21 janvier 1793 : Tremblez maintenant que sa tête est tombée ! Un fantôme pèse sur la jeune république.


https://grandeschroniquesdefrance.blogspot.com/p/paris-21-janvier-1793-est-ce-bien-le.html

https://grandeschroniquesdefrance.blogspot.com/p/contexte-louis-xvi-roi-des-francais.html
LIRE "LE PROCES"
Paris, place de la Révolution, ancienne place Louis XV
21 janvier 1793, 10h22
Témoin imaginaire

« Est-ce bien le même individu, couronné et sacré à Reims, monté sur une estrade, environné de tous les grands, tous à ses genoux, salué de mille acclamations, presque adoré comme un Dieu, dont le regard, la voix et le geste étaient autant.de commandements, rassasié de respects, d'honneurs et de jouissances, enfin séparé, pour ainsi dire, de l'espèce humaine ? Est-ce bien le même homme que je vois bousculé par quatre valets de bourreau, déshabillé de force, dont le tambour étouffe la voix, garrotté à une planche, se débattant encore, et recevant si mal le coup de la guillotine qu'il n'eut pas le col mais l'occiput et la mâchoire horriblement coupés ? Quelques-uns je crie : « Vive la Nation, Vive la République ! Vive la Liberté ! ».

Son sang coule. Les cris de joie de frappent les airs et mon oreille. Ils se répètent le long des quais. Je vois les écoliers des Quatre-Nations qui élèvent leurs chapeaux en l'air. Son sang coule, c'est à qui y trempera le bout de son doigt, une plume, un morceau de papiers. L’un le goûte et dit : « Il est bougrement salé ! » D’autres se barbouillent mutuellement le visage. Un bourreau, sur le bord de l’échafaud, vend et distribue de petits paquets de ses cheveux. On achète le cordon qui les retenait. Soudain, un brestois semble-t-il, monte sur l’estrade, se frotte les bras avec le sang, asperge le public par trois fois et lance : « Républicains, le sang d’un roi porte bonheur ! » Chacun emporte un petit fragment de ses vêtements ou un vestige sanglant de cette scène tragique. Tout le peuple se tient sous le bras, riant et causant familièrement, comme lorsqu'on revient d'une fête. Les spectacles sont ouverts comme de coutume ; les cabarets, du côté de la place ensanglantée, vident leurs brocs comme à l'ordinaire ; on crie, les gâteaux et les petits pâtés autour du corps décapité. Le corps et la tête de Louis sont mis dans le panier d’osier et conduit au cimetière de la Madeleine, comme un autre criminel.

Je croise des législateurs qui ont voté la mort. Ils paraissent effrayés de ce qu’ils ont fait. Ils se regardent avec étonnement. Ils éprouvent une sorte de crainte, peut-être du repentir pour certains. Bien sûr, si je me positionne en juge, Louis a mérité la mort. Mais l’intérêt national parle ici plus haut que les forfaits. L’exécution est impolitique et dangereuse.

Tous ceux qui ont voulu préserver Louis XVI du supplice suprême sont menacés. Ils ont fait tomber la tête d’un roi, plus rien ne les empêche de faire tomber sur la même place celle d’un simple citoyen. J’ai peur de cette foule haineuse, délirante, exaltée. Voilà les hommes ! ils sont mus, entraînés à leur insu ; ils cèdent aux passions d'autrui, ils n'osent avoir leur avis, et il y en a bien peu qui sachent garder leur caractère, lorsque tout menace, frémit et s'ébranle autour d'eux.

Tremblez maintenant que sa tête est tombée ! Un fantôme pèse sur la jeune république.


Texte fortement inspiré de Louis-Sébastien Mercier.

Image