5 avril 1794: Procès et exécution de Danton


"Ma demeure sera bientôt dans le néant ; quant à mon nom, vous le trouverez dans le panthéon de l'Histoire." - Danton
Quel destin singulier que celui de Danton : issu de la petite bourgeoisie bourguignonne, monté à Paris pour devenir avocat comme tant d'autres à la fin du XVIIIe siècle, il devint pourtant en l'espace de quelques mois l'un des chefs de file les plus charismatiques de la Révolution française et, notamment, ministre de la Justice pendant deux mois.
Tribun superbe, corrompu à l'extrême, il laisse à la postérité un héritage controversé. Celui qui avait osé défier le Comité de Salut Public en exigeant la fin de la Terreur sera condamné à mort à la suite d'un simulacre de procès et exécuté le 5 avril 1794. Trois mois plus tard, les exécutions massives s'arrêtent.
CONTEXTE
Les récentes victoires aux frontières de la jeune République française à la fin de l'année 1793, en guerre contre l'Europe des rois, eurent des répercussions aussi bien militaires que politiques : la mise à l'ordre du jour de la Terreur le 5 septembre 1793, censée répondre aux invasions extérieures des puissances européennes, avait plus que rempli ses objectifs lorsque les premières contre-offensives poussèrent les combats sur les territoires mêmes des ennemis de la France.
Dès lors, deux partis irréconciliables s'affrontèrent à Paris sur la question de la poursuite ou non des mesures d'exception :
  • les "Enragés" : emmenés par Jacques-René Hébert, substitut du procureur de la Commune de Paris et journaliste engagé, ils réclamaient le durcissement de la Terreur,
  • les "Indulgents" : ils souhaitaient, par la voix de Danton, la fin de la Terreur et la libération immédiate des nombreux "suspects" entassés dans les prisons.
Le malaise était grand et se ressentait jusque sur les bancs de la Convention dont les députés, indécis, se déchiraient à la tribune. Mais les envolées lyriques des débats parlementaires de 1789 n'avaient plus la même saveur quatre ans plus tard car le poids de la guillotine pesait sur toutes les têtes et pouvait frapper quiconque perdait cette bataille des idées et des mots.
Le 3 décembre 1793, Danton est attaqué publiquement par Hébert et les siens au club des Jacobins, centre névralgique de la Révolution. Bénéficiant du soutien inespéré de Robespierre, alors membre du Comité de Salut Public - le gouvernement de la France révolutionnaire - le tribun entama un long bras de fer contre les Enragés. Mais le positionnement politique des deux factions, quel qu'il fut, attaquait aussi indirectement les actions du Comité jugées soit trop, soit pas assez excessives.
Ce dernier, jusqu'ici spectateur, prit la décision de frapper sur sa gauche : Hébert et ses partisans furent arrêtés dans la nuit du 13 au 14 mars 1794. Jugés sommairement par le Tribunal révolutionnaire, ils seront tous exécutés le 24. Sûrement Danton et les "Indulgents" se sont-ils sentis à cet instant en position de force mais ils oublièrent en l'état les nombreuses mises en garde de Robespierre, dont celle-ci mettant sur le même plan l'excès, c'est-à-dire les "Enragés", et le modérantisme, c'est-à-dire les "Indulgents" :
Le Gouvernement révolutionnaire doit voguer entre deux écueils, la faiblesse et la témérité, le modérantisme et l’excès ; le modérantisme qui est à la modération ce que l’impuissance est à la chasteté ; et l’excès qui ressemble à l’énergie comme l’hydropisie à la santé.Citation
Le Comité de Salut Public, ne supportant plus la poursuite des attaques contre sa politique, décida de frapper sur sa droite. Les députés Danton, Desmoulins, Lacroix et Philippeaux furent arrêtés dans la nuit du 30 au 31 mars 1794 et transférés dans un premier temps à la prison du Luxembourg.
L'INSTRUCTION
L'ENQUÊTE
[ Les procès de la Révolution Française, et surtout ceux s'étant déroulés pendant la Terreur, ne brillèrent pas particulièrement pour la qualité de leurs enquêtes préliminaires. Du moins, la constatation des infractions était latente et le rassemblement des preuves pour le moins expéditif, répertoriées dans des actes d'accusation ressemblant plus à des pamphlets qu'à de véritables rapports juridiques. Schématiquement, l'accusation avait parfois valeur de preuve et le simple fait de semer le doute ou de jeter le discrédit sur un individu suffisait au ministère public dans les cas les plus extrêmes.]
Juste après l'exécution d'Hébert le 24 mars, le Comité de Salut Public discutait déjà de sa prochaine cible, conclusion logique de cette entreprise d'épuration.
Robespierre, toujours hésitant à frapper "l'idole pourrie" Danton et surtout son ami d'enfance, Camille Desmoulins, confia à Saint-Just quelques observations griffonnées sur un bout de papier. Il n'en fallut pas plus à "l'archange de la Terreur" pour bâtir un solide acte d'accusation qu'il présenta le 31 mars à 2 heures du matin aux autres membres du Comité. Tous signèrent l'arrestation des principaux "Indulgents", à l'exception de Lindet, apostrophant pour l'occasion ses collègues : "J'ai été choisi pour soutenir les révolutionnaires, pas pour les tuer".
LES FAITS IMPUTÉS
Saint-Just fera lecture le même jour à la Convention de l'acte d'accusation justifiant l'arrestation de Danton et de ses proches. Dans ce violent réquisitoire, le député de l'Aisne accusera le principal intéressé :
  • d'avoir entretenu des relations avec Mirabeau, déclaré traître à la Patrie pour ses échanges secrets avec Louis XVI, et Philippe d'Orléans, cousin de ce dernier ;
  • d'avoir entretenu des relations avec les frères Lameth et Barnave, royalistes notoires ;
  • d'avoir entraîné, en tant que rédacteur de la pétition demandant la République en 1791, le peuple au Champs-de-Mars, victime de la répression militaire tandis que lui, Danton, aura été épargné ;
  • d'avoir émigré en Angleterre suite à cet évènement ;
  • d'avoir consenti, par son silence, à la déclaration de guerre du 20 avril 1792 souhaitée par les Girondins à l'Assemblée Législative  ;
  • d'inaction personnelle lors de la journée du 10 août 1792, date de la fin de la monarchie en France, alors qu'il fut l'instigateur de l'évènement ;
  • d'avoir protégé Fabre d'Eglantine, accusé de fraudes dans l'affaire dite de la "liquidation de la Compagnie des Indes" ;
  • de s'être enrichis, lui et ses amis, dans le cadre de ses fonctions de ministre de la Justice après le 10 août ;
  • d'avoir protégé Dumouriez, général français passé à l'ennemi et déclaré traître à la Patrie, en tentant de couvrir sa forfaiture ;
  • d'avoir trop tendu la main aux ténors Girondins, déclarés traîtres à la Patrie après leur procès en octobre 1793 ;
  • d'avoir trop prêché la clémence et la modération envers les "suspects" de la Terreur.
On comprend que c'est principalement sur ce dernier chef que l'on souhaite faire juger Danton par le tribunal du peuple.
LE PROCÈS
LES DÉBATS
Le procès commença le 2 avril 1794. Les accusés comparurent devant les juges du Tribunal révolutionnaire en même temps que des individus douteux coupables de malversations tels un voleur, d'Espagnac, et les banquiers Frey, créant ainsi un effet d'amalgame procédural bien rôdé depuis quelques mois.

Les débats commencèrent vers midi et, déjà, Desmoulins récusa le juge Renaudin qu'il savait partial à son égard. Cette demande, fondée, ne fut même pas portée aux votes. Par contre, le célèbre accusateur public Fouquier-Tinville fut obligé de partager temporairement ses fonctions avec un autre car l'on se méfiait de sa lointaine parenté avec le même Desmoulins. Il faut comprendre que les membres du Comité, au mépris de toutes les règles de séparation des pouvoirs, se trouvaient physiquement en coulisses pour faire pression sur les membres du Tribunal.
La première journée d'audience porta essentiellement sur l'affaire de corruption de la Compagnie des Indes qui accablait Fabre et Chabot, deux autres accusés. Danton demanda en fin de séance la formation d'une commission pour examiner "le système de dictature exercé par le Comité de Salut Public" à son encontre. Cette demande fut tout naturellement rejetée par le juge Herman.
Le lendemain, 3 avril, Danton eut à répondre de ces principales incriminations :
Ses relations avec Mirabeau et le duc d'Orléans
Il est accusé d'avoir reçu un certain nombre de subsides de Mirabeau. Si ces faits étaient bien réels et connus de tous, le Tribunal n'avait pas au moment du procès les preuves matérielles justifiant la corruption.
Quant à Philippe d'Orléans, Danton minimisa la teneur des liens qui les unissaient.
L'affaire du Champs-de-Mars
Là encore, point de preuve, d'autant que souhaiter la République et la fin de la monarchie dès 1791 ne peut être constitutif du modérantisme qu'on lui reprochait. L'accusé balaya ainsi d'un revers de la main cette accusation et mit l'accent sur la "pureté de ses intentions".
L'émigration en Angleterre
Danton fit prévaloir que Marat, grande figure de la Révolution et martyr depuis son assassinat par Charlotte Corday, avait lui-même été forcé de quitter la France pour Londres.
Son attitude pendant la journée du 10 août 1792
Passage difficile de la défense de Danton où les témoins demandés n'ont jamais été présentés devant le Tribunal. L'accusé tenta de reconstituer son emploi du temps en se glorifiant d'avoir demandé l'élimination de Manda, commandant de la Garde Nationale et favorable au Roi, assassiné dans la nuit du 9 au 10. 
Sa richesse douteuse
Autre moment épineux du procès, Danton eut du mal à lever les suspicions relatives à la fortune qu'il s'est constituée. La corruption, présumée depuis longtemps, fut prouvée par un témoignage accablant du député Cambon.
Ses relations avec Dumouriez
Il lui est reproché de ne pas avoir ordonné la poursuite du général Dumouriez qui s'est vendu à l'ennemi. Danton, sans convaincre, affirma que la guerre n'avait jamais été son domaine de prédilection.
Ses relations avec les Girondins
Partisan de l'union sacrée entre les Girondins et les Montagnards à la Convention, Danton ne s'est jamais caché de sa proximité avec les leaders du parti opposé au sien. Mais il écarta d'emblée toute accusation de duplicité en prétextant qu'il participa activement à l'éviction des Girondins.
Le 4 avril, d'autres faits annexes se rajoutèrent à cette liste. Mais, globalement, les preuves en possession des accusateurs publics étaient minces. Danton se distingua par une défense énergique, utilisant une rhétorique de défi envers les juges - et donc le Comité de Salut Public. Alors que le procès était joué d'avance, la situation fut sur le point de s'inverser tant les jurés, touchés par la sincérité des accusés, demandèrent l'audition des témoins et la poursuite des débats.
Le Comité de Salut Public réagira par la prise d'un décret interdisant aux accusés de plaider leur cause en séance publique. Le sort des "Indulgents" était désormais scellé.
LE JUGEMENT
Le Tribunal révolutionnaire, conformément au décret du Comité, mit hors des débats les accusés et rendit son verdict sans que les principaux intéressés puissent l'entendre. La sentence, convenue à l'avance, fut la mort. Danton et ses partisans furent guillotinés sur la place de la Révolution à Paris (actuelle place de la Concorde) le 5 avril 1794.

Il existe un récit de son exécution par Arnault :
« L’exécution commençait quand, après avoir traversé les Tuileries, j’arrivai à la grille qui ouvre sur la place Louis XV. De là, je vis les condamnés, non pas monter mais paraître tour à tour sur le fatal théâtre, pour disparaître aussitôt par l’effet du mouvement que leur imprimait la planche ou le lit sur lequel allait commencer pour eux l’éternel repos (…) Danton parut le dernier sur ce théâtre, inondé du sang de tous ses amis. Le jour tombait. Je vis se dresser ce tribun, à demi éclairé par le soleil mourant. Rien de plus audacieux comme la contenance de l’athlète de la Révolution ; rien de plus formidable comme l’attitude de ce profil qui défiait la hache, comme l’expression de cette tête qui, prête à tomber, paraissait encore dicter des lois. Effroyable pantomime ! Le temps ne saurait l’effacer de ma mémoire. J’y trouve toute l’expression du sentiment qui inspirait à Danton ses dernières paroles, paroles terribles que je ne pus entendre, mais qu’on répétait en frémissant d’horreur et d’admiration : « N’oublie pas surtout, n’oublie pas de montrer ma tête au peuple : elle est bonne à voir. »

Sources: www.justice.gouv.fr; A.V. Arnault, Souvenirs d’un sexagénaire, librairie Dufey, Paris, 1833. Réédition : Champion, Paris, 2003. Consultable sur Gallica. Portrait de DANTON Par Anonyme — Musée Carnavalet, Domaine public.

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