2 avril 1791: Mirabeau, les baïonnettes, l'armoire de fer et la fin d'une légende révolutionnaire


L’émotion est intense à Paris et en France, ce 2 avril 1791, lorsque l’on apprend la mort soudaine de Mirabeau ; à 42 ans. Avec lui disparaît de la scène révolutionnaire, un de ses plus puissants orateur. L’Assemblée lui décerne les honneurs du Panthéon où i est enterré en grande pompe. Le département et la municipalité de Paris prennent le deuil. La célèbre Olympe de Gouge, militante des droits des femmes, fait jouer au Théâtre Italien une pièce titrée : Mirabeau aux Champs-Elysées.

La société des Jacobins magnifie l'incident du 23 juin 1789 entre le député du tiers état et le marquis de Dreux-Brézé, grand maître des cérémonies du roi Louis XVI, en commandant au sculpteur Houdon un buste du tribun sur lequel est gravée la célèbre harangue : « Allez dire à ceux qui vous envoient que nous sommes ici par la volonté nationale et que nous n'en sortirons que par la puissance des baïonnettes ». L'historien Malet, dans son manuel d’histoire de 1912, la retouchera en des termes encore plus héroïques, celle-ci deviendra dans la mémoire nationale : « Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et que l'on ne nous en arrachera que par la force des baïonnettes ». Cependant, au regard des témoins et des analystes de l’époque, l’intervention de Mirabeau n'apparait pas déterminante. Son intervention, attestée par quelques témoignages, et par Bailly lui-même dans ses Mémoires (qu'il a jugé déplacée et hors de toute mesure) aura perdu quelque peu de sa force dans le tumulte de l'Assemblée, et n'aura pas revêtu le caractère de théâtralité que souhaitait son auteur. C'est dans la Treizième Lettre du comte de Mirabeau à ses commettants, relatant les journées des 23, 24 et 25 juin, que se trouve la version de l'incident arrangée par ses soins. La réponse digne et mesurée de Bailly au marquis de Brézé y est passée sous silence. Mirabeau occupe seul tout l'espace, et sa longue péroraison se termine par ces mots : « Cependant, pour éviter toute équivoque et tout délai, je vous déclare que si l'on vous a chargé de nous faire sortir d'ici, vous devez demander des ordres pour employer leur force ; car nous ne quitterons nos places que par la puissance de la baïonnette. » L’excellent service de relations publiques du député, servi par un organe de presse lu avec avidité arrangera la légende*.

Le 20 novembre 1792, moins de deux ans après la mort de l’illustre tribun, est découvert un passage dans le mur du château des Tuileries, fabriqué à la demande de Louis XVI. Ce passage passera à la postérité sous le nom "Armoire de fer". Les papiers qu’elle contient attestent des tractations secrètes et contre-révolutionnaires du roi avec les cours étrangères. Ces documents dévoilent, également, les relations de Mirabeau avec la Cour et les sommes qu’il a reçu.

Ainsi écrit-il à Louis XVI le 10 mai 1790 : « Je promets au roi loyauté, zèle, activité, énergie et un courage dont peut-être on est loin d'avoir une idée ». Mais son revirement est au moins autant motivé par de sordides motifs financiers que par des convictions politiques et il se fait grassement rémunérer par le roi pour éponger ses dettes considérables.

Dans ses notes secrètes au roi, il propose de se servir de la Révolution pour restaurer son pouvoir en favorisant l’émergence d’un parti monarchiste à l'Assemblée, en corrompant certains opposants, et en allant jusqu’à réclamer l'élection d'une nouvelle Assemblée. Il laisse même entrevoir la possibilité d'un coup de force en cas d’échec politique.

C’est la chute de l’icône révolutionnaire dont le double-jeu paraît aux grands jours. Suite à un rapport de Marie-Joseph de Chénier, la Convention décide, le 27 novembre 1793, de remplacer par le corps de Marat celui de Mirabeau. Ce ne sera fait que le 21 septembre 1794.

Il reste néanmoins, le premier symbole de l’éloquence parlementaire en France (d’où ses surnoms de « l'Orateur du peuple » et « la Torche de Provence »).

*Voir l’article de Bernard Coppens, paru dans « le Monde de la Révolution française », n° 6, juin 1989, et repris dans le catalogue de l’exposition « 1789, Assemblée nationale », organisée au Palais-Bourbon, juin-septembre 1989.