Gaston DOUMERGUE, président de la République française (13.6.1924 au 13.6.1931)
Gaston Doumergue
Né à Aigues-Vives (Gard) le 1er août 1863, mort à Aigues-Vives le 18 juin 1937.Député du Gard de 1893 à 1910.
Sénateur du Gard de 1910 à 1924.
Ministre des Colonies du 7 juin 1902 au 24 janvier 1905.
Ministre du Commerce, de l'Industrie et du Travail du 14 mars au 25 octobre 1906.
Ministre du Commerce et de l'Industrie du 25 octobre 1906 au 24 juillet 1909.
Ministre de l'Instruction publique du 4 janvier au 3 novembre 1910.
Président du Conseil et Ministre des Affaires étrangères du 9 décembre 1913 au 9 juin 1914.
Ministre des Affaires étrangères du 3 août au 26 août 1914.
Ministre des Colonies du 26 août 1914 au 20 mars 1917.
Président du Conseil du 9 février au 8 novembre 1934.
Président de la République de 1924 à 1931.
Issu d'une famille terrienne et protestante enracinée en terre languedocienne depuis plusieurs siècles, Gaston Doumergue fut élevé dans la foi protestante par sa mère, femme de vive intelligence et de grand bon sens, et dans les idées républicaines par son père, vigneron travailleur et économe qui, ayant acquis une certaine aisance, voulut diriger son fils vers une carrière libérale. Après de bonnes études primaires à l'école publique du village et de solides humanités au lycée de Nîmes où il se révéla un excellent élève, le jeune bachelier alla à Paris pour y faire ses études de droit puis, son « volontariat » militaire effectué, revint à Nîmes pour se faire inscrire au barreau en 1885.
Il n'y demeura pas longtemps. Son stage accompli, il entra dans la magistrature et, sur sa demande, fut nommé juge en Indochine (1890). La mort de son père l'ayant rappelé en métropole, il obtint en 1893 d'être envoyé en Algérie comme juge de paix à compétence étendue. C'est alors qu'Emile Jamais, le député radical du Gard, son protecteur et compatriote d'Aigues-Vives, vint à mourir et que Doumergue, poussé par ses concitoyens, posa sa candidature et, le 17 décembre 1893, fut élu député de la deuxième circonscription de Nîmes, au second tour de scrutin, par 10.101 voix contre 25 et 24 voix respectivement à ses concurrents Peyron et Marnéjol, sur 10 564 votants. Ainsi commençait par un brillant succès électoral une carrière politique qui devait être longue et comblée.
Aussitôt élu et admis, Gaston Doumergue s'inscrivit au groupe radical-socialiste. Il travailla au sein de Commissions, notamment : Commission relative aux justices de paix (1894), Commission du budget pour 1896, Commission d'enquête sur l'affaire de Panama (1897). Il fut élu secrétaire de la Chambre des députés en 1895 et en 1896.
Ses débuts à la tribune, il les fit en novembre 1894, lors de la discussion d'un projet de loi par lequel le Cabinet Charles Dupuy demandait l'ouverture d'un crédit de 65 millions pour l'expédition militaire à Madagascar : le 22, il manifestait avec la conviction de son jeune républicanisme « de gauche » son opposition à la lointaine campagne et à la politique coloniale du Gouvernement, défendue contre les radicaux et les socialistes par les ministres Delcassé (colonies) et Gabriel Hanotaux (affaires étrangères). Bien charpenté, incisif, ce discours fut très applaudi par la gauche et l'extrême-gauche. Son auteur vota contre le projet.
Ses autres principales interventions, peu nombreuses mais substantielles, toujours d'un style clair, se placeront lors de la discussion du budget de l'exercice 1896, Algérie (fin 1895) ; lors du grand débat sur la déclaration de Madagascar et des îles voisines « colonies françaises » à laquelle il s'opposa le 20 mai 1896.
Réélu au premier tour de scrutin, par 11 514 suffrages contre 4 795 au candidat conservateur Nesmes-Desmarets sur 17 636 votants, lors des élections générales législatives du 8 mai 1898 - toujours dans la deuxième circonscription de Nîmes - son influence et son rôle au sein de la gauche grandirent et s'exprimèrent dans une série d'interventions écoutées et parfois vivement interrompues par la droite. On l'entendit comme rapporteur de la Commission des colonies lors des débats budgétaires ; lors de la discussion d'une interpellation de politique générale (16 novembre 1899), il soutint avec vigueur et talent le président du Conseil Waldeck-Rousseau contre Méline et Denys Cochin. Entre-temps, assidu aux travaux des Commissions, il avait déposé, avec plusieurs de ses collègues, une proposition de loi sur le recrutement de l'armée. En février 1900, il manifesta une fois de plus ses réserves quant à la politique du Gouvernement sur le plan colonial, intervenant à propos de l'envoi de troupes à Madagascar, tandis que la discussion, prolongée du régime fiscal des boissons le vit intervenir a plusieurs reprises pour, notamment, s'opposer à la suppression du privilège des bouilleurs de cru (décembre 1900). A la même époque, il approuva, dans un discours remarqué, le projet de loi d'amnistie. En 1901 et 1902, la crise viticole, le régime fiscal des boissons alcooliques, l'institution du repos hebdomadaire, lui fournirent l'occasion d'interventions favorables aux petits producteurs et aux travailleurs salariés.
Les votes qu'il émit pendant cette législature traduisirent les convictions républicaines et laïques du député de Nîmes, qu'il se prononce (25 octobre 1898) pour la confiance au Cabinet Brisson lors d'une interpellation sur l'affaire Dreyfus - il fut, on s'en doute « dreyfusard » - ou pour la suppression (30 janvier 1899) du budget des Cultes ; pour la confiance au Cabinet Waldeck - Rousseau à deux reprises (26 juin 1899 et 8 novembre 1900) ou pour le maintien du privilège des « bouilleurs ». Ces convictions savaient d'ailleurs se nuancer : tandis que le 18 décembre 1900 il s'abstint dans le scrutin sur l'amnistie, le 28 novembre 1901 il vota pour une motion d'hommage au corps expéditionnaire français en Chine et pour un additif exprimant « la réprobation de la Chambre pour l'évêque et les missionnaires voleurs et pillards ».
Lors du renouvellement de la Chambre en 1902, il conserva sans difficulté son siège, passant au premier tour de scrutin (27 avril) par 10 795 voix contre 3 480 à Gaissac sur 17 138 votants. Ce fut alors qu'Emile Combes, chargé par le président Loubet de constituer un Cabinet après la chute de Waldeck-Rousseau, appela Doumergue pour lui confier, le 7 juin 1902, le ministère des Colonies, poste où l'ancien juge en Indochine et en Algérie se trouvait à sa juste place et qu'il garda jusqu'au 24 janvier 1905, quand Rouvier succéda à Combes.
Ce ministère, à la fois technique et politique, il en assuma la gestion avec cette ardeur au travail, cette autorité souriante qui devaient caractériser toutes ses actions. Patriote de tradition républicaine, il y acquit le sens des responsabilités « impériales,» de la France. Parmi les mesures prises par lui pendant ces trois années d'administration des colonies, il faut citer la réunion sous l'autorité unique d'un commissaire général de tous les territoires du Congo et du Chari, la création et la réorganisation du service de la trésorerie en Indochine.
Sur le plan parlementaire, il intervint comme ministre pour défendre les crédits de son département devant les deux Assemblées ainsi que dans divers débats : notamment à la Chambre lors de la discussion du projet de loi portant suppression de l'enseignement congréganiste - il prend plusieurs fois la parole le 21 mars 1904 pour combattre, contre Georges Leygues et la majorité des députés, un amendement exceptant de la mesure générale les établissements installés dans les colonies - et pour répondre à des questions posées par des députés et des sénateurs.
Revenu siéger à la Chambre après la chute du Ministère Combes, il fut élu vice-président de celle-ci, fonction qu'il garda du 14 février 1905 au 17 mars 1906. De cette époque datent un important discours par lequel il exprima son opposition au traité de commerce avec la Russie et une intervention à l'appui de la proposition de loi étendant au commerce la législation sur les accidents du travail.
Le 14 mars 1906, Sarrien, chargé par le Président Fallières de constituer un Cabinet de « concentration républicaine », lui confia le portefeuille du commerce, de l'industrie et du travail, portefeuille qu'il devait conserver dans le premier Cabinet Clemenceau, qui succéda le 25 octobre au Cabinet Sarrien, jusqu'au 4 janvier 1908. Ce furent deux années plus de travail que d'éloquence. De cette époque date la création de la direction de la marine marchande, dont le mérite revient à Doumergue. Au Parlement, il n'intervint que rarement, notamment lors des débats budgétaires, lors de la discussion du projet de loi sur le mouillage des vins et les abus du sucrage.
Le 4 janvier 1908, il remplaça Briand au ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts en une période de lutte pour ou contre la laïcité. Fort de ses convictions Doumergue défendit contre Barrès le projet de loi pour le transfert des cendres de Zola au Panthéon ; déposa et soutint un projet de loi réprimant les entraves apportées par les parents à l'enseignement dans les écoles publiques. Ayant gardé son portefeuille dans le premier Cabinet Briand - formé le 24 juin 1909 - il dénonça de nouveau et en termes vifs, lors d'interpellations sur la « neutralité » de l'instruction (17 au 24 janvier 1910), les procédés des adversaires de l'école laïque ; il fit aussi adopter une loi sur la fréquentation scolaire.
C'est à cette époque, profitant d'une élection partielle, qu il entra au Sénat : le 6 mars 1910, au premier tour de scrutin, par 501 suffrages contre 189 à Colmet, 135 à Donon (sur 832 votants) il fut élu pour occuper le fauteuil laissé vacant dans le Gard par Desmons, décédé. Sa première intervention à la Haute Assemblée, il la fit comme ministre. Peu de temps après, d'ailleurs, il rentrait dans le rang et prenait possession de son siège sénatorial.
Inscrit au groupe de la gauche démocratique radicale et radicale socialiste, il travailla au sein des Commissions : de l'armée, des finances, de l'enseignement supérieur. En séance publique, il intervint peu. On l'entendit principalement plaider en faveur de l'enseignement de l'arabe en Algérie. Plus tard, sa réélection lors du renouvellement triennal de 1912 - il obtint 434 voix contre 390 à Crémieux et 380 à Bonnefoy-Sibour sur 835 votants - ayant augmenté son autorité dans la Haute Assemblée, il prit la parole plus souvent, présenta des rapports sur les questions fiscales ; parmi les votes importants de cette époque, on relève de lui un vote pour l'inscription de crédits supplémentaires afférents aux opérations militaires au Maroc, un vote pour l'ordre du jour Combes sur la politique scolaire et la défense de la laïcité (mars 1912).
L'année 1913 voit une succession de Cabinets éphémères, tandis que l'horizon international s'obscurcissait. Sollicité par Poincaré, récemment élu Président de la République, Doumergue accepta, le 9 décembre, de former un Cabinet « d'entente républicaine », prenant le portefeuille des Affaires étrangères, confiant celui des Finances à Caillaux : tâche difficile qui l'obligea à concilier l'intérêt permanent du pays et les revendications de son parti politique et dont il s'acquitta du mieux qu il put, avec l'habileté, la finesse qui le caractérisaient, avec son patriotisme aussi. Prouvant que l'homme de Gouvernement l'emportait sur l'homme de parti, il commença par déclarer qu'il appliquerait loyalement la loi du service militaire de trois ans - qu'il avait votée, non sans scrupules de conscience - et qu'il soutiendrait aussi le projet d'impôt sur le revenu, dont il obtiendra le vote, non sans mal.
Très vite il lui fallut, sur le front parlementaire, livrer bataille, payant fréquemment de sa personne ; sur la politique financière (février 1914) ; sur l'occupation militaire du Maroc, hommage étant rendu à l'œuvre civile du maréchal Lyautey (mars) ; pour l'incorporation dans la loi de finances de l'impôt sur le revenu (avril) ; pour défendre un ministre - Bienvenu-Martin, Garde des Sceaux - mis en cause à l'occasion de la discussion des conclusions de la Commission d'enquête sur l'affaire Rochette - les anciens présidents du Conseil Monis et Caillaux étaient soupçonnés d'être intervenus pour faire suspendre le cours de la justice en faveur de l'escroc Rochette, Ce dernier débat, outre le scandale causé par le meurtre par Mme Caillaux du directeur du Figaro, Calmette - ce qui avait entraîné la démission de son mari alors Ministre des Finances - avait contribué à l'affaiblissement de la cohésion du Cabinet. Doumergue, qui avait eu à résoudre de nombreuses difficultés de politique extérieure, qui ressentait aussi quelque amertume de se sentir parfois incompris de ses amis politiques, considérant que sa tâche était terminée, malgré la majorité que lui assurèrent les élections législatives du 26 avril, démissionna le 3 juin 1914 et, une fois de plus, rentra dans le rang.
2 août 1914 : la guerre. A l'appel du président du Conseil Viviani, il revint au quai d'Orsay, qu'il abandonna bientôt lors du remaniement du Cabinet, devenu « d'union nationale », pour retrouver le ministère des Colonies, là où il devait rester jusqu'au 20 mars 1917, au sein des cinquième et sixième Cabinets Briand. Ce bref passage aux Affaires étrangères lui permit d'harmoniser de son mieux le concert diplomatique des nations alliées, de décider la Grande-Bretagne à accepter notre coopération militaire au Congo et au Cameroun.
Au ministère des Colonies, Doumergue accomplit une bonne besogne, assurant la sécurité de nos possessions, organisant le recrutement des troupes indigènes, réalisant la conquête des colonies allemandes du Togo et du Cameroun. Peu d'interventions au Parlement, sinon pour présenter les crédits de son département, ainsi que des textes sur le recrutement militaire, sur le chemin de fer de Djibouti à Addis-Abeba.
C'est surtout dans l'accomplissement d'une mission en Russie que les qualités - éminemment diplomatiques : souplesse et finesse dans la fermeté, chaleur humaine et affabilité de Doumergue donnèrent leur pleine mesure. De janvier à mars 1917, le ministre des Colonies représenta la France à la conférence interalliée de Saint-Pétersbourg ; il y négocia personnellement avec le tsar les problèmes relatifs au futur traité de paix. Cette mission devait rester sans résultats pratiques par suite de la révolution d'octobre qui bientôt survint.
De retour en France, la chute du Cabinet Briand (18 mars 1917) le rendit au Sénat. Là toute son activité, que ce fût au sein du groupe de la gauche démocratique - dont il devait devenir assez vite président - que ce fût dans les Commissions (marine, affaires étrangères et colonies), que ce fût en séance publique par ses interventions ou par ses votes, fut dirigée vers l'effort de guerre : répression pénale de l'insoumission, imposition des bénéfices de guerre, prorogation des baux à loyer, émission d'un emprunt national, crédits budgétaires trimestriels. Puis ce furent la victoire et la paix. Avec cette dernière, le Parlement retrouva le goût des grands débats politiques et aussi les préoccupations électorales. Dans la discussion - aussi longue que vive et acharnée - provoquée par le dépôt d'une proposition de loi modifiant le régime électoral des députés, Doumergue intervint en faveur de la représentation proportionnelle à un tour, qu'il votera avec la majorité (juin 1919). Devenu en 1920 président de la Commission de la marine, il fut nommé en 1920 vice-président de la Commission des affaires étrangères et des colonies. Comme tel, il prit la parole dans le débat relatif à l'exécution du protocole interallié du 16 juillet 1920. Entre temps, il avait fait adopter un ordre du jour faisant confiance au Cabinet Millerand pour assurer le développement de notre domaine extérieur ».
Réélu sénateur du Gard au premier tour (9 janvier 1921) du renouvellement partiel de la Haute Assemblée - 517 voix sur 813 votants - reconduit dans ses fonctions de président de la Commission de la marine, porté à la présidence de la Commission des affaires étrangères en 1922, Doumergue intervint peu. Il prit la parole principalement pour proposer de réduire le crédit destiné à l'Administration française en Syrie, pour défendre longuement les viticulteurs au regard du régime fiscal des boissons (9 juillet 1921), pour s'opposer à la reprise des relations diplomatiques avec le Saint-Siège (16 décembre 1921). Parmi ses votes importants, on relève un vote contre la discussion de propositions de loi concernant le vote des femmes, un vote pour la confiance au Cabinet Poincaré (23 juin 1922). Au nom de la Commission des affaires étrangères, il demanda et obtint l'affichage de la déclaration de ce dernier relative à l'occupation de la Ruhr (11 janvier 1923). On l'entendit encore lors de la discussion du projet de loi sur la taxation du chiffre d'affaires.
Le 22 février 1923, Léon Bourgeois ayant abandonné la présidence du Sénat, Doumergue fut élu pour le remplacer, au second tour de scrutin, par 142 voix contre 133 à de Selves. Il fut réélu, sans concurrent, le 19 janvier 1924.
Cependant, la situation politique s'était dégradée. Entré en conflit avec la nouvelle Chambre élue le 11 mai 1924 à la représentation proportionnelle, Millerand dut quitter l'Elysée. Sensible aux sollicitations de ses amis, Doumergue fit acte de candidature et fut élu Président de la République le 13 juin 1924, ayant recueilli 515 voix contre 309 à Painlevé et 21 à Camélinat, sur 815 votants.
Commençait alors un septennat qui devait être fertile en événements et pendant lequel Doumergue devait révéler ses qualités d'homme d'Etat. Sa première déclaration officielle, faite devant le Congrès de Versailles, définit la conception qu'il avait de sa fonction : « Nul plus que moi ne sera respectueux de la Constitution, nul plus que moi ne demeurera au-dessus des partis pour être entre eux l'arbitre impartial, nul plus que moi ne s'inspirera des volontés du Parlement, expression de la souveraineté nationale. » Son premier acte présidentiel fut de charger Herriot de constituer un Gouvernement lequel, bien qu'appuyé sur une majorité de « cartel des gauches », dura un an. Puis, d'avril 1925 à juillet 1926, six Cabinets se succédèrent - deux Painlevé, trois Briand, un second Herriot éphémère - tandis que le franc continuait à baisser. En juillet 1926, jugeant le pays au bord de la faillite financière, Doumergue appela Poincaré qui, se réservant les finances, constitua un Gouvernement « d'union nationale », qui devait durer deux ans puis, remanié, se prolonger jusqu'en juillet 1929. Vite, il ramena la confiance et rétablit la situation financière. Après la démission de Poincaré, malade, revint l'instabilité ministérielle ; de nouveau Doumergue dut dénouer des crises, six dans les deux dernières années de son mandat présidentiel. Lui, qui sentait bien le désir de paix et de stabilité émanant de la Nation, manœuvra du mieux que lui permettaient des mœurs politiques défectueuses, usant d'une influence personnelle qui, pour être discrète, n'en fut pas moins réelle sur le cours des affaires publiques. Lui seul, homme de gauche, pouvait faire une politique, au fond, conservatrice. Car il avait « la manière », son affabilité courtoise, teintée de bonhomie, son sourire légendaire lui valurent alors la sympathie de beaucoup de ses pairs et la popularité de la masse de la Nation qui en fit « Gastounet ».
Lui, le huguenot, « le laïc », fut aussi un artisan de paix religieuse. Il entretint avec les nonces des relations cordiales ; il reçut des légats et honora des cardinaux, tel le cardinal Dubois, archevêque de Paris, à qui il remit les insignes de Commandeur de la Légion d'honneur. Il présida en 1929 les fêtes du cinquantenaire de la délivrance d'Orléans par Jeanne d'Arc.
Sur le plan extérieur, ce septennat ne fut pas non plus de tout repos. Opérations militaires au Maroc et en Syrie ; mésentente entre alliés au sujet de l'Allemagne ; difficultés du désarmement ; réveil du nationalisme germanique, tout cela fut profondément ressenti par le patriote que fut toujours Gaston Doumergue. Sur ces problèmes de politique étrangère, on remarqua qu'avec Briand, inamovible au quai d'Orsay depuis 1925, il fut parfois en désaccord, très discrètement certes et sans jamais heurter son ministre de front. Il se garda de partager les illusions qu'eurent à cette époque nombre de ses amis politiques. Sur la fin de sa présidence, au lendemain de l'union économique de l'Allemagne et de l'Autriche, le discours qu'il prononça à Nice avant de s'embarquer pour un voyage officiel, eut la valeur d'un avertissement : « La France devra veiller, se tenir sur ses gardes... Pour travailler à établir la paix entre les peuples, la première condition est de faire l'union des cœurs, des esprits et des intérêts. »
Pendant les sept années de son mandat, Doumergue s'acquitta parfaitement en Président de la République modèle, de ses tâches représentatives et protocolaires. Il reçut officiellement le Sultan du Maroc, Moulay Youssef, le roi Fouad d'Egypte, le roi d'Afghanistan, l'aviateur Lindbergh ; il rencontra Alphonse XIII d'Espagne à Canfranc ; il fut reçu par le roi Georges V d'Angleterre, par Albert Ier, roi des Belges, par le Sultan Mohammed Ier du Maroc, par le prince de Monaco, par le Bey de Tunis. Outre plusieurs voyages à travers les provinces - dans le Gard d'abord - puis dans le Dauphiné, dans le Nord, dans le Nord-Ouest inondé, etc... - il en fit un, triomphal et significatif, en Algérie, du 2 au 14 mai 1930 - pour commémorer cent ans de présence française en terre maghrébine.
L'année suivante finissait son septennat. Dans les derniers jours de celui-ci, le 1er juin, Doumergue - réputé célibataire endurci - épousa discrètement au Palais de l'Elysée Mme Jeanne Graves. Le 12 il présida son dernier Conseil des Ministres et le 13 juin il transmit ses pouvoirs au Président nouvellement élu, Paul Doumer. Le lendemain, il prit le chemin de la propriété de sa femme à Tournefeuille (Haute-Garonne) où il comptait prendre un repos bien mérité. Cette retraite ne dura que trois ans, trois années pendant lesquelles la vie politique, marquée par la même instabilité gouvernementale - neuf crises en trente et un mois - la même impuissance des partis, la même facilité de mœurs parlementaires, connut un crise morale grave qui aboutit aux manifestations sanglantes du 6 février 1934 - réaction parisienne aux scandales de l'affaire Staviski - et à la démission de Daladier. Le Président de la République, soucieux de faire appel à une personnalité incontestée, s'adressa au « sage de Tournefeuille » qui finit par accepter et, après deux jours de consultations, présenta à Doumer un Cabinet où, sauf la S.F.I.O. , les communistes et l'extrême-droite, tous les partis étaient représentés. A côté de parlementaires chevronnés comme Herriot et Tardieu (ministres d'Etat), comme Sarraut (Intérieur) et Barthou (Affaires étrangères), comme Laval (Colonies) et Flandin (Travaux publics), on y trouvait des personnalités militaires, tel Pétain (Guerre), tel Denain (Air) et un représentant des anciens combattants et victimes de guerre, M. Rivollet.
Le premier acte du nouveau président du Conseil fut de faire afficher une proclamation déclarant qu'il avait constitué « un gouvernement de trêve, d'apaisement et de justice ». Le 15 février, ayant entendu la déclaration ministérielle, la Chambre lui vote la confiance par 465 voix contre 125. Le 19, il fut acclamé par la foule bruxelloise à l'occasion des obsèques du roi Albert, où il représentait la France avec Tardieu et Herriot.
Le second acte fut de demander pleins pouvoirs pour réaliser par décrets-lois un certain nombre de mesures administratives et financières, pouvoirs qui lui furent accordés le 22 février par la Chambre (368 voix contre 185) et par le Sénat (270 voix contre 20). Le budget, discuté rapidement, fut voté définitivement après quatre navettes, le 28 février.
Le 24 mars, inaugurant une série d'allocutions familières radiodiffusées - du type « causeries » au coin du feu - il adressa un appel à la Nation, déplorant l'affaiblissement de l'autorité et de la justice, le gaspillage des finances, annonçant la suppression des dépenses inutiles, concluant en exhortant les Français à l'union. Plusieurs trains de décrets-lois furent alors promulgués concernant les fonctionnaires, les anciens combattants, la sûreté générale (qui devient « nationale »), l'administration préfectorale, mesures qui firent l'objet de comptes rendus radiodiffusés du président du Conseil.
La vie politique reprit avec la rentrée du Parlement le 18 mai, avec le congrès socialiste de Toulouse (20-23 mai) qui réclamait la dissolution de la Chambre et l'élection à la représentation proportionnelle, et avec plusieurs graves débats dans les deux Assemblées qui obligèrent Doumergue à intervenir personnellement, notamment à l'occasion de l'ouverture de crédits militaires (14 et 15 juin, confiance votée par 420 voix contre 171) à la Chambre, puis au Sénat où il fut amené à déclarer sur le ton des confidences : « Ce n'est pas d'aujourd'hui que j'ai compris que la présidence du Conseil était un mot et non une réalité ». Quatre fois encore, il dut poser la question de confiance, notamment pour faire voter une réforme fiscale, une loi sur les grands travaux avant de lire, le 6 juillet, le décret de clôture et d'envoyer les parlementaires en vacances. Vacances qui ne furent pas trêve politique puisque Doumergue dut interrompre son séjour à Tournefeuille pour faire la paix au sein du Cabinet, menacée par un conflit Tardieu-Herriot. Pendant ce temps, des événements graves et inquiétants avaient troublé l'Europe : assassinat du chancelier d'Autriche, Dollfus, plébiscite en Allemagne approuvant la désignation de Hitler comme président et chancelier du Reich.
Tout cela décida Doumergue à dévoiler à la Nation, dans un nouvel appel radiodiffusé le 24 septembre 1934, le fruit de ses méditations, et à insister sur la nécessité de réformer les institutions en donnant au président du Conseil l'autorité d'un premier ministre, notamment par la faculté, en cas de conflit avec la Chambre, de provoquer de nouvelles élections par l'attribution au seul Gouvernement de l'initiative des dépenses, par la législation constitutionnelle du statut des fonctionnaires, toutes mesures selon lui conditionnées par la préalable restauration de l'esprit civique et du patriotisme.
En octobre, Louis Barthou ayant péri à Marseille aux côtés du roi Alexandre de Yougoslavie, assassiné par un Croate, Doumergue confia le portefeuille des affaires étrangères à Pierre Laval, tandis que Chéron, en butte à de vives critiques pour sa gestion du Ministère de la Justice, démissionnait. Malgré l'opposition du groupe de la gauche démocratique du Sénat à ses projets de réforme de la Constitution, malgré celle du congrès radical-socialiste de Nantes, Doumergue affirma de nouveau par radio, le 3 novembre, sa détermination de réaliser lesdits projets. Le 6 ce fut la rentrée des Chambres. Le 8, le refus des ministres radicaux, conduits par Herriot et Georges Bonnet, de présenter un projet de « douzièmes provisoires » et leur départ du Cabinet entraînèrent la démission du président Doumergue, lequel, dans une déclaration faite à l'issue du Conseil des ministres, affirma : « J'ai été amené à quitter le pouvoir ; je prie tous mes concitoyens de garder le calme qui est nécessaire pour résoudre les difficultés présentes au mieux des intérêts et de la sécurité de la patrie... Les responsables de la politique qui aboutit aux émeutes de février et à la mort d'anciens combattants qui défilaient sans armes place de la Concorde ne veulent à aucun prix avoir à répondre de cette politique devant le peuple avant que se soit écoulé un long délai. »
Le 11 novembre, la célébration du seizième anniversaire de l'armistice fut l'occasion d'une manifestation de la foule parisienne qui, aux Champs-Elysées, cria « Vive Doumergue » tandis que l'ancien Président de la République dut paraître au balcon de l'appartement qu'il allait quitter pour la retraite, cette fois définitive.
Définitive et de courte durée, puisqu'une crise cardiaque l'emporta subitement. le 18 juin 1937, alors qu'il dormait dans sa maison natale d'Aigues-Vives, où il était venu passer quelques jours. Il était âgé de 74 ans.
Membre de l'Institut (Académie des sciences morales et politiques), membre de l'Académie des jeux Floraux de Toulouse, docteur honoris causa de l'Université d'Oxford, Doumergue était Grand-Croix de la Légion d'honneur.
Son œuvre écrite comprend :
- une préface à Louis Barthou, d'Octave Aubert ;
- une préface à Le vice constitutionnel et la révision, de Maurice Ordinaire ;
- un avant-propos à l'Unité yougoslave et le roi Alexandre Ier, de Chantitch-Chandan.
Ont été publiées sous le titre Discours à la Nation française (Denoël et Steele, éditeurs), les huit allocutions qu'il prononça à la radiodiffusion pendant sa présidence du Conseil, en 1934.
Les principaux ouvrages publiés sur Doumergue sont :
- Doumergue et les politiciens, de Jacques Fischer (éditions Le Jour, 1935) ;
- Gaston Doumerque, sa vie et son destin, de Pierre Lafue (éditions Plon, 1933) ;
- Le Président Doumergue, de Maurice-Verne (éditions Berger-Levrault, 1925) ;
- Histoire des Présidents de la République, d'Adrien Dansette (éditions Amiot-Dumont, 1953).
Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940 (Jean Jolly)
Gaston Doumergue (1863 - 1937), Président heureux
Le 13 juin 1924, suite à la démission d'Alexandre Millerand, les parlementaires élisent à la présidence de la République Gaston Doumergue (61 ans).Cet avocat, fils d'un vigneron du Gard, est un homme de bon aloi, consensuel, à la faconde méridionale, gentiment qualifié de «Gastounet national».
Célibataire, il se fait assister de sa soeur dans les cérémonies protocolaires et consent à se marier enfin avec une ancienne maîtresse quelques jours avant la fin de son mandat élyséen.
Après l'échec du Cartel des gauches, il appelle à la Présidence du Conseil Poincaré puis Tardieu. Son mandat se termine en beauté avec l'inauguration de l'Exposition coloniale de 1931.
Il est rappelé comme un sauveur à la Présidence du Conseil après les émeutes de février 1934. Il tente alors de renforcer les prérogatives présidentielles par une réforme de la Constitution mais l'opposition de ses amis radicaux le contraint au départ le 8 novembre 1934.
Le 13 novembre suivant, la Chambre porte à l'Élysée Paul Doumer.
Gaston Doumergue (1863 - 1937) - Président heureux - Herodote.net