Charles-François LEBRUN, consul (13.12.1799 au 18.5.1804)
Charles, François Lebrun de Grillon Duc de Plaisance (1739 - 1824)
Député en 1789, membre du Conseil des Anciens, pair de France, né à Saint-Sauveur-Lendelin (Généralité de Caen) le 19 mars 1739, mort au château de Sainte-Mesme (Seine-et-Oise) le 16 juin 1824, « fils M. Paul Lebrun et de Louise Lecrosnier », il commença ses études à Coutances et les acheva au collège des Grassins à Paris. Il manifesta de bonne heure une aptitude singulière pour les langues et apprit non seulement le grec et le latin, mais encore l'italien, l'allemand et l'anglais. Il se livra aussi à la culture du droit et des législations comparées: son livre préféré était l'Esprit des lois de Montesquieu.
De 1761 à 1763, il voyagea en Hollande et en Angleterre, observant, étudiant, comparant. À son retour en France, il devint avocat, sur les instances de sa famille, et suivit les cours de Lorry qui le recommanda à Maupeou. Ce fut là l'origine de sa fortune politique. Maupeou lui confia l'éducation de son fils aîné et la rédaction de ses discours et de ses écrits. Pour l'en récompenser, il lui obtint une place de censeur royal, que Lebrun accepta pour ne pas désobliger son bienfaiteur, mais qu'il s'efforça de remplir avec autant de justice que de modération.
Devenu chancelier, Maupeou n'eut garde d'oublier son protégé qui fut nommé inspecteur général des domaines de la couronne. En réalité, il dirigeait la chancellerie, ce qui explique le mot de Louis XV « Que ferait Maupeou sans Lebrun ? » Ce fut lui, en effet, qui composa le discours du chancelier sur la réforme des parlements et sur la nouvelle organisation judiciaire. Deux ans après, en 1773, Lebrun épousa Mlle de Lagoutte, mariage qui lui permit de vivre indépendant quand Maupeou quitta le ministère (24 août 1774). Il se retira alors en sa terre de Grillon, près Dourdan, où il se consacra exclusivement à la culture des lettres. De 1774 à 1789, il publia diverses traductions, plus élégantes que fidèles, notamment la Jérusalem délivrée et l'Iliade. Mais la réunion des Etat généraux vint tirer Lebrun de sa retraite volontaire. Il fit paraître à cette époque la Voix du citoyen qui contient de prophétiques aperçus sur les périodes qui suivirent et particulièrement sur les événements qui devaient amener l'établissement d'une dictature militaire.
Elu, le 29 mars 1789, député du tiers aux Etats généraux par le bailliage de Dourdan, il parut assez souvent à la tribune. Quoiqu'il se réservât de préférence aux discussions des comités, il parla sur la vente des biens du clergé, s'opposa à la création du papier-monnaie et fut le rapporteur et souvent le rédacteur des importantes lois financières que vota l'Assemblée. Lorsqu'il s'agit de l'organisation des pouvoirs politiques, il défendit avec énergie le système anglais et le principe des deux chambres. Mais ses arguments ne purent résister aux attaques de Sieyès ni à l'éloquence de Mirabeau. Président du directoire de Seine-et-Oise après la clôture de la Constituante, il eut à réprimer des troubles assez graves au commencement de 1792.
Au 10 août, il donna sa démission. Devenu suspect, il fut arrêté en septembre 1793 et enfermé a Versailles. Des habitants de Dourdan s'interposèrent auprès du représentant en mission pour que Lebrun fût relâché. On le fit en effet sortir de prison, mais en lui disant : « Tu peux retourner chez toi, on va te donner un fidèle-sans-culotte que tu paieras, que tu nourriras, et qui te surveillera. » Il ne tarda pas à être de nouveau incarcéré. Il ne dut la vie qu'au 9 thermidor qui lui valut en même temps la liberté. À la sollicitation de ses amis, il reprit alors la présidence du département de Seine-et-Oise, fut élu député de ce département au Conseil des Anciens, le 27 vendémiaire an IV par 247 voix sur 355 votants, et réélu le 25 germinal an VII. Il y prit la défense des parents des émigrés, combattit les emprunts forcés et fut le rapporteur d'un certain nombre de lois financières. Il ne prit aucune part directe au 18 brumaire; mais, le 19, il fut nommé membre de la Commission intermédiaire des Anciens, et devint troisième consul le 22 frimaire an VIII.
Tandis que Bonaparte se réservait la diplomatie et la guerre, il confia à Cambacérès la direction de la justice et à Lebrun la réorganisation des finances et de l'administration intérieure. Il lui avait dit toutes les difficultés du moment et n'eut qu'à se louer de cet heureux choix. Quand M. de Barante alla remercier Lebrun de l'avoir nommé préfet de l'Aude (an VIII), celui-ci lui dit : « Il est possible que vous soyez quelque peu aristocrate : il n'y a pas de mal quand on l'est dans une juste mesure. » Lebrun avait de nombreuses relations dans le monde de l'ancienne noblesse, et Louis XVIII essaya, à cette époque, de le gagner, par Mme de Pracomtal, « aux vrais principes de la monarchie ». Lebrun mit fin aux négociations par une lettre qu'il adressa à Louis XVIII, le 20 fructidor an VIII : « C'est pour aider à sauver la patrie, écrivit-il, que j'ai accepté la place que j'occupe ; mais il faut vous le dire et je vous crois le courage de l'entendre, ce n'est pas en lui donnant un roi qu'on peut la sauver aujourd'hui. »
Nommé architrésorier le 28 floréal an XII, à l'avènement de l'Empire, et grand-cordon de la Légion d'honneur le 10 pluviôse an XIII, Lebrun conserva vis-à-vis de l'Empereur une certaine indépendance. Bien qu'il acceptât, le 19 mars 1808, le titre de duc de Plaisance, il chercha à s'opposer à la création de la noblesse impériale et à l'abolition du Tribunat, sans y réussir.
En 1805, il fut chargé de l'organisation de la République de Gênes réunie à l'Empire, et nommé gouverneur général de son territoire.
En 1810, après l'abdication du roi Louis de Hollande, il reçut une mission extraordinaire dans ce pays et partit, avec le titre de lieutenant-général de l'empereur, pour y organiser toutes les branches des services publics. En quinze mois, cette lourde besogne fut menée à bonne fin. Il y resta quelque temps encore comme gouverneur général, et son administration fut si paternelle que les Hollandais l'appelaient : « le bon Stathouder ».
Mais les malheurs vinrent bientôt fondre sur lui. Son fils cadet, colonel de lanciers, périt pendant la retraite de Russie. L'année suivante, après Leipsig, les alliés envahirent la Hollande, une grave insurrection éclata à Amsterdam et il dut se retirer ; mais il le fit dignement et en plein jour. En raison de son âge, il ne prit aucune part aux événements de 1814 et resta fidèle à l'Empereur. Cependant, après l'abdication de Napoléon, il consentit à signer le rappel des Bourbons et fut nommé pair de France le 4 juin 1814.
Au retour de l'île d'Elbe, il devint grand-maître de l'Université et pair des Cent-Jours (2 juin 1815), mais la seconda Restauration le raya de la liste des pairs, et il ne rentra à la Chambre haute que le 5 mars 1819. Cette même année, à 80 ans passés, il adressa encore un discours au duc d'Angoulême à l'installation du conseil des prisons. Peu de temps après, il se retira définitivement à Sainte-Mesme, où il mourut.
Membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres depuis 1803, Lebrun a publié :
- Jérusalem délivrée, poème du Tasse (traduction, 1774) ;
- L'Iliade d'Homère (traduction, 1776 et 1809) ;
- La voix du citoyen (1789-1804) ;
- Lettres sur la finance (1791) ;
- L'Odyssée d'Homère (traduction, 1809), etc.
Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny)
LEBRUN CHARLES FRANÇOIS (1739-1824)
À Sainte-Hélène, parlant des deux consuls qui l'avaient assisté en l'an VIII, Napoléon disait qu'il « avait choisi en Cambacérès et Lebrun deux hommes de mérite, deux personnages distingués, tous deux sages, modérés, capables, mais d'une nuance tout à fait opposée. L'un (Cambacérès), l'avocat des abus, des préjugés, des anciennes constitutions, du retour des honneurs, des distinctions, etc. ; l'autre (Lebrun) froid, sévère, insensible, combattant tous ces objets, y cédant sans illusion et tombant naturellement dans l'idéologie. »
Lebrun débute aux côtés de Maupeou, sous Louis XV. Élu aux états généraux, il défend le bicaméralisme anglais, est arrêté en 1793 et libéré après la chute de Robespierre, en juillet 1794. Il représente la droite au Conseil des Anciens avant de se rallier à Bonaparte lors du coup d'État de Brumaire. Troisième consul dans la Constitution de l'an VIII, il a pour mission de rassurer les partisans de l'Ancien Régime, comme Cambacérès les conventionnels régicides. Il s'occupe plus particulièrement des finances. Avec l'avènement de l'Empire, il est nommé architrésorier. Alors qu'il ne cesse de s'appuyer sur Cambacérès auquel il confie la responsabilité des affaires en son absence, Napoléon se montre de plus en plus méfiant à l'égard de Lebrun, lui reprochant son attachement au libéralisme doctrinaire : « Le consul Lebrun était de l'Assemblée constituante, on le voit ; il en conserve l'idéologie. » Tous les témoins, Molé, Roederer, Pasquier, Beugnot ou Chabrol, gendre de Lebrun, confirment dans leurs mémoires cet effacement progressif de l'architrésorier, fait pourtant duc de Plaisance en mars 1808. Sa mission extraordinaire d'administrateur en Hollande, en 1810, après l'abdication de Louis Bonaparte, est une forme d'exil. Il échoue d'ailleurs comme gouverneur général de l'ancien royaume où Napoléon doit envoyer l'un des chefs de sa police, Réal, pour rétablir l'ordre. Lebrun ne pourra préserver la Hollande de l'invasion en 1813. Écarté de la Chambre des pairs sous la Restauration, il n'y revient qu'en 1819, mais n'y joue plus aucun rôle.
— Jean TULARD: CHARLES FRANÇOIS LEBRUN (1739-1824) - Encyclopædia Universalis