrits. Il reprit sa place à gauche, et parut souvent à la tribune :
- pour protester (18 juin) contre la suppression de plusieurs journaux,
- pour combattre (7 juillet) la demande en autorisation de poursuites contre sept représentants,
- pour attaquer (23 juillet) le projet de loi répressif sur la presse, présenté par le gouvernement,
- pour demander, sur la même question, la suppression du cautionnement,
- pour s'opposer (9 août) à la loi proposée sur l'état de siège,
- pour réclamer (14 décembre) la suppression de l'impôt des boissons, « inique dans sa répartition, odieux dans son mode de perception, inhumain dans son principe, désastreux dans ses conséquences. »

Lors de la discussion de la loi du 31 mai, restrictive du suffrage universel, il réfuta (25 mai) M. Thiers :
« Toute atteinte, dit-il, portée au suffrage universel est un attentat contre la souveraineté du peuple. La Constitution a bien pu le reconnaître et le proclamer, elle ne l'a pas créé. Il existait avant elle comme un droit antérieur et supérieur aux lois positives, comme un droit imprescriptible, etc. »
Il parla encore (22 février, 4 mars, 8 avril, 30 juillet, 5 août 1850) sur des concessions de chemins de fer, et s'éleva (15 juillet 1851) contre la révision de la Constitution. Il collaborait à cette époque à la République universelle, avec Joigneaux, Pascal Duprat, etc.

Le coup d'Etat de décembre 1851, qu'il avait prévu : « Le danger, avait-il dit à la tribune en mai 1849, n'est plus dans les émeutes, il est dans les coups d'Etat », le rendit exclusivement au barreau. Arrêté à la mairie du 10e arrondissement, il fut enfermé un moment à Mazas. Sans être candidat au Corps législatif, il obtint, le 29 février 1852, dans la 1re circonscription du Jura, 168 voix contre 28 764 au candidat officiel élu, M. Dalloz, et, dans la 2e circonscription, 400 voix contre 29 251 à l'élu, candidat officiel, M. Charlier.

ll reprit ses occupations professionnelles et ne rentra dans la vie politique qu'à l'élection partielle qui eut lieu dans le Jura, le 16 août 1868, pour remplacer M. de Toulongeon, décédé. Malgré la pression administrative, patronné par Berryer, il fut élu, dans la 2e circonscription de ce département, par 22 595 voix sur 34 028 votants et 42 131 inscrits, contre 11 263 voix au candidat officiel, M. Huot. Le barreau de Paris s'associa à ce succès en nommant bâtonnier M. Grévy, qui inaugura cette fonction en prononçant un discours remarquable sur la tombe de Berryer.

Au Corps législatif, il parla (13 mars 1869) sur les travaux du Trocadéro, protesta contre l'aliénation d'une partie du jardin du Luxembourg, et, aux élections générales du 24 mai 1869, fut réélu député par 15 928 voix sur 17 932 votants et 28 780 inscrits. Président de la réunion parlementaire de « la gauche fermée » dite de la rue de la Sourdière, il eut à lutter contre M. Ernest Picard, partisan d'une « gauche ouverte », et, inébranlable dans son opposition à l'Empire, dit qu'il ne voulait être « ni dupe, ni complice ». Le 2 février 1870, il renouvela la célèbre proposition des questeurs de 1851, en réclamant pour le Corps législatif le droit de disposer lui-même de la force armée nécessaire à sa sûreté ; le 23 février, il parla contre les candidatures officielles, et s'éleva énergiquement (4 avril) contre le plébiscite : « Quand on place, dit-il, une nation entre le fait accompli et le néant, en la trompant, en la terrifiant, je dis que la réponse qu'on lui demande est un ordre qu'on lui donne » ; et il signa le manifeste des gauches du 19 avril, conseillant de voter non. Lors de la discussion de la loi sur les délits de presse, il défendit la compétence du jury (19 et 23 mai), réclama (24 Juin) l'élection des maires par les conseils municipaux, et, au cours de la discussion sur la pétition des princes d'Orléans demandant à rentrer en France (2 juillet), il déclara « qu'il était obligé de s'abstenir de voter, parce que, d'un côté, il ne voulait pas repousser la pétition de citoyens demandant la fin de leur exil, et que, d'un autre côté, il ne voulait pas rappeler la royauté, deux questions qui se trouvaient habilement mêlées et confondues dans la pétition. »

La révolution du 4 septembre 1870 déplut, dans sa forme insurrectionnelle, à M. Grévy, homme de la légalité, et il demanda en vain, à plusieurs reprises, l'élection d'une Assemblée nationale. Le 8 février 1871, il fut élu représentant dans deux départements :
- dans les Bouches-du-Rhône, le 5e sur 11, par 51 164 voix sur 75 803 votants et 140 189 inscrits,
- et dans le Jura, le 1er sur 6, par 49 139 voix sur 49 963 votants et 89 769 inscrits. Il opta pour le Jura, et, le 16 février, fut élu à Bordeaux président de l'Assemblée, par 519 voix sur 536 votants.

Le même jour il déposa, avec M. Dufaure, une proposition ayant pour objet de nommer M. Thiers chef du pouvoir exécutif de la République française, motion qui fut votée, le lendemain, à une immense majorité. C'était en partie la réalisation de « l'amendement Grévy » de 1848.

À la présidence de la Chambre, son sang-froid et son impartialité en quelque sorte résignée rompaient avec les traditions d'esprit et d'à-propos des Dupin, des Armand Marrast, des de Morny, mais s'harmonisait singulièrement avec les tristesses patriotiques du moment.

Huit fois l'Assemblée le rappela au fauteuil :
- le 16 mai 1871 par 506 voix sur 520 votants,
- le 16 août par 461 voix sur 468 votants,
- le 3 décembre par 511 voix sur 525 votants,
- le 5 mars 1872 par 494 voix sur 537 votants,
- le 5 juin par 459 voix sur 476 votants,
- le 12 décembre par 462 voix sur 505 votants,
- le 12 février 1873 par 421 voix sur 527 votants,
- le 2 avril par 349 voix sur 593 votants.

Cette dernière réélection avait été motivée par la démission de M. Grévy après l'incident de séance entre M. de Grammont et M. Le Royer (Voy. ces noms) (1er avril). Se croyant en butte à l'hostilité systématique de la droite, et bien que réélu le lendemain, M. Grévy refusa de remonter au fauteuil, et prit place dans les rangs de la gauche républicaine. Partisan de Thiers, il publia (28 avril) un appel aux électeurs en faveur de la candidature de M. de Rémusat contre celle de M. Barodet, et, peu après, une brochure, le Gouvernement nécessaire, apologie de la République conservatrice.

Les 5 et 19 novembre, il parla contre la prorogation demandée du pouvoir du maréchal de Mac-Mahon, et, par suite, s'abstint de voter la Constitution du 25 février 1875 ; au cours de la législature, il s'était prononcé :
- pour la paix,
- contre la démission de Thiers,
- contre la circulaire Pascal,
- contre l'arrêté contre les enterrements civils,
- contre le ministère de Broglie,
- pour la dissolution de l'Assemblée,
- pour l'amendement Pascal Duprat,
- pour l'amendement Wallon.

Lors des premières élections sénatoriales du 30 janvier 1876, il refusa la candidature dans le Jura, et se réserva pour les élections législatives du 20 février suivant, qui lui donnèrent, dans l'arrondissement de Dôle, 12 417 voix sur 15 964 votants et 19 281 inscrits, contre 3 408 voix à M. d'Aligny, légitimiste.

Nommé président provisoire de la nouvelle Chambre le 8 mars, par 414 voix sur 430 votants, il devint président définitif le 13, par 462 voix sur 468 votants. Chargé en cette qualité de lire à la Chambre, le 25 juin 1877, le décret de dissolution obtenu par le ministère du Seize-Mai, il s'exprima ainsi :
« Le pays devant lequel la Chambre va retourner, lui dira bientôt que, dans sa trop courte carrière, elle n'a pas cessé un seul instant de bien mériter de la France et de la République. »

La mort de Thiers, survenue le 3 septembre, plaça un moment M. Grévy à la tête du parti républicain ; aux élections du 14 octobre, il fut deux fois élu :
- à Dôle, par 12 304 voix sur 17 563 votants et 20 122 inscrits, contre 5 173 voix au candidat du gouvernement, M. d'Aligny,
- et dans le 9e arrondissement de Paris, par 12 365 voix sur 18 358 votants et 22 122 inscrits, contre 5 940 voix au candidat du gouvernement, M. Daguin. Il opta pour Dôle, et fut réélu par la Chambre président provisoire le 7 novembre, et président définitif le 12 :

« Je m'efforcerai, dit-il, dans l'allocution d'usage, de me tenir à la hauteur de ma mission, comme la Chambre se tiendra, par sa modération et sa fermeté, à la hauteur de la sienne, s'inspirant de l'admirable sagesse et de la volonté souveraine du pays, qui est avec elle. »

M. Grévy eut une part importante, auprès du maréchal de Mac-Mahon, dans la solution de la crise gouvernementale (novembre-décembre 1877) qui aboutit à la constitution du cabinet Dufaure. Lorsque les élections sénatoriales du 5 janvier 1879 eurent amené à la Chambre haute une majorité républicaine, le maréchal de Mac-Mahon saisit la première occasion de résigner ses fonctions de président de la République avant l'expiration du septennat (30 janvier 1879). Le même jour, M. Grévy fut élu à sa place pour sept années, au Congrès réuni à cet effet, par 563 voix sur 713 votants. Cette élection fut bien accueillie en France et à l'étranger : M. Grévy avait encore gardé du barreau un grand renom « d'austérité », et son caractère promettait d'apporter à l'ardeur des luttes de partis un contrepoids salutaire. Le 6 février, le nouveau président adressa aux Chambres un message dans lequel la phrase la moins banale disait :

« Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je n'entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels. »

M. Grévy traversa avec une correction toute constitutionnelle les crises politiques et ministérielles de sa carrière de président. Attaché à des habitudes modestes dont la bonhomie cordiale masquait à peine les calculs intéressés, il sut pourtant, sans rehausser l'éclat de sa haute situation, en soutenir presque jusqu'à la fin la dignité morale, et, à l'expiration de son mandat, le 28 décembre 1885, il fut réélu, pour sept ans, président de la République au Congrès, par 457 voix sur 589 votants : les droites s'étaient abstenues en masse.

Deux ans après, le procès Caffarel-Limouzin vint confirmer les bruits, déjà répandus dans le public, qui mêlaient à des tripotages financiers et à des trafics de décorations le nom du gendre du président de la République, M. Wilson, habitant à l'Elysée auprès de son beau-père (Voy. Wilson). M. Grévy ne parut s'émouvoir ni de la demande d'enquête parlementaire de M. Cunéo d'Ornano (25 octobre 1887), ni de l'interpellation de M. de Douville-Maillefeu et de M. Piou (10 novembre), ni du dépôt par le procureur général de Paris (17 novembre) d'une demande en autorisation de poursuites contre M. Wilson, ni du vote de la Chambre qui accorda les poursuites à l'unanimité moins 1 voix. En vieux jurisconsulte, il prétendait que les agissements de son gendre échappaient à la loi pénale, et il s'obstinait à le couvrir. Cette attitude fit bientôt concevoir à tous la nécessité de la démission du président de la République. Le 19 novembre, M. Clemenceau ayant déposé une demande d'interpellation « sur la situation politique », M. Rouvier, président du conseil, demanda l'ajournement au 24 ; mais l'ajournement ayant été repoussé par 317 voix contre 228, le cabinet se déclara démissionnaire. Cependant M. Wilson avait quitté depuis quelques jours l'Elysée, concession trop tardive pour calmer l'opinion publique. M. Grévy appela à lui la plupart des hommes politiques en vue : tous, M. Clemenceau comme M. Ribot, MM. de Freycinet, Goblet, Brisson, Le Royer, Ferry, Raynal, conseillèrent la démission ; à quoi M. Grévy répondait invariablement qu'il ne s'en irait qu'à son heure, que seul il pouvait maintenir l'ordre au dedans, la paix au dehors, qu'il avait la garde de la Constitution, etc. Ces incertitudes ne laissaient pas que de jeter dans Paris une certaine agitation. Le 24, le président parut céder : il manda M. Ribot, lui déclara qu'il était décidé à se retirer, et le chargea de former un cabinet. Mais celui-ci ayant réclamé préalablement le message de démission, M. Grévy refusa, et M. Ribot se retira. L'Agence Havas annonça alors que le président n'acceptait pas la démission du cabinet Rouvier, et qu'il adresserait un message aux Chambres « dans les premiers jours de la semaine prochaine ». M. Rouvier demanda aux Chambres de s'ajourner jusqu'au jeudi 1er décembre; mais ce délai avait changé de nouveau les dispositions de M. Grévy, qui, soutenu par les radicaux, en haine de M. Jules Ferry qu'ils redoutaient de voir arriver à la présidence, prétendit qu'il espérait encore pouvoir résoudre la crise. Les Chambres, réunies à 2 heures, le 1er décembre, firent savoir alors, à peu près dans les mêmes termes, qu'elles attendaient « la déclaration promise ». Cette énergique injonction, appuyée par le cabinet, produisit l'effet prévu, et, à la reprise des séances, à 6 heures, le cabinet déclara que la démission serait donnée le lendemain.

En effet, le vendredi 2, M. Grévy adressa aux deux Chambres un message qui débutait ainsi :

« MESSIEURS LES SÉNATEURS,

« MESSIEURS LES DÉPUTÉS,

« Tant que je n'ai été aux prises qu'avec les difficultés accumulées en ces derniers temps sur ma route : les attaques de la presse, l'abstention des hommes que la voix de la République appelait à mes côtés, l'impossibilité croissante de constituer un ministère, j'ai lutté et je suis resté où m'attachait mon devoir.

« Mais au moment où l'opinion publique mieux éclairée accentuait son retour et me rendait l'espoir de former un gouvernement, le Sénat et la Chambre des députés viennent de voter une double résolution qui, sous la forme d'un ajournement à heure fixe pour attendre un message promis, équivaut à une mise en demeure au Président de la République de résigner son pouvoir. Mon devoir et mon droit seraient de résister, la sagesse et le patriotisme me commandent de céder, etc. »

Un silence glacial accueillit la lecture de ce message, qui se terminait par une apologie amère des neuf années de présidence ; et, sans réussir à donner le change à l'opinion, en faisant de ses services passés litière à ses rancunes personnelles, M. Grévy alla s'enfermer dans la retraite dorée que son économe prévoyance avait ménagée à ses vieux jours.

Biographie extraite du
dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889
(Adolphe Robert et Gaston Cougny)


Le destin ne voulait pas permettre à Jules Grévy de mener à terme son second septennat : deux ans, en effet, avant la date à laquelle il aurait dû quitter l'Elysée il mourait le 9 septembre 1891, à l'âge de 84 ans, dans la grande maison familiale de Mont-sous-Vaudrey, après une retraite forcée de quatre années.

Le faux pas de 1887 ne pouvant cependant effacer plus de vingt-cinq années données au service du pays, on lui fit des obsèques nationales qui se déroulèrent à Mont, en présence du président du Conseil, Freycinet, et de deux ministres, Fallières et Rouvier, et auxquelles le président de la République se fit représenter par sa maison militaire.

Biographie extraite du .
dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940
(Jean Jolly)

Jules Grévy président de la République


Le 30 janvier 1879, suite à la démission de Patrice de Mac-Mahon, les parlementaires de la Chambre des députés et du Sénat, réunis en Congrès, élisent le républicain modéré Jules Grévy (71 ans) à la présidence de la République.

Ce quatrième président de la République française est aussi le premier de convictions républicaines ! Avant lui, Louis-Napoléon Bonaparte se révéla... bonapartiste, Adolphe Thiers du genre monarchiste et opportuniste, Patrice de Mac-Mahon monarchiste convaincu.

Vive la République, enfin !

La présidence de Jules Grévy se signale quant à elle par l'affirmation sans ambiguïté du caractère républicain du régime. La IIIe République ne se cache plus !

En 1879, les chambres se transportent de Versailles à Paris et l'on adopte la Marseillaise comme hymne national ; en 1880, on décrèt le 14 juillet fête nationale et l'on accorde une amnistie aux révoltés de la Commune ; en 1885, on ouvre le Panthéon pour Victor Hugo...

Par ailleurs, sous les ministères de Charles Freycinet et Jules Ferry, on impose l'enseignement laïque et l'on se lance avec Savorgnan de Brazza et d'autres dans les aventures coloniales au nom de la « mission civilisatrice » de la France.

Le camp républicain se divise en 1884. Georges Clemenceau, chef de file de la « gauche radicale », s'oppose aux « républicains opportunistes » en dénonçant les conquêtes coloniales qui font selon lui le jeu de l'Allemagne. Jules Ferry est contraint à la démission l'année suivante.

Dans le même temps, la presse révèle un scandale interne à l'Élysée, un trafic de décorations par le gendre du président, Daniel Wilson, l'un des fondateurs de la gauche républicaine.

Celui-ci s'était installé à l'Élysée après son mariage, en 1881, et avait profité de sa situation pour alimenter en informations confidentielles son journal La Petite France de Tours.

Plus gravement, il a trafiqué son influence à grande échelle en fournissant à de généreux donateurs des recommandations, de bonnes places ou encore des Légions d'Honneur. Cette « affaire des décorations » éclate au grand jour en novembre 1887. Elle fait les choux gras des pamphlétaires, tel Henri Rochefort, et des partisans du général Boulanger, en pleine ascension.

Le président du Conseil Maurice Rouvier tente de protéger le président du scandale mais celui-ci n'en doit pas moins démissionner le 2 décembre 1887, au début de son second mandat, sous la pression de la foule et des parlementaires conduits par Clemenceau. Quant à Daniel Wilson, il sera condamné puis acquitté en appel et réussira à se faire réélire à la députation.