Alexandre MILLERAND, président de la République française (23.9.1920 au 11.6.1924)

.Alexandre Millerand - Un combattant à l'Elysée


Député à vingt-cinq ans, premier socialiste à recevoir un portefeuille ministériel, ministre de la Guerre en 1914, représentant du Gouvernement dans l'Alsace redevenue française, président du Conseil puis président de la République en 1920, Alexandre Millerand a mené sa carrière politique à la vitesse " d'un boulet de canon ", selon l'expression de son camarade Viviani.
Pourtant, malgré une œuvre incontestable de pionnier, il est aujourd'hui le grand oublié du roman national, à la différence de ses amis, Clemenceau, Poincaré, Briand ou Jaurès. L'engagement de celui qui s'illustra comme un des premiers adversaires de Boulanger et un défenseur de Dreyfus a été mal compris. Dépassé à gauche alors qu'il défend l'idéal républicain et un socialisme du gouvernement, il l'est aussi à droite, son patriotisme ayant été largement utilisé et manipulé par l'extrême droite. Son idéal de gouvernement au centre est rejeté par les partis politiques, qui le chassent brutalement du pouvoir en 1924, le précipitant dans une retraite volontaire de vingt années.
Grâce à l'exploitation d'archives inédites, Jean-Philippe Dumas retrace le parcours de cet homme politique tout entier d'exigence et de refus du compromis. À travers le regard toujours vif de celui-ci, il relit l'histoire de la Troisième République, mais surtout fait revivre une pensée essentielle sur la France, la République et la nation.
À l'heure où les thèmes mis en avant par Millerand, la laïcité, le patriotisme, la modernisation des institutions, mais aussi le paritarisme, sont au cœur des débats qui passionnent la société française, il est plus que jamais nécessaire de faire appel à l'expérience d'un homme qui a conduit le pays aux moments les plus dramatiques de son histoire.

Éditeur ‏ : ‎ Cnrs (28 avril 2022)
Langue ‏ : ‎ Français
Broché ‏ : ‎ 379 pages
ISBN-10 ‏ : ‎ 2271116007
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2271116000
Poids de l'article ‏ : ‎ 576 g
Dimensions ‏ : ‎ 15.2 x 3.1 x 23.3 cm

MILLERAND ALEXANDRE (1859-1943)

Avocat à Paris, Alexandre Millerand collabore au journal La Justice de Georges Clemenceau ; élu député de la Seine en 1885, il évolue rapidement vers le socialisme. Il refuse cependant de s'affilier à l'un des partis se réclamant de lui et anime le groupe des socialistes indépendants. Millerand développe un programme qui va servir de charte au socialisme réformiste, dans son discours de Saint-Mandé (1896), appelant à l'unité de tous les socialistes, il met en avant les trois points suivants : substitution progressive de la propriété sociale à la propriété capitaliste ; conquête des pouvoirs publics par le seul suffrage universel ; nécessité de ne pas sacrifier la patrie à l'internationalisme.

Millerand est le premier socialiste à participer à un ministère bourgeois, celui formé par Waldeck-Rousseau (1899-1901) : ministre du Commerce, de l'Industrie et du Travail, il met en place une Direction du travail et contribue à faire réduire la durée quotidienne de travail, qui passe de douze à dix heures. Il introduit également une restriction de l’emploi des immigrés dans certains secteurs, afin de protéger le « travail national ». Ministre des Travaux publics (1909-1910) puis de la Guerre (1912-1913), il est en 1914-1915 le défenseur de l'état-major contre les commissions parlementaires qui voudraient contrôler l'armée. Commissaire général en Alsace-Lorraine (mars-septembre 1919), il s'affirme comme un des chefs de la coalition de droite, le Bloc national. Président du Conseil en 1920, il est, à ce titre, l'artisan de la répression du vaste mouvement de grèves qui secoue le pays et l'initiateur de l'occupation de Francfort (« l'Allemagne doit payer ») et de l'intervention militaire en Pologne contre la Russie des soviets. Élu à la tête de la République en 1920, Millerand tente de rehausser le prestige de la fonction présidentielle, et intervient activement dans la vie politique : en 1922, il renvoie Aristide Briand, qui a fait selon lui de trop importantes concessions à l'Angleterre, et soutient Raymond Poincaré lors de l'occupation de la Ruhr (1923). Envisageant de proposer une révision de la Constitution, en vue de renforcer les pouvoirs du président, il se heurte au cartel des gauches, sorti victorieux des élections de 1924 et il est contraint de se retirer. Sénateur de 1925 à 1940, il ne jouera plus qu'un rôle effacé.

— Paul CLAUDEL : ALEXANDRE MILLERAND (1859-1943) - Encyclopædia Universalis


Alexandre Millerand


Né le 10 février 1859 à Paris.

Député de la Seine de 1885 à 1920.
Sénateur de la Seine de 1925 à 1927.
Sénateur de l'Orne de 1927 à 1944.
Ministre du Commerce du 23 juin 1899 au 4 juin 1902.
Ministre des Travaux publics du 24 juillet 1909 au 3 novembre 1910.
Ministre de la Guerre du 14 janvier 1912 au 13 janvier 1913 et du 26 août 1914 au 29 octobre 1915.
Président du Conseil et Ministre des Affaires étrangères du 20 janvier au 23 septembre 1920.
Président de la République du 24 septembre 1920 au 11 juin 1924.

Député de 1885 à 1889, né à Paris le 10 février 1859, il étudia le droit et, reçu avocat, s'inscrivit (1882) au barreau de Paris. Membre de la conférence Molé, il se lia avec M. Georges Laguerre, collabora, comme lui, au journal la Justice, et plaida, à ses côtés, dans un certain nombre de procès retentissants, notamment dans celui des grévistes de Montceau-les-Mines. Il contribua aussi à organiser à Paris et en province les conférences de l'Union de la jeunesse républicaine.

Elu, en 1884, sur un programme républicain-radical, conseiller municipal du 16e arrondissement de Paris pour le quartier de la Muette, il appartint au groupe autonomiste du conseil, et se fit remarquer dans les discussions.

Aux élections législatives du 4 octobre 1885, M. Millerand fut porté candidat dans le département de la Seine sur plusieurs listes républicaines, notamment sur celle du comité de la presse radicale ; n'ayant réuni, au premier tour, que 94 950 voix sur 434 011 votants, il se retira de la lutte avant le ballottage.

Mais, lors des élections complémentaires du 13 décembre suivant, motivées par l'option de six députés pour d'autres départements, Alexandre Millerand fut proposé de nouveau comme candidat radical, et cette fois fut élu député, le 3e sur 6, par 159 957 voix (347 089 votants, 561 617 inscrits). Il siégea à l'extrême gauche et fut un des lieutenants de Georges Clemenceau. Il prit part à un grand nombre de discussions de politique générale, tout en s'occupant particulièrement des questions de réforme pénitentiaire, qu'il traita à fond dans un rapport très remarqué, et de la réforme de la législation des faillites qu'il contribua largement à faire aboutir. Après être intervenu, en 1886, dans le débat sur la proposition Henri Rochefort relative à l'amnistie, dans l'interpellation Maillard sur les événements de Decazeville, après avoir interpellé lui-même le gouvernement sur les faits qui s'étaient passés à Vierzon la 6 octobre de la même année, il ne cessa de combattre les ministères Rouvier et Tirard, prit part (1887) à la discussion du budget de l'instruction publique, proposa la suppression des aumôniers, pasteurs et rabbins dans les lycées nationaux, fut nommé membre de la commission du budget, appuya l'interpellation Julien et Barodet sur la politique générale du cabinet Rouvier, auquel il reprocha vivement de s'appuyer sur la droite, se mêla à la délibération sur le projet de la loi organique militaire, fut entendu sur la demande en autorisation de poursuites contre M. Wilson, se consacra, durant l'année 1888, à l'examen et à la discussion de certaines questions économiques (travail des enfants et des femmes dans les établissements industriels), et déposa (9 mars 1889) à l'occasion du décret autorisant le duc d'Aumale à rentrer en France, une proposition d'amnistie pour les condamnés des dernières grèves (rejetée par 325 voix contre 153).

Adversaire déclaré de la politique « boulangiste », Alexandre Millerand se sépara de Georges Laguerre, dont il avait été l'ami, se prononça, dans la dernière session,

- contre le rétablissement du scrutin d'arrondissement (11 février 1889),
- contre l'ajournement indéfini de la révision de la Constitution,
- contre les poursuites contre trois députés membres de la Ligue des patriotes,
- contre le projet de loi Lisbonne restrictif de la liberté de la presse,

et s'abstint sur les poursuites contre le général Boulanger.

Comme avocat, M. Millerand a porté la parole avec succès dans des affaires politiques importantes. Outre celle de Montceau-les-Mines citée plus haut, il a assisté à Bourges les accusés de Vierzon (1886), ceux du procès Duc-Quercy et Roche (1886), etc.

Biographie extraite du 
dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 
(Adolphe Robert et Gaston Cougny)


Aux élections de 1889, Millerand fut élu député républicain socialiste de la 1re circonscription du XIIe arrondissement de Paris. Arrivé en seconde position au premier tour - le 22 septembre - avec 2.486 voix sur 10.149 votants contre 4.025 à Elie May et 1.619 à Lyon-Alemand, il obtint au second tour - le 6 octobre - 5.358 voix sur 9.729 votants, contre 4.277 à Elie May.

Son attirance pour les doctrines collectivistes commença de se préciser après les incidents dramatiques de Fourmies (1er mai 1891), à propos desquels il intervint le 4 mai à la Chambre et le 5 juillet devant la cour d'assises de Douai où il défendait Paul Lafargue, le gendre de Karl Marx, accusé de provocation à l'émeute. Il combattit sans relâche la politique opportuniste, qu'il s'agît des entraves apportées à l'exercice des droits octroyés par la loi du 21 mars 1881 aux syndicats professionnels (séance du 23 mai 1892), de la résistance opposée par le patronat à l'arbitrage gouvernemental demandé par les ouvriers dans le conflit des mines de Carmaux (séance du 26 octobre 1895) ou, dans un autre ordre d'idée, de la prorogation du privilège de la Banque de France (séance du 21 janvier 1892).

Les troubles survenus au quartier Latin en juillet 1893 lui furent une occasion de reprocher au ministère Charles Dupuy « de creuser un fossé entre les travailleurs et la République bourgeoise par une politique de réaction et de provocation ».

Les socialistes remportèrent un succès aux élections de 1893 : ils étaient 12 dans l'ancienne Chambre ; ils furent 42 dans la nouvelle. Millerand, qui avait énergiquement affirmé ses opinions au cours de la campagne, fut élu au premier tour par 6.448 voix sur 8.860 votants, contre 1.197 à Ribanier. Il prit, dès le début de la législature, l'initiative de la formation du groupe parlementaire socialiste qui réunit - chacune gardant son autonomie - toutes les fractions du parti.

Au lendemain de l'assassinat du Président de la République, Sadi-Carnot, le 24 juin 1894, Millerand dénonça à la séance du 28 juillet, le caractère purement politique du projet de loi enlevant au jury, pour la confier au tribunal correctionnel, la connaissance des délits de presse de provocation à la violence et d'apologie des crimes anarchistes. Casimir-Périer, élu Président de la République le 27 juin 1894, fut dès l'abord - tant pour ses origines de grande bourgeoisie que pour ses opinions conservatrices - en butte à l'hostilité de l'extrême gauche. Millerand, après l'avoir violemment attaqué dans La Petite République, porta le dernier coup en provoquant la chute du ministère Dupuy, le 14 janvier 1895, par le dépôt d'un projet de résolution tendant à la mise en accusation éventuelle de Raynal, signataire des conventions passées en 1883 entre l'Etat et les compagnies de chemins de fer, ami personnel et ancien collaborateur de Casimir-Périer. Celui-ci démissionna le lendemain.

Au cours de la présidence de Félix Faure, Millerand s'opposa à la politique d'accommodement avec la droite menée par les ministères Ribot et Méline ; il soutint, au contraire, le cabinet radical présidé par Léon Bourgeois, qui resta en fonction du 1er novembre 1895 au 23 avril 1896, et lorsque Léon Bourgeois démissionna après un vote hostile du Sénat, La Petite République protesta contre l'usurpation de pouvoirs dont cette assemblée se serait rendue coupable.

Le 30 mai 1896, les socialistes fêtèrent par un banquet, à Saint-Mandé, leur succès aux élections municipales des 3 et 10 mai. Millerand saisit cette occasion pour exposer le programme du parti, qu'il ramenait à trois articles essentiels : substitution nécessaire et progressive de la propriété sociale à la propriété capitaliste ; conquête des pouvoirs publics ; entente internationale des travailleurs. Face aux révolutionnaires, il déclarait que le parti ne devait attendre la réalisation de son idéal que du suffrage universel et, à l'encontre des antimilitaristes, il proclamait l'attachement des socialistes à « cet incomparable instrument de progrès matériel et moral forgé par les siècles qui s'appelle la Patrie française ». Cette politique fut, d'une manière générale, approuvée par le parti et suivie jusqu'à la naissance du « cas Millerand » en 1899.

Cependant, certaines dissensions subsistaient, qui amenèrent notamment Millerand à abandonner La Petite République qu'il dirigeait avec René Goblet depuis 1892, pour La Lanterne, dont il devint rédacteur en chef à la place de Briand au lendemain des élections de 1898.

Celles-ci ne modifièrent pas de manière substantielle la répartition des sièges. Millerand fut élu au premier tour, le 8 mai, par 8.791 voix sur 9.905 votants.

Le 22 décembre 1894, le capitaine Dreyfus avait été condamné pour haute trahison. Comme la plupart des socialistes, qui n'avaient d'abord vu dans « l'affaire » qu'une querelle entre factions bourgeoises, Millerand ne se déclara partisan de la révision qu'après les aveux et le suicide du colonel Henry, en août 1898. La bataille avait du reste rapidement débordé le terrain judiciaire et le ministère Dupuy n'opposait aux menées nationalistes qu'une résistance sporadique. Millerand convia tous les républicains à s'unir pour la défense du régime. A la suite de l'agression contre Loubet aux courses d'Auteuil, le gouvernement fut renversé le 12 juin 1899 et Waldeck-Rousseau constitua le 22 un ministère de « défense républicaine » où Millerand reçut le portefeuille du Commerce. En dépit de leur émotion à le voir siéger aux côtés du général de Gallifet « l'assassin des communards », les socialistes ne marquèrent de réserve que par l'abstention d'une partie d'entre eux dans le vote de confiance qui fut acquis au gouvernement le 26 juin par 25 voix de majorité, à l'issue d'une séance violemment agitée.

Suivant avec discipline la politique générale du président du Conseil, Millerand s'efforça surtout de laisser sa marque par de nombreuses initiatives dans le domaine social : « décrets Millerand » du 18 août 1899, fixant les clauses concernant les conditions de travail à insérer dans les marchés passés par l'Etat, les départements et les communes, clauses qui garantissaient le repos hebdomadaire et un salaire minimum ; création d'un conseil supérieur du travail ; loi du 30 mars 1900 fixant une durée maximum de travail pour tous les travailleurs industriels, quels que fussent leur sexe et leur âge. Certains projets de loi ne furent adoptés que longtemps après le départ de Millerand du ministère, tels celui instituant les retraites ouvrières voté en 1910, ou celui accordant aux syndicats professionnels la personnalité civile, voté en 1920. Le texte concernant l'arbitrage obligatoire en matière de conflits du travail, que Millerand devait évoquer devant le Sénat en 1936 et 1938, ne fut jamais voté. En dépit des difficultés politiques et de l'agitation sociale, le suffrage universel ratifia en 1902 la politique de Waldeck-Rousseau. Celui-ci n'en démissionna pas moins, invoquant des raisons de santé, et Combes lui succéda le 7 juin. Millerand, après une rude campagne au cours de laquelle il subit les assauts convergents des nationalistes et des révolutionnaires, était arrivé en tête au premier tour, le 27 avril, avec 4.935 voix contre 4.185 à Péchin et avait été élu au second tour, le 11 mai, par 5.683 voix sur 11.171 votants, contre 5.348 au même Péchin.

Les remous que sa participation au gouvernement avait provoqué chez certains socialistes s'amplifièrent après son départ et le « cas Millerand » fut fort discuté. En janvier 1904, la fédération de la Seine votait son exclusion du parti socialiste et il ne fit pas appel de cette décision devant le congrès national. Il se rangea d'ailleurs parmi les adversaires les plus résolus d'Emile Combes, auquel il fit grief de tout sacrifier - et notamment les réformes sociales - à la lutte contre les congrégations.

Après la démission de Combes, le 18 janvier 1905, Millerand s'écarta de la politique active pour se consacrer à la présidence de la commission d'assistance et de prévoyance sociale de la Chambre et à son cabinet d'avocat.

Aux élections de 1906, il fut réélu au premier tour, le 6 mai, par 6.251 voix sur 11.640 votants contre 2.914 à Paul Lafargue.

Le 20 juillet 1909, Aristide Briand succéda à Clemenceau et confia à Millerand le portefeuille des Travaux publics. Millerand y réalisa une série de réformes, telles que : la refonte des directions postales, la création de la direction des mines et de l'office du tourisme et fit voter un projet de loi sur l'autonomie des ports de commerce. Mais l'année 1910 fut essentiellement celle des inondations et de la grève générale des chemins de fer. En ce qui concerne les premières, Millerand justifia devant le Sénat, le 4 mars, l'action du gouvernement attaqué par l'opposition et indiqua les mesures projetées pour prévenir le retour d'un pareil désastre. Quant à la grève, qui avait échoué par suite de la mobilisation des cheminots décidée par le gouvernement, il la condamna le 27 octobre devant la Chambre, la qualifiant de tentative révolutionnaire.

Aux élections de 1910, Millerand, arrivé en tête au premier tour avec 5.114 voix, fut élu au second, le 8 mai, par 5.245 voix sur 10.936 votants contre 4.571 à Péchin. Il fut évincé du ministère à l'occasion de remaniement effectué par Briand le 3 novembre.

Poincaré ayant succédé à Caillaux le 14 janvier 1912, confia à Millerand le portefeuille de la Guerre. L'action qui fut celle de Millerand dans ces fonctions toutes nouvelles, il en rappela le principe dans cette déclaration faite à la Chambre le 5 novembre 1912 : « L'idée générale qui m'a guidé a consisté à donner au commandement tous les éléments nécessaires au point de vue matériel et au point de vue moral pour remplir ses devoirs. » Il s'employa donc tout particulièrement à restituer l'autorité à tous les échelons et à exclure de l'armée la politique sous toutes ses formes - s'agît-il de la politique gouvernementale. C'est ainsi qu'il enleva aux préfets la faculté de fournir au ministère de la Guerre des renseignements sur les opinions des officiers. L'établissement de notre protectorat au Maroc reconnu, après l'incident d'Agadir, par les conventions du 4 novembre 1911, était entravé par l'anarchie qui régnait dans l'empire chérifien. Après les massacres de Fez du 17 avril, il apparut impossible de confier à un civil le poste de résident général : c'est Lyautey qui fut désigné, sur la proposition de Millerand.

La candidature de Poincaré à la succession de Fallières était virtuellement posée, lorsqu'un incident hâta le départ de Millerand. Celui-ci se considérant comme lié par un engagement pris par son prédécesseur, Messimy, à l'égard du lieutenant-colonel Du Paty de Clam, attribua à cet officier un emploi dans la réserve. L'affaire était en soi minime ; mais le rôle d'antidreyfusard actif joué par l'intéressé lors du procès de 1894 fut, à la veille des élections présidentielles, prétexte à polémiques. Poincaré désavoua son ministre qui démissionna. Les hostilités dans les Balkans ayant succédé à l'imbroglio marocain, le sentiment de la guerre possible s'accrut. Millerand se déclara un partisan déterminé du retour au service militaire de trois ans - prévu par un projet de loi déposé le 6 mars 1913 et qui provoqua une grande agitation au Parlement et dans le pays à la veille des élections législatives.

Le 26 avril 1914, Millerand fut élu au premier tour, par 6.243 voix sur 11.869 votants contre 4.955 à Musy. Trois mois plus tard, la guerre éclatait. Le 26 août, Viviani élargissait son cabinet en faisant appel à des personnalités connues, dont deux socialistes unifiés : Millerand reçut de nouveau le ministère de la Guerre.

Son premier acte fut de révéler, par le communiqué du 28 août, la gravité de la situation militaire : « De la Somme aux Vosges... ». Il s'employa à remédier à la pénurie de munitions et y parvint en partie. Mais avant tout, il fut le défenseur et le répondant de Joffre face aux attaques parlementaires : il apparut que, pour abattre le général en chef, il faudrait au préalable écarter le ministre. La première partie de l'opération fut réalisée par le biais du changement de gouvernement; Briand succéda à Viviani le 29 octobre 1915 et Gallieni remplaça Millerand. Un an plus tard, Nivelle remplaçait Joffre.

Au lendemain de la victoire, Clemenceau confia à Millerand la tâche d'administrer les provinces recouvrées d'Alsace et de Lorraine : le 22 mars 1919, il fut nommé commissaire général de la République avec les pouvoirs les plus étendus. Le passage d'une souveraineté à l'autre posait, dans tous les domaines, des problèmes difficiles que Millerand s'appliqua à résoudre dans le respect des traditions et des habitudes - qui ne cadraient pas toutes avec celles des autres départements français. Il y réussit et son départ de Strasbourg fut entouré de regrets unanimes.

Le 4 novembre, il avait accueilli dans la capitale alsacienne le président du Conseil, venu y prononcer le discours inaugural de la campagne électorale. Il apparut qu'en choisissant Strasbourg, Clemenceau avait voulu, notamment, marquer qu'il désignait Millerand comme son successeur à la tête du gouvernement.

Les élections de 1919 eurent lieu au scrutin de liste avec représentation proportionnelle. Millerand fut élu le 16 novembre, à la tête d'une liste « d'union républicaine, nationale et sociale », où voisinaient nationalistes, socialistes et radicaux et qui enleva 8 sièges sur 12. Lui-même obtint 73.759 voix sur 168.047 votants.

Une majorité considérable fut acquise à la coalition dénommée « bloc national » dont il s'était fait le champion : elle enlevait 437 sièges sur 613. Le 20 janvier 1920, Millerand était chargé par Poincaré, dont le mandat n'expirait que le 17 février - de former le ministère, où il prenait le portefeuille des Affaires étrangères. Le 12, il obtenait la confiance de la Chambre, par 510 voix contre 70 et 33 abstentions. Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement eut à faire face à de nombreuses grèves. Millerand, soutenu par la plus grande partie de l'opinion et par la majorité parlementaire, réagit énergiquement et la reprise du travail fut bientôt générale.

Dans le domaine diplomatique, il pensait depuis longtemps que la séparation des Eglises et de l'Etat impliquait le rétablissement des relations avec le Vatican. Il l'amorça en demandant des crédits, qui ne furent votés qu'en novembre, après son départ, et dès le mois de mars un ministre plénipotentiaire était officieusement accrédité auprès du Saint-Siège.

Le traité de Versailles à peine signé, les difficultés d'application apparaissaient.

L'armée allemande, vaincue mais non détruite, donnait déjà des signes de rébellion. Pour mettre fin à une incursion dans la zone démilitarisée, Millerand fit occuper Francfort et Darmstadt. Le problème des réparations - sur lequel Français et Britanniques se trouvaient certainement en désaccord - fit l'objet de plusieurs réunions interalliées, dont la plus importante se tint à Spa, du 5 au 16 juillet 1920 : on y fixa, non le montant des paiements allemands, mais la part de chacun des alliés dans les réparations.

La guerre russo-polonaise avait commencé en avril 1920. Les troupes soviétiques, d'abord refoulées, avaient contre-attaqué et menaçaient Varsovie. Millerand soutint la Pologne par l'envoi d'argent et de matériel et dépêcha Weygand à la tête d'une mission militaire auprès de Pilsudski. En septembre, la situation était définitivement redressée.

Deschanel, élu Président de la République contre Clemenceau le 17 février 1920, fut contraint de démissionner, pour raisons de santé, le 21 septembre. Un vaste mouvement d'opinion se dessina pour porter Millerand à l'Elysée. Il avait peu de goût pour la magistrature suprême mais, après le refus de Jonnart, il ne crut pas pouvoir résister et, le 23 septembre, il était élu Président de la République par 685 voix contre 95 à Delory, candidat des socialistes.

Après un court passage de Leygues à la tête du gouvernement, Briand redevenait, le 16 janvier 1921, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères. Aucune divergence de vues ne se manifesta entre lui et Millerand jusqu'au début de 1922. Le 4 janvier 1922, Briand rencontra à Cannes Lloyd George qui, après avoir mis en avant l'idée d'un pacte qui assurerait à la France la sécurité de ses frontières, proposa la réunion d'une conférence économique sur la reconstruction de l'Europe, à laquelle participeraient la Russie et l'Allemagne. Cela revenait à examiner sur des bases nouvelles la question des réparations. Millerand et la majorité des ministres réagirent vigoureusement contre des initiatives qui leur paraissaient conduire à des concessions considérables à l'Allemagne, sans contreparties réelles, et à l'intrusion dans le cercle des alliés de la Russie révolutionnaire. Millerand envoya à Briand de multiples mises en garde et celui-ci, se sentant désavoué, rentra à Paris et démissionna du haut de la tribune de la Chambre.

Poincaré, opposé lui aussi à la politique d'accommodement de Briand, lui succéda le 15 janvier. La conférence économique se réunit bien en avril, à Gênes, mais l'accord ne put se réaliser entre les alliés. En juillet, ceux-ci se trouvèrent devant une nouvelle demande de moratoire présentée par l'Allemagne où le mark se dépréciait à une allure vertigineuse. Les Français n'étaient prêts à l'accepter que contre une mise en gage des mines et des industries de la Ruhr, conditions que les Anglais refusèrent. Le gouvernement, contre le sentiment de Poincaré et sur l'insistance de Millerand, passa outre à cette opposition et décida l'occupation de la Ruhr, où les troupes françaises pénétrèrent le 11 janvier 1923. La résistance passive qui leur avait d'abord été opposée cessa officiellement le 26 septembre. Millerand et Foch pressèrent alors le président du Conseil d'exploiter ce succès, en partie inespéré, et de négocier avec les industriels allemands, qui s'y disaient prêts, un accord qui eût établi la suprématie économique de la France sur l'Allemagne. Poincaré s'y refusa : l'opération - risquée - de la Ruhr était close sans profit.

Dans la bataille électorale qui allait s'ouvrir, il apparut que Poincaré répugnerait à soutenir la politique de la majorité issue des élections de 1919 qu'il trouvait trop à droite. Millerand résolut de le suppléer et, le 14 octobre 1923, il prononça à Evreux un discours où il défendait l'action menée par le bloc national et critiquait ses adversaires radicaux et socialistes qui avaient formé, en vue des élections, le « cartel des gauches ». Il engageait ainsi son mandat. Le 11 mai 1924, le cartel des gauches triomphait aux élections et la campagne contre le Président de la République, engagée bien avant le scrutin, se déchaînait. Il devint évident que la Chambre exigeait le départ de Millerand. Après qu'Herriot, chef de la majorité, Painlevé et Steeg eurent décliné l'offre de former le gouvernement, Millerand nomma président du Conseil François-Marsal, son ancien ministre des Finances, et le chargea de lire devant la Chambre un message dans lequel il rappelait que le Président de la République n'était responsable qu'en cas de haute trahison et mettait en garde le Parlement contre une violation de la constitution. La réponse de la Chambre fut catégorique : le 10 juin, en votant par 327 voix contre 217 une motion déposée par Herriot, elle refusa « d'entrer en relation avec un ministère qui, par sa composition, est la négation des droits du parlement ». Le même jour, par 154 voix contre 144, le Sénat ajourna une demande d'interpellation déposée par Chéron, en accord avec Millerand. Celui-ci démissionna le lendemain, 11 juin 1924.

Il retourna au Palais, où ses confrères l'élirent pour la seconde fois au Conseil de l'Ordre, honneur exceptionnel quand il ne s'agit pas d'une désignation au bâtonnat. Il redevint assidu aux séances de l'Académie des sciences morales et politiques dont il faisait partie depuis décembre 1918. Quant à son activité politique, elle se borna, pendant quelque temps, à la direction de la « Ligue républicaine nationale », qui devait combattre dans le pays la politique du cartel, mais dont l'action fut très réduite.

Le 5 avril 1925, Millerand fut élu sénateur de la Seine, en remplacement de Magny, décédé, par 520 voix sur 1.016 votants contre 175 à Autrand. Au renouvellement triennal du 9 janvier 1927, Millerand est battu : en 8e position au premier tour avec 368 voix sur 1.069 votants, il n'est plus qu'en 14e position au second tour avec 404 voix sur 1.071 suffrages et ne se maintient pas pour le troisième tour. Le 30 octobre 1927, il se présentait dans l'Orne à l'élection provoquée par le décès de Leneveu et était élu par 536 voix sur 845 votants, contre 303 à Labbé. Il fut réélu le 14 janvier 1936 avec 489 voix sur 843 votants, en même temps que Dentu (640 voix) et de Ludre (570 voix).

Inscrit au groupe de la gauche républicaine, il fut membre de la commission des affaires étrangères. Au Sénat, ses interventions furent assez rares et portèrent essentiellement sur la politique étrangère. Il dénonça à plusieurs reprises, avec vigueur, le danger que faisait courir à la paix la politique de l'Allemagne qui n'avait jamais accepté le traité de Versailles, et insista sur le fait que la force de la France et de ses alliés constituait la seule protection possible. Il le dit en 1926, à propos des accords de Locarno, qu'il vota non sans les avoir critiqués ; il le répéta en 1929 à propos des accords de Washington sur les dettes de la France envers les Etats-Unis et des accords de La Haye ; en 1930, à propos du plan Young (qu'il approuva); en 1931, réclamant que la question de l'Anschluss « projet qui porte dans ses flancs la guerre » fût soumise à la Société des Nations ; en 1934 et 1935, soulignant que « Mein Kampf sue la haine de la France et l'appétit de la guerre ». En 1936, il vota la ratification du pacte franco-soviétique - qu'il n'approuvait guère en principe - mais qui lui paraissait nécessaire après la réoccupation de la rive gauche du Rhin par Hitler ; il constata à ce propos l'impuissance de la Société des Nations à jouer le rôle de gendarme international et qualifia de « chimère » l'idée de sécurité collective. Dans sa dernière intervention, le 7 février 1939, il se demanda avec tristesse « comment on en était venu de Rethondes à Munich », insista encore une fois sur la nécessité pour la France d'être forte, et termina par un hommage vivement applaudi à l'Empire français « dont l'attachement est, pour la République, en même temps que la plus belle des récompenses, le plus précieux des réconforts ».

En dehors des problèmes de politique étrangère, Millerand n'intervint guerre qu'à propos des procédures de conciliation et d'arbitrage dans les conflits du travail pour rappeler, en 1936 sous le gouvernement Blum et en 1938 sous le gouvernement Chautemps, les principes qui inspiraient le projet établi jadis par le ministère Waldeck-Rousseau et montrer les différences que celui-ci présentait avec les textes en discussion.

Le 10 juillet 1940, Millerand, absent, ne prit pas part au vote de l'Assemblée nationale sur les pleins pouvoirs demandés par Pétain.

Les principaux ouvrages de Millerand sont : Le socialisme réformiste français (1906) ; Travail et travailleurs (1908) ; Politique de réalisation (1911) ; Pour la défense nationale (1913) ; La guerre libératrice (1918) ; Le retour de l'Alsace-Lorraine à la France (1933) ; Choix de plaidoyers (1921).

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940 (Jean Jolly)

Alexandre Millerand président de la République

Le 23 septembre 1920, à une écrasante majorité, les parlementaires français élisent à la présidence de la République Alexandre Millerand (65 ans), en remplacement de Paul Deschanel qui a du se démettre pour raison de santé.

Cet ancien militant d'extrême-gauche a évolué vers des positions de plus en plus droitières jusqu'à conduire la coalition du Bloc national aux élections législatives du 16 novembre 1919. Cela lui a valu d'être appelé à la tête du gouvernement par le président Raymond Poincaré.

De l'Élysée à la roche tarpéienne

Le futur président de la République est né le 10 février 1859 à Paris, sous le Second Empire, dans le ménage d'un modeste négociant en drap. Sa mère, Alsacienne et juive, se convertit au catholicisme et se fait baptiser en même temps que son fils.

Celui-ci, devenu avocat, se lie d'amitié avec un jeune confrère qui deviendra lui aussi président, Raymond Poincaré. Passionné par les questions sociales, il défend des grévistes et, en 1886, est élu député de la Seine, dans la mouvance radicale socialiste, celle de Georges Clemenceau.

Après la fusillade de Fourmies, le 1er mai 1891, il défend aux assises le gendre de Karl Marx, Paul Lafargue, accusé de provocation à l'émeute.

Quand Alexandre Milllerand entre à l'Élysée, il sort du rôle traditionnel d'arbitre qui est celui du président et tente de réformer la Constitution de façon à accroître les prérogatives présidentielles, en supprimant les restrictions au droit de dissolution de la Chambre des députés.

Sa tentative arrive trop tard. Elle est bloquée par lA victoire du Cartel des gauches aux élections du 11 mai 1924 : le chef de la coalition victorieuse, le maire de Lyon Édouard Herriot, refuse de composer le nouveau gouvernement sous l'égide du président. Dans l'impasse, celui-ci est contraint de démissionner. Il est remplacé par Gaston Doumergue.

23 septembre 1920 - Alexandre Millerand président de la République - Herodote.net