Jean-Jacques Régis de CAMBACERES, consul (13.12.1799 au 18.5.1804)

Jean-Jacques-Régis de Cambacerès (1753 - 1824)

Membre de la Convention, député au Conseil des Cinq-Cents, ministre et pair des Cent-Jours, né à Montpellier (Généralité de Montpellier), le 18 octobre 1753, mort à Paris, le 8 mars 1824, d'une vieille famille de noblesse de robe, et fils d'un conseiller en la Cour des comptes, aides et finances de Montpellier, dont le frère Etienne Hubert, comte de Cambacérès (1756-1818) fut membre du Sénat conservateur et pair des Cent-Jours, Jean Jacques Régis de Cambacérès, duc de Parme, fut destiné à la magistrature, et se livra avec ardeur à l'étude du droit. Il succéda à son père dans sa charge, en 1771, et fut choisi, en 1789, par l'ordre de la noblesse dont il faisait partie, comme secrétaire rédacteur de ses cahiers.

Elu, en second, député de cet ordre, par la sénéchaussée de Montpellier, son élection fut annulée, la prétention de cette sénéchaussée à envoyer deux députés n'ayant pas été admise ; à la suppression des cours, il fut appelé à quelques fonctions administratives, puis à la présidence du tribunal criminel de l'Hérault.

Le 6 septembre 1792, ce département l'élut membre de la Convention, par 248 voix sur 469 votants. Cambacérès avait adhéré aux idées nouvelles en légiste bien plus qu'en révolutionnaire, et avait contracté avec la Révolution un mariage de raison et non pas de sentiment; aussi montra-t-il à la Convention beaucoup plus d'habileté et de prudence que d'enthousiasme et d'ardeur. Membre du comité de législation, il évita de se compromettre en se renfermant d'abord dans les questions de contentieux et de jurisprudence.

Chargé, le 12 novembre 1792, d'aller demander à Louis XVI quels défenseurs il avait choisis, il obtint que ces défenseurs communiqueraient librement avec lui. Quand il fut appelé à porter son jugement sur le roi, il commença par déclarer que Louis était coupable, et répondit au 2e appel nominal (la sanction du peuple) :

« Nous devions aussi renvoyer à la sanction du peuple le décret par lequel nous nous sommes constitués juges de Louis ; nous ne l'avons pas fait : je dis non ».

Il s'exprima ainsi au 3e appel (la peine) :

« Citoyens, si Louis eut été conduit devant le tribunal que je présidais, j'aurais ouvert le Code pénal, et je l'aurais condamné aux peines établies par la loi contre les conspirateurs ; mais ici j'ai d'autres devoirs à remplir. L'intérêt de la France, l'intérêt des nations ont déterminé la Convention à ne pas renvoyer Louis aux juges ordinaires, et à ne point assujettir son procès aux formes prescrites. Pourquoi cette distinction ? C'est qu'il a paru nécessaire de décider de son sort par un grand acte de la justice nationale; c'est que les considérations politiques ont dû prévaloir dans cette cause sur les règles de l'ordre judiciaire; c'est qu'on a reconnu qu'il ne fallait pas s'attacher servilement à l'application de la loi, mais chercher la mesure qui paraissait la plus utile au peuple. La mort de Louis ne nous présenterait aucun de ces avantages; la prolongation de son existence peut au contraire nous servir. Il y aurait de l'imprudence à se dessaisir d'un otage, qui doit contenir les ennemis intérieurs et extérieurs.

D'après ces considérations, j'estime que la Convention nationale doit décréter que Louis a encouru les peines établies contre les conspirateurs, par le Code pénal; qu'elle doit suspendre l'exécution du décret jusqu'à la cessation des hostilités, époque à laquelle il sera définitivement prononcé par la Convention ou par le Corps législatif sur le sort de Louis, qui demeurera jusqu'alors en état de détention ; et néanmoins, en cas d'invasion du territoire français par les ennemis de la République, le décret sera mis à exécution. »

Malgré ce vote, il fut chargé de surveiller les décrets de la Convention relatifs à la destruction des restes du roi, et rendit compte de sa mission avec une impassibilité dont les royalistes se souvinrent en 1816. Le 10 mars 1793, il défendit Dumouriez dénoncé par la section Poissonnière, et, le même jour, demanda, d'urgence, l'organisation du tribunal révolutionnaire, et le remplacement des ministres :

« Tous les pouvoirs vous ont été confiés, dit-il, vous devez les exercer tous ; il ne faut point suivre ici les principes ordinaires ; lorsque vous construirez la Constitution, vous discuterez celui de la séparation des pouvoirs : je demande que, séance tenante, on organise le tribunal et le ministère. »

Le 26 mars, nommé membre du comité de salut public à sa création, il dénonça immédiatement Dumouriez, en son propre nom; la défection du général rendait trop compromettante la défense présentée seize jours auparavant. Le 6 avril, il fut élu comme suppléant au comité d'exécution créé par l'Assemblée, et le 14 mai, il combattit la motion de Buzot réclamant de chaque député l'état et l'origine de sa fortune :

« Les considérations personnelles, dit-il, ne doivent jamais influencer les hommes politiques. S'il en est parmi nous qui aient abusé de leur caractère pour augmenter leur fortune, l'opinion publique saura les signaler, et leurs départements respectifs en feront justice. »

Il se tint ensuite à l'écart des débats politiques, vota avec la majorité, le 31 mai, contre les Girondins, et, décidé à s'enfermer dans les travaux de législation, présenta, le 1er juin, un rapport sur la situation des enfants naturels, et réclama, le 16 juin, l'établissement du jury en matière civile : « Les tribunaux ne pourront rendre de jugement, dit-il, que les faits n'aient été préalablement décidés par des jurés. » Chargé, avec Merlin (de Douai), de la classification des lois en un code unique, question qu'il avait toujours eue en vue, il présenta un premier rapport le 10 août 1793, exposa le projet lui-même en octobre, le défendit les 6 et 9 décembre, et le reproduisit plus tard aux Cinq-cents : Cambacérès avait eu l'idée à laquelle Napoléon devait attacher son nom.

Après le 9 thermidor, au moment de la rentrée des 73 conventionnels arrêtés suite au décret du 3 octobre 1793 , il proposa une amnistie plénière pour les faits non prévus par le Code pénal ; le 5 novembre suivant, étant président de l'Assemblée, il fit voter, au nom des comités de salut public, de sûreté générale et de législation, une adresse au peuple français, dans laquelle on annonçait que « le régime qui a sauvé l'Etat sera maintenu, mais en le régularisant, en le dégageant des vexations, des mesures cruelles, des inquiétudes dont il a été le prétexte. »

En janvier 1795, chargé du rapport des trois comités sur « les individus de la famille Capet » qui étaient encore détenus, il conclut à ce que le Dauphin fût gardé au Temple, « car il ne faut pas se dissimuler, dit-il, que l'inquiétude, le malaise, dont tout le monde se plaint, doit être attribué à ceux qui cherchent à persuader au peuple que le gouvernement républicain ne peut durer. »

Nommé président du comité de salut public, il concentra presque entre ses mains le gouvernement, dont aucun acte n'était expédié sans sa signature ; il fit rejeter la motion de Personne sur la mise en accusation des membres des comités et tribunaux révolutionnaires, réclama d'importantes modifications à la Constitution de 1793, fit partie de la commission chargée de les préparer, et obtint la substitution du bannissement à la déportation contre les prêtres perturbateurs de l'ordre public.

Après le 13 vendémiaire, compromis par les papiers trouvés chez l'agent royaliste Lemaître, comme entretenant des relations avec les conspirateurs, il se justifia avec chaleur, et la Convention vota l'impression de son discours.

Après la législature, il dut à son vote modéré, lors du procès du roi, de ne pas faire partie du Directoire ; il n'entra même pas au Conseil des Cinq-Cents comme conventionnel, ainsi que le rapportent la plupart de ses biographes, mais comme l'élu de plus de cinquante départements (21 vendémiaire an IV), entre lesquels il opta pour l'Hérault, qui lui avait donné 210 voix sur 232 votants. Il fut nommé président de cette assemblée, et y fit adopter la création d'une commission de surveillance des actes du Directoire au point de vue législatif (qui n'empêcha pas le 18 fructidor), et l'institution de la contrainte par corps en matière civile (27 février 1797). Il sortit du Conseil le 20 mai suivant et fut réélu à Paris par l'assemblée électorale de l'Oratoire ; mais le coup d'Etat directorial du 22 floréal an VI annula son élection.

La journée du 30 prairial ayant chassé du Directoire Merlin et Treilhard, Cambacérès remplaça Lambrechts au ministère de la Justice, qu'il occupa du 2 thermidor an VII au 3 nivôse an VIII, c'est-à-dire, même après le coup d'Etat du 18 brumaire.

Quand Bonaparte se fut débarrassé de Sieyès, il choisit Cambacérès comme 2e consul, avec la charge spéciale de l'organisation des pouvoirs judiciaires et de la préparation des lois. Le 28 floréal an XII il le nomma aussi chancelier de l'Empire, président du Sénat, puis grand officier de la Légion d'honneur le 10 pluviôse an XIII, et duc de Parme le 19 mars 1808 ; à cette occasion, on raconte que Cambacérès disait à un de ses amis : « que vous m'appeliez Altesse en public, cela est très bien. Mais en particulier ce cérémonial est inutile. Appelez-moi tout simplement Monseigneur. » Le haut dignitaire, Altesse Sérénissime, devint aussi membre du conseil privé, président du Conseil d'Etat et de la Haute-Cour impériale, etc., et fut pourvu de toutes les décorations européennes. On croit qu'il blâma l'exécution du duc d'Enghien, les guerres d'Espagne et de Russie, et le mariage de Napoléon avec une archiduchesse; publiquement et officiellement il resta l'apologiste constant de l'Empire.

Président du conseil de régence en 1814, il détermina l'impératrice à se retirer avec le roi de Rome au delà de la Loire, l'y accompagna, et envoya de Blois, le 7 avril, son adhésion, comme sénateur, à la déchéance de Napoléon. Réintégré dans toutes ses dignités au retour de l'île d'Elbe, il fut nommé, le 2 juin 1815, pair des Cent-jours, président de la Chambre haute et, par intérim, ministre de la Justice, dont les fonctions furent exercées par M. Boulay de la Meurthe, conseiller d'Etat.

Mais à la seconde Restauration, banni à tort, comme régicide, en vertu de la loi du 12 janvier 1816, il se retira à Bruxelles, d'où une ordonnance royale du 13 mai 1818 le rappela, en lui restituant ses droits civils et politiques ; au scrutin électoral de 1820, il déclara, en déposant son bulletin ouvert, « qu'il venait joindre son vote à celui des fidèles amis de la monarchie ».

A sa mort, le gouvernement fit mettre ses papiers sous scellés, malgré l'opposition judiciaire de l'héritier.

Cambacérès a, dit-on, laissé des Mémoires, qui n'ont pas été publiés ; il était membre de l'Institut (Académie française) depuis l'organisation de ce corps par la Convention (1795).

D'après une lettre du marquis d'Aigrefeuille, en date du 17 germinal an IX, lettre appartenant à la collection d'autographes Fossé-Darcosse, la bibliothèque de Cambacérès, alors consul, aurait été formée avec des livres pris dans les bibliothèques publiques.

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny)

CAMBACÉRÈS JEAN-JACQUES RÉGIS DE (1753-1824) deuxième consul (1799-1804) archichancelier d'Empire (1804)


Né à Montpellier d'une famille de noblesse de robe, conseiller à la cour des aides de Montpellier en 1774, président du tribunal criminel de l'Hérault en 1790, Cambacérès arrive à Paris, député de son département à la Convention, comme juriste compétent, bon vivant notoire et révolutionnaire prudent ; tel il restera durant toute sa vie. Il siège au Marais, vote la mort de Louis XVI en termes volontairement ambigus et s'empresse de voter le sursis (il n'est donc pas exactement un régicide, quoi qu'on ait pu en dire). Il se cantonne dans les travaux du Comité de législation et présente un projet de Code civil. Il ne prend aucune part à la conspiration de Thermidor ; quand, beaucoup plus tard, Napoléon l'interrogera sur Robespierre, Cambacérès aura le courage prudent de lui répondre que le procès a été jugé sans avoir jamais pu être plaidé. Mais, une fois Robespierre abattu, Cambacérès ne sera pas le dernier à profiter du régime thermidorien : il sera le seul, avec Merlin de Douai, à être trois fois membre du nouveau Comité de salut public ; il ne s'y distingue guère que par son assiduité, chaque matin, à « faire préparer bon pot-au-feu, excellent pain et excellent vin pour ne pas succomber sous le poids du labeur » (La Revellière). Il n'est pas impossible qu'il ait été le seul dirigeant de l'époque à s'occuper de près du sort de Louis XVII ; ses allusions, volontairement énigmatiques, voudront du moins le laisser penser.

À sa grande déception, il n'est pas élu parmi les directeurs du nouveau régime ; il rentre plus ou moins dans la vie privée ; en juillet 1799, l'amitié de Sieyès en fait un ministre de la Justice ; en décembre 1799, le ministre de la Justice remplace Sieyès comme deuxième consul.

Talleyrand avait coutume de désigner sobrement les trois consuls par les trois genres du démonstratif latin : hic (masculin) pour Bonaparte, haec (féminin) pour Cambacérès, hoc (neutre) pour Lebrun. Cambacérès ne doit peut-être pas seulement son féminin à ses mœurs homosexuelles notoires, mais à ses docilités. Compétent, il prend une part importante à l'élaboration du Code civil et en rédige le discours préliminaire ; serviable et empressé, il est le premier à pousser à la proclamation du Consulat à vie puis de l'Empire. Napoléon le trouve de bon et discret conseil ; il considère un peu légèrement ce demi-régicide comme le gage d'une persistance de la Révolution dans son régime ; il le comble de titres et de faveurs. En janvier 1814, Cambacérès est nommé le premier au Conseil impérial de régence ; en avril 1814, il est aussi le premier à voter la déchéance de Napoléon ; aux Cent-Jours, il se retrouve archichancelier et ministre de la Justice. Proscrit en 1815, il va vivre à Bruxelles, mais reste en correspondance avec Decazes et obtient son rappel en 1818.

Dans cette vie à la fois somptueuse et creuse, un seul trait permanent : le goût de la bonne vie, et spécialement de la gastronomie ; il ne fallait surtout pas manquer les repas où l'on était convié chez Son Altesse le prince de Parme. Très assoiffé d'égards, Cambacérès était revenu à une pratique religieuse ostentatoire dès le temps du Concordat ; quand il était en exil à Bruxelles, il faisait la joie des autres conventionnels proscrits en allant chaque matin, en culotte courte et bas de soie, entendre la messe à Sainte-Gudule, suivi de deux laquais en grande livrée. Il avait fait de son jeune frère un cardinal archevêque de Rouen.

— Jean MASSIN: JEAN-JACQUES RÉGIS DE CAMBACÉRÈS (1753-1824) deuxième consul (1799-1804) archichancelier d'Empire (1804) - Encyclopædia Universalis