18 décembre 1806 : Napoléon entre dans Varsovie

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Le Bulletin de la Grande Armée est le nom d'un périodique paru sous le Premier Empire. Il était publié dans l'organe officiel du régime, Le Moniteur universel (ou Le Moniteur). Des copies étaient également envoyées aux autorités locales et étaient apposées sur les murs des bâtiments publics.
Ces Bulletins décrivent presque exclusivement l’activité militaire et les plans de la Grande Armée et de ses opposants – actuels ou potentiels. Ils s'adressent non seulement aux militaires de la Grande Armée, à qui elle permet de mieux appréhender la globalité de l'action à laquelle ils participent, mais aussi au public et aux cours étrangères. C'est à ce titre un prodigieux outil de communication de Napoléon. Parmi les grognards naîtra l'expression « menteur comme un Bulletin ».
La version proposée du bulletin ci-dessous est celle recueillis et publiés par ALEXANDRE GOUJON, ancien officier d’artillerie légère, membre de la Légion d’honneur.

CONTEXTE

Nous sommes en pleine campagne de Prusse et de Pologne se déroule pendant les guerres de la Quatrième Coalition de 1806 à 1807.


En juillet 1806, Napoléon crée la Confédération du Rhin, qui rassemble les petits États rhénans et d’Allemagne. Les plus petits sont intégrés aux électorats, aux duchés ou aux royaumes plus grands, ce qui facilite le gouvernement de l’Allemagne non-prussienne. Les plus grands États sont la Bavière et la Saxe, érigées en royaumes par Napoléon.


La Prusse n'accepte pas que la suprématie française s’étende jusqu’à ses portes et, le 9 août, alors que l’armée russe est encore loin de la Prusse, le roi Frédéric-Guillaume III, poussé par le Royaume-Uni, décrète la mobilisation afin de faire la guerre à la France. La logique aurait voulu qu’il entre en guerre avec l’Autriche et la Russie l’année précédente, ce qui aurait permis de contenir Napoléon et empêcher le désastre d’Austerlitz. 


BULLETINS DE LA GRANDE ARMÉE
(35ème au 45ème bulletins)

Posen, 28 novembre 1806

L’Empereur est parti de Berlin le 25, à deux heures du matin est arrivé à Küstrin le même jour, à dix heures. du matin. Il est arrivé à Meseritz le 26, et à Posen le 27, à dix heures du soir. Le lendemain, Sa Majesté a reçu les différents ordres des Polonais. Le maréchal du palais, Duroc, a été jusqu’à Osterode, où il a vu le roi de Prusse, qui lui a déclaré qu’une partie de ses États était occupée par les Russes, et qu’il était entièrement dans leur dépendance; qu’en conséquence il ne pouvait ratifier la suspension d’armes qu’avaient conclue ses plénipotentiaires, parce qu’il ne pourrait pas exécuter les stipulations. Sa Majesté se rendait à Königsberg.

Le grand-duc de Berg, avec une partie de sa réserve de cavalerie et les corps des maréchaux Davout, Lannes et Augereau, est entré à Varsovie. Le général russe Bennigsen, qui avait occupé la ville avant l’approche des Français, l’a évacuée, apprenant que l’armée française venait à lui et voulait tenter un engagement.

Le prince Jérôme, avec le corps des Bavarois, se trouve à Kalisz.

Toute le reste de l’armée est arrivé à Posen, ou en marche par différentes directions pour s’y rendre.

Le maréchal Mortier marche sur Anklam, Rostock et la Poméraranie suédoise, après avoir pris possession des villes hanséatiques.

La reddition de Hameln a été accompagnée d’événements assez étranges. Outre la garnison destinée à la défense de cette place, quelques bataillons prussiens paraissaient s’y être réfugiés après la bataille du 14. L’anarchie régnait dans cette nombreuse garnison. Les officiers étaient insubordonnés contre les généraux et les soldats contre les officiers. A peine la capitulation était-elle signée, que le général Savary reçut la lettre ci-jointe, n° 1, du général von Schoeler ; il lui répondit par la lettre n° II. Pendant ce temps la garnison était insurgée, et le premier acte de la sédition fut de courir aux magasins d’eau-de-vie, de les enfoncer et d’en boire outre mesure. Bientôt, animés par ces boissons spiritueuses, on se fusilla dans les rues, soldats contre soldats, soldats contre officiers, soldats contre bourgeois. Le désordre était extrême. Le général von Schoeler envoya courrier sur courrier au général Savary, pour le prier de venir prendre possession de la place avant le moment fixé pour sa remise. Le général Savary accourut aussitôt, entra dans la ville à travers une grêle de balles, fit filer tous les soldats de garnison par une porte et les parqua dans une prairie. Il assembla ensuite les officiers, et leur fit connaître que ce qui arrivait était un effet de la mauvaise discipline, leur fit signer leur cartel, et rétablit l’ordre dans la ville. On croit que, dans le tumulte, il y a eu plusieurs bourgeois tués.

Posen, 1er décembre 1806

Le quartier général du grand-duc de Berg était, le 27, à Lowiez.

Le général Bennigsen, commandant l’armée russe, espérant empêcher les Français d’entrer à Varsovie, avait envoyé une avant-garde border la rivière de Bzura. Les avant-postes se rencontrèrent dans la journée du 26; les Russes furent culbutés. Le général Beaumont passa la Bzura à Lowicz, rétablit le pont, tua ou blessa plusieurs hussards russes, fit prisonniers plusieurs cosaques, et les poursuivit jusqu’à Blonie.

Le 27, quelques coups de sabre furent donnés entre les grand’gardes de cavalerie. Les Russes furent poursuivis ; on leur fit quelques prisonniers.

Le 28, à la nuit tombante, le grand-duc de Berg, avec sa cavalerie, entra à Varsovie. Le corps du maréchal Davout y est entré le 29. Les Russes avaient repassé la Vistule, en brûlant le pont.

Il est difficile de peindre l’enthousiasme des Polonais. Notre entrée dans cette grande ville était un triomphe, et les sentiments que les Polonais de toutes les classes montrent depuis notre arrivée ne sauraient s’exprimer. L’amour de la patrie et le sentiment national est non-seulement conservé en entier dans le cœur du peuple, mais il a été retrempé par le malheur. Sa première passion, son premier désir est de redevenir nation. Les plus riches sortent de leurs châteaux pour venir demander à grands cris le rétablissement de la nation, et offrir leurs enfants, leur fortune, leur influence. Ce spectacle est vraiment touchant. Déjà ils ont partout repris leur ancien costume, leurs anciennes habitudes.

Le trône de Pologne se rétablira-t-il, et cette grande nation reprendra-t-elle son existence et son indépendance ? Du fond du tombeau renaîtra-t-elle à la vie ? Dieu seul, qui tient dans ses mains les combinaisons de tous les événements, est l’arbitre de ce grand problème politique.

Mais, certes, il n’y eut jamais d’événement plus mémorable, plus digne d’intérêt. Et, par une correspondance de sentiments qui fait l’éloge des Français, des traînards, qui avaient commis quelques excès dans d’autres pays, ont été touchés du bon accueil du peuple, et n’ont eu besoin d’aucun effort pour se bien comporter.

Nos soldats trouvent que les solitudes de la Pologne contrastent avec les campagnes riantes de leur patrie ; mais ils ajoutent aussitôt : Ce sont de bonnes gens que les Polonais. Ce peuple se montre vraiment sous des couleurs intéressantes.

Posen , 2 décembre 1806

Le fort de Czenstochowa a capitulé – 600 hommes qui en formaient la garnison, 30 bouches à feu, des magasins, sont tombés en notre pouvoir. Il y a un trésor formé de beaucoup d’objets précieux que la dévotion des Polonais avait offerts à une image de la Vierge, qui est regardée comme la patronne de la Pologne. Ce trésor avait été mis sous le séquestre; mais l’Empereur a ordonné qu’il fût rendu.

La partie de l’armée qui est à Varsovie continue à être satisfaite de l’esprit qui anime cette grande capitale.

La ville de Posen a donné aujourd’hui un bal à l’Empereur. Sa Majesté y a passé une heure.

Il y a eu aujourd’hui un Te Deum pour l’anniversaire du couronnement de l’Empereur.

Posen, 7 décembre 1806

Le général Savary, après avoir pris possession de Hameln, s’est porté sur Nienburg. Le gouverneur faisait des difficultés pour capituler. Le général Savary entra dans la place, et, après quelques pourparlers, il conclut une capitulation.

Un courrier vient d’arriver, apportant la nouvelle à l’Empereur que les Russes ont déclaré la guerre à la Porte; que Choczim et Bender sont cernés par leurs troupes; qu’ils ont passé à l’improviste le Dniester, et poussé jusqu’à Jassy. C’est le général Michelson qui commande l’armée russe en Valachie.

L’armée russe commandée par le général Bennigsen a évacué la Vistule, et parait décidée à s’enfoncer dans les terres.

Le maréchal Davout a passé la Vistule et a établi son quartier général en avant de Praga ; ses avant-postes sont sur le Bug. Le grand-duc de Berg est toujours à Varsovie.

L’Empereur a toujours son quartier général à Posen.

Posen, 9 décembre 1806

Le maréchal Ney a passé la Vistule et est entré le 6 à Thorn. Il se loue particulièrement du colonel Savary, qui, à la tête du 14e régiment d’infanterie et des grenadiers et voltigeurs du 69e et du 6e d’infanterie légère, passa le premier la Vistule. Il eut à Thorn un engagement avec les Prussiens, qu’il força, après un léger combat, d’évacuer la ville. Il leur tua quelques hommes et leur fit 20 prisonniers.

Cette affaire offre un trait remarquable. La rivière, large de 400 toises, charriait des glaçons; le bateau qui portait notre avant-garde, retenu par les glaces, ne pouvait avancer; de l’autre rive, des bateliers polonais s’élancèrent au milieu d’une grêle de balles pour le dégager. Les bateliers prussiens voulurent s’y opposer : une lutte à coups de poing s’engagea entre eux. Les bateliers polonais jetèrent les prussiens à l’eau, et guidèrent nos bateaux jusqu’à la rive droite. L’Empereur a demandé le nom de ces braves gens pour les récompenser.

L’Empereur a reçu aujourd’hui la députation de Varsovie, composée de MM. Gutakowski, grand chambellan de Lithuanie, chevalier des ordres de Pologne; Gurzynski, lieutenant général, chevalier des ordres de Pologne; Lubienski, chevalier des ordres de Pologne; Alexandre Potocki; Rzetkowski, chevalier de l’ordre de Saint-Sta-islas ; Luszewski.

Posen, 14 décembre 1806

Le général de brigade Belair, du corps du maréchal Ney, partit de Thorn le 9 de ce mois et se porta sur Gollub. Le ler bataillon du 6e d’infanterie légère et le chef d’escadron Schoeny, avec 60 hommes du 3e de hussards, rencontrèrent un parti de 400 chevaux ennemis. Ces deux avant-postes en vinrent aux mains. Les Prussiens perdirent un officier et 5 dragons faits prisonniers, et eurent 30 hommes tués dont les chevaux restèrent en notre pouvoir. Le maréchal Ney se loue beaucoup du chef d’escadron Schoeny. Nos avant-postes de ce côté arrivent jusqu’à Strasburg.

Le 11, à six heures du matin, la canonnade se fit entendre du côté du Bug. Le maréchal Davout avait fait passer cette rivière au général de brigade Gautier, à l’embouchure de la Wkra, vis-à-vis le village d”Okunin.

Le 25e de ligne et le 85e, étant passés, s’étaient déjà couverts par me tête de pont, et s’étaient portés une demi-lieue en avant, au village de Pomichowo, lorsqu’une division russe se présenta pour enlever ce village; elle ne fit que des efforts inutiles, fut repoussée et perdit beaucoup de monde. Nous avons eu 20 hommes tués ou blessés.

Le pont de Thorn, qui est sur pilotis, est rétabli; on relève les fortifications de cette place. 

Le pont de Varsovie, au faubourg de Praga, est terminé; c’est un pont de bateaux. On fait au faubourg de Praga un camp retranché. Le général du génie Chasseloup dirige en chef ces travaux.

Le 10, le maréchal Augereau a passé la Vistule, entre Zakroczym et Utrata. Ses détachements travaillent sur la rive droite à se couvrir par des retranchements. Les Russes paraissent avoir des forces à Pultusk.

Le maréchal Bessières débouche de Thorn avec le second corps de sa réserve de cavalerie, composé de la division de cavalerie légère du général Tilly, des dragons des généraux Grouchy et Sahuc, et des cuirassiers du général d’Hautpoul.

MM. de Lucchesini et de Zastrow, plénipotentiaires du roi de Pusse, ont passé le 10 à Thorn pour se rendre à Königsberg auprès de leur maître. 

Le bataillon prussien de Kloch a déserté tout entier du village de Brok. Il s’est dirigé par différents chemins sur nos postes. Il est composé en partie de Prussiens et de Polonais. Tous sont indignés du traitement qu’ils reçoivent des Russes. « Notre prince nous a vendus aux Russes, disent-ils ; nous ne voulons point aller avec eux. » L’ennemi a brûlé les beaux faubourgs de Breslau ; beaucoup de femmes et d’enfants ont péri dans cet incendie. Le prince Jérôme a donné des secours à ces malheureux habitants. L’humanité l’a emporté sur les lois de la guerre, qui ordonnent de repousser dans une place assiégée les bouches inutiles que l’ennemi veut en éloigner. Le bombardement était commencé.

Le général Gouvion est nommé gouverneur de Varsovie.

Posen, 15 décembre 1806

Le pont sur la Narew, à son embouchure dans le Bug, est terminé. La tête de pont est finie et armée de canons. Le pont sur la Vistule, entre Zakroczym et Utrata, auprès de l’embouchure du Bug, est également terminé. La tête de pont, armée d’un grand nombre de batteries, est un ouvrage très-redoutable.

Les armées russes viennent sur la direction de Grodno et sur celle de Brzesc, en longeant la Narew et le Bug. Le quartier général d’une de leurs divisions était le 10 à Pultusk, sur la Narew.

Le général Dulauloy est nommé gouverneur de Thorn.

Le 8e corps de la Grande Armée, que commande le maréchal Mortier, s’avance ; il a sa droite à Stettin, sa gauche à Rostock, et son quartier général à Anklam.

Les grenadiers de la réserve du général Oudinot arrivent à Kûstrin. La division des cuirassiers nouvellement formée, sous le commandement du général Espagne, arrive à Berlin.

La division italienne du général Lechi se réunit à Magdeburg.

Le corps du grand-duc de Bade est à Stettin ; sous quinze jours il pourra entrer en ligne. Le prince héréditaire a constamment suivi le quartier général, et s’est trouvé à toutes les affaires.

La division polonaise de Zajonchek, qui a été organisée à Haguenau, et qui est forte de 6,000 hommes, est à Leipzig pour y former son habillement.

Sa Majesté a ordonné de lever dans les États prussiens au-delà de  l’Elbe un régiment, qui se réunira à Münster. Le prince de Hohenzollern-Sigmaringen est nommé colonel de ce corps.

Une division de l’armée de réserve du maréchal Kellermann est partie de Mayence. La tête de cette division est déjà arrivée à Magdeburg.

La paix avec l’électeur de Saxe et le duc de Saxe-Weimar a été signée à Posen.

Tous les princes de Saxe ont été admis dans la Confédération du Rhin.

Sa Majesté a désapprouvé la levée des contributions frappées sur les États de Saxe-Gotha et Saxe-Meiningen, et a ordonné de restituer ce qui a été perçu. Ces princes, n’ayant point été en guerre avec la France et n’ayant point fourni de contingent à la Prusse, ne devaient point être sujets à des contributions de guerre.

L’armée a pris possession du pays de Mecklenburg. C’est une suite du traité signé à Schwerin le 25 octobre 1805. Par ce traité, le prince de Mecklenburg avait accordé passage sur son territoire aux troupes russes commandées par le général Tolstoï.

La saison étonne les habitants de la Pologne. Il ne gèle point. Le soleil paraît tous les jours, et il fait encore un temps d’automne.

L’Empereur part cette nuit pour Varsovie.

Kutno, 17 décembre 1806

L’Empereur est arrivé à Kutno à une heure après midi, ayant voyagé toute la nuit dans des calèches du pays, le dégel ne permettant pas de se servir de voitures ordinaires. La calèche dans laquelle se trouvait le grand maréchal du palais Duroc a versé. Cet officier a été grièvement blessé à l’épaule, sans cependant aucune espèce de danger. Cela l’obligera à garder le lit huit à dix jours.

Les têtes de pont de Praga, de Zakroczym, de la Narew et de Thorn, acquièrent tous les jours un nouveau degré de force.

L’Empereur sera demain à Varsovie.