Jacques-Charles DUPONT DE L'EURE, chef du Gouvernement provisoire (24.2 au 9.5.1848)

Jacques, Charles Dupont de l'Eure (1767 - 1855)

Député aux Cinq-Cents, de 1813 à 1815, représentant aux Cent-Jours, député de 1819 à 1830, ministre, député de 1830 à 1848, membre du gouvernement provisoire, représentant en 1848, né au Neubourg ( Généralité d'Alençon, France) le 27 février 1767, mort à Rouge-Perriers (Eure) le 2 mars 1855, il était fils de Pierre-Nicolas Dupont, marchand au Neubourg, et de Marthe Anson.

Il étudia le droit sous la direction du célèbre avocat Férey, son parent, et fut reçu, en 1789, avocat au parlement de Normandie. Ses concitoyens l'élurent officier municipal du Neubourg (27 février 1792), le jour anniversaire de ses 25 ans. Administrateur du district de Louviers (30 brumaire an 11), juge au tribunal civil de cette ville (28 nivôse suivant), il redevint administrateur du district (21 germinal), fut nommé, en l'an V, substitut du commissaire du Directoire exécutif près le tribunal de l'Eure, puis, en l'an VI, accusateur public près le tribunal criminel de l'Eure.

Le 25 germinal an VI, il fut élu député de l'Eure au Conseil des Cinq-Cents par 306 voix sur 374 votants; il ne joua dans cette assemblée qu'un rôle effacé, se montra favorable au coup d'Etat de brumaire, et fut nommé, par le gouvernement consulaire de l'an VIII, conseiller au tribunal d'appel de Rouen, où il ne resta que peu de temps ayant été appelé aux fonctions de président du tribunal criminel de l'Eure.

Membre de la Légion d'honneur (25 prairial an XII), il montra dans ses fonctions de magistrat une courageuse indépendance vis-à-vis des exigences du gouvernement impérial, notamment dans le procès intenté à une famille noble, qu'on voulait impliquer dans la chouannerie, et dont son arrêt attesta l'innocence (11 mars 1809). Napoléon le créa cependant chevalier de l'Empire le 26 avril 1810, et, lors de la réorganisation des tribunaux, lui donna (1811) un siège de conseiller à la cour impériale de Rouen, puis (1812) de président de chambre à la même cour.

Deux fois élu candidat au Corps législatif par le collège de l'Eure, il n'y fut admis, par le suffrage du Sénat conservateur, que le 6 janvier 1813. Vice-président de la Chambre à la première Restauration, il fit substituer aux formules de serment plus ou moins féodales de l'ancien régime, le serment de « fidélité au roi et à la Charte », et fut nommé, par Louis XVIII, officier de la Légion d'honneur (28 décembre 1814).

Le 9 mai 1815, aux Cent-Jours, le collège de département de l'Eure l'élut représentant par 87 voix sur 91 votants. Il fut élu second vice-président de la Chambre, et se mit à la tête de l'opposition contre un retour possible de Napoléon aux idées absolutistes.

Après Waterloo, il fit insérer dans la déclaration du 4 juillet 1815 que « la France ne reconnaîtrait d'autre gouvernement que celui qui lui garantirait, par des institutions librement consenties, l'égalité devant la loi, la liberté individuelle, la liberté de la presse et des cultes, le jury, l'abolition de toute noblesse héréditaire, l'inviolabilité des domaines nationaux, et tous les grands résultats de la Révolution ». Le lendemain, il demanda qu'une députation de la Chambre allât porter cette déclaration aux souverains alliés. La motion fut votée, et il fut désigné pour faire partie de cette mission, que les événements ne permirent pas d'accomplir. Cette attitude l'empêcha d'être élu député à la Chambre introuvable de 1815, mais, après la dissolution, il se porta candidat dans l'Eure ; le gouvernement le fit exclure du conseil général de ce département: le collège de département ne put se constituer en nombre suffisant, et ce ne fut que l'année suivante que Dupont de l'Eure fut élu député de l'Eure (20 septembre 1817), au collège de département, par 601 voix sur 963 votants et 2 073 inscrits.

Il prit place dans l'opposition constitutionnelle, dénonça l'arbitraire des ministres, défendit la cause des membres de la Légion d'honneur, réclama une rigoureuse économie dans les finances, demanda la réduction des gros traitements, à commencer par les ministres, soutint la loi sur le recrutement, réclama l'attribution des délits de presse au jury, protesta contre l'inégalité de solde entre les Suisses de la garde du roi et l'armée, et combattit la motion Barthélemy portant modification de la loi électorale. En 1818, le ministère omit son nom dans les nouveaux cadres de la magistrature ; il le destituait ainsi de ses fonctions de président à la cour de Rouen. Béranger le vengea de cette mesure par sa chanson : le Trembleur, et ses compatriotes lui offrirent en 1824 le domaine du Hom, près Beaumont-le-Roger (Eure), acquis par souscription, pour lui permettre de payer le cens exigé par la loi électorale. Dans la session de 1820, Dupont de l'Eure figura brillamment dans la discussion des modifications à apporter à l'art. 361 du Code d'instruction criminelle sur le jury, et combattit énergiquement le projet relatif à la censure des journaux.

Il siégea sans interruption à la Chambre des députés sous la Restauration, successivement réélu :
- le 4 novembre 1820, dans le 2e arrondissement électoral de l'Eure (Pont-Audemer), par 301 voix sur 540 votants et 734 inscrits ;
- le 2 août 1824, dans le 1er arrondissement de Paris, en remplacement du général Foy qui avait opté pour Vervins, par 622 voix sur 1 215 votants, contre 553 voix a M. Lebrun et 22 à M. Delalot (il avait échoué le 25 février précédent, à Pont-Audemer, avec 127 voix contre 254 à M. Lizot, élu ;
- le 17 novembre 1827, dans le 1er arrondissement de Paris, par 1 094 voix sur 1 306 votants, contre 173 voix à M. Lebrun, candidat ministériel ; le même jour, il était également élu dans le 2e arrondissement électoral de l'Eure (Pont-Audemer), par 321 voix sur 434 votants et 538 inscrits, contre 96 voix à M. Le Pésant de Bois-Guilbert, et dans le 3e arrondissement (Bernay) par 228 voix sur 348 votants et 398 inscrits, contre 96 voix à M. Auguste Le Prevost.

Dupont de l'Eure, qui fut constamment aux premiers rangs de l'opposition libérale durant ces diverses législatures, combattit le ministère Polignac et fut des 221.

Réélu, le 12 juillet 1830, à Bernay, par 236 voix sur 330 votants et 372 inscrits, contre 87 voix à M. Mallard de la Varende, il était à Rouge-Perriers, près du Neubourg, au moment où furent promulguées les Ordonnances. Il accourut à Paris, hésita un moment entre la République et la branche cadette, mais suivit enfin La Fayette et Laffitte, et, en qualité de garde des Sceaux nommé par le nouveau pouvoir, reçut le serment prêté par Louis-Philippe dans la séance du 9 août 1830. L'accord dura peu entre le nouveau ministre et le nouveau roi ; l'extrême franchise de Dupont de l'Eure se pliait mal aux exigences de la politique d'alors ; il profita de la démission envoyée par le général La Fayette pour remettre la sienne (17 octobre 1830), protestant en même temps contre l'ajournement de la loi électorale. Il passa alors à l'opposition, et fut réélu, le 5 juillet 1831, par 198 voix sur 246 votants et 428 inscrits, contre 23 voix à M. Prétavoine. La mort tragique du jeune Dulong (Voy. ce nom), son parent, et, a-t-on dit, son fils naturel (30 janvier 1834), le plongea dans une telle douleur qu'il ne parut plus à la Chambre, et envoya sa démission de député ; mais les électeurs du 7e collège de l'Eure (Brionne) lui renouvelèrent son mandat le 21 juin 1834, par 165 voix sur 285 votants et 414 inscrits, contre 118 voix à M. Bioche, et Dupont de l'Eure vint reprendre, dans l'opposition de gauche, son siège qui lui fut successivement maintenu :
- aux élections du 4 novembre 1837, par 283 voix sur 336 votants et 506 inscrits ;
- le 2 mars 1839, par 354 voix sur 365 votants
- le 9 juillet 1842, par 260 voix sur 516 votants et 649 inscrits, contre 232 voix à M. de Salvandy (le même jour, dans le 6e collège (Pont-Audemer), il avait échoué avec 223 voix contre 336 à M. Hébert, élu) ;
- le 1er août 1846, par 299 voix sur 325 votants et 628 inscrits, contre 20 voix à M. Lefebvre-Duruflé (le même jour, il échouait dans le 1er collège avec 232 voix contre 339 à M. de Salvandy, élu, et dans le 6e collège, avec 172 voix contre 421 à M. Hébert, élu).

Il prit une part active, en 1847, à la campagne des banquets réformistes, et présida, le 12 décembre, au Neubourg, un banquet qui fit du bruit.

À la séance de la Chambre du 24 février 1848, après l'envahissement de l'Assemblée, il fut porté au fauteuil, et présida à la proclamation de la République : il avait quatre-vingt-un ans. Le même jour, il fut nommé membre du gouvernement provisoire, puis président provisoire du Conseil des ministres.

Le 23 avril 1848, il fut élu représentant de l'Eure à l'Assemblée constituante, le 1er sur 11, par 99 023 voix sur 99 709 votants ; le même jour, il fut également élu dans la Seine, le 2e sur 34, par 245 083 voix sur 267 888 votants et 399 191 inscrits. Il opta pour l'Eure, remit, le 4 mai, à l'Assemblée les pouvoirs du gouvernement provisoire, et refusa de faire partie de la Commission exécutive.

Son grand âge le tint fréquemment éloigné des séances ; il ne prit part qu'à un certain nombre de votes :
- pour le bannissement de la famille d'Orléans,
- pour le décret sur les clubs,
- contre les poursuites contre Louis Blanc,
- pour l'abolition de la peine de mort,
- contre la proposition Grévy,
- contre le droit au travail,
- pour l'ordre du jour en faveur de Cavaignac,
- pour la réduction de l'impôt du sel,
- contre la proposition Rateau,
- contre le renvoi des accusés du 15 mai devant la Haute Cour,
- contre l'interdiction des clubs.

Lors de la lutte entre le prince Louis-Napoléon et le général Cavaignac, il avait pris ouvertement parti pour ce dernier, et c'est sur son initiative que fut voté, en novembre 1848, l'ordre du jour déclarant « que le général Cavaignac avait bien mérité de la patrie ».

Il ne fut pas réélu aux élections du 13 mai 1849 pour la Législative ; de même il échoua, le 8 juillet, dans une élection partielle des Bouches-du-Rhône, destinée à pourvoir au remplacement du général Changarnier qui avait opté pour la Somme : Dupont de l'Eure n'obtint que 17 642 voix contre 35 623 au général Rullière, élu ; le même jour, il échoua aussi dans le Calvados avec 14 035 voix contre 33 676 à M. Leroy-Beaulieu, élu (il s'agissait de remplacer M. Deslongrais, décédé), et dans la Charente-Inférieure où il avait deux représentants à remplacer, et où il ne réunit que 6 483 voix sur 53 106 votants.

Il rentra alors dans la vie privée, et s'éteignit à quatre-vingt-neuf ans, ayant conservé toutes ses facultés.

Le 4 septembre 1881, sous la présidence de Gambetta, le Neubourg a inauguré sa statue, œuvre de M. E. Decorchemont, d'Evreux, et élevée par souscription nationale.

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny)