D-DAY, l’autre histoire : "tous les GI’s n’ont pas été des héros"
L’information sur les viols commis en
France par les GI’s a longtemps été cantonné aux cercles familiaux
des témoins et des victimes. Il y a eu des viols et des crimes partout où les
GI étaient stationnés, à Reims, Cherbourg, Brest, Le Havre, Caen... À la fin de
l'été 1944, peu après l'invasion de la Normandie, des femmes de Normandie
commencent à se plaindre de viols commis par des soldats américains. Des
centaines de cas sont rapportés. Mais difficile d’écorner l’image des
libérateurs qui consentirent au sacrifice ultime. Il existe une abondante
littérature et une tout aussi imposante cinématographie qui perpétuent contre
toute évidence le mythe de la « bonne guerre » (« Le Jour le
plus long »). Journalistes, réalisateurs de cinéma et historiens
populaires ont sanctifié le GI pour en faire l’incarnation de « la plus
grande des générations produite jusqu’à ce jour par n’importe quelle
société », comme l’affirme très sérieusement l’auteur du best-seller « The
Greatest Generation ». Il en va par contre très différemment des anciens
combattants de la guerre du Vietnam qui furent longtemps présumés coupables de
tous les crimes.
Dans "Des GI's et des femmes", l’historienne
américaine Mary Louise Roberts rapporte : « La nuit, des soldats ivres
errent dans les rues en quête d’aventures sexuelles et les femmes 'respectables'
ne peuvent plus sortir seules. Les GI ont grandi avec les récits des aventures
de leurs pères, qui ont combattu en France en 1917-1918. Ces récits, qui font
la part belle aux aventures sexuelles, ont amené toute une génération d’hommes
à voir la France comme le pays du vin, des femmes et des chansons. »
D’ailleurs, l’encadrement militaire américain n’a
rien fait pour casser les stéréotypes des « petites Françaises » peu
farouches. Un GI assure : « Nous avions aussi entendu dire que ce que
nous considérions comme de la perversion sexuelle était normal pour eux. » Joe Weston,
un journaliste de Life,
en 1945 : « La France est un gigantesque bordel, écrivait-il, habité par
40 millions d'hédonistes qui passent leur temps à manger, boire et faire l'amour. » Les
Françaises ont la réputation d’être sans préjugés raciaux et sexuellement
libérées. A la lecture de la presse militaire, en particulier le magazine Stars and Stripes, on
réalise que toute l'expédition américaine en Normandie a été vendue aux soldats comme
une formidable opportunité sexuelle. Ailleurs, sur le front du Pacifique, il
est facile de motiver les troupes, car, après tout, les Japonais avaient
attaqué l’Oncle Sam. Le Guide
pratique à l'usage des GI's en France, en 1944, est à cet égard un
chef-d’œuvre de duplicité alléchante : « On dit que les Françaises sont
faciles, alerte-t-il. Mais en fait, pas du tout ! » On ne manque pas de le
mentionner tout de même... Et les soldats qui rampent sous le feu allemand le 6
juin 1944 portent tous un lot de cinq préservatifs distribué avec leurs
munitions…
Sur les photos de
l’après-Débarquement qui inondent bientôt la presse outre-Atlantique, les
Françaises embrassant les soldats deviennent à leur corps défendant des
éléments de propagande uniforme, mise en œuvre par le Signal Corps (le
département de la communication de l’armée). Les recrues se trouvent alors
alimentées en clichés, dans tous les sens du terme. « La Française, note
Roberts, est le symbole d’une nation abandonnée par ses hommes », dont
deux millions ont été faits prisonniers en 1940, auxquels il convient d’ajouter
ceux, aussi nombreux, envoyés en Allemagne dans le cadre du service du travail
obligatoire. Ce n'est pas propre à la France, bien sûr. Tous les théâtres de
guerre étaient érotisés. C'était l'époque des photos de pin-up accrochées dans
les dortoirs, de Rita Hayworth... Mais une image revient avec constance dans le
journal de l'armée : les GI’s embrassés par des Françaises. Sur l'une, on voit
un groupe de femmes, visiblement réjouies. Et la légende dit : « Voilà ce pour quoi nous nous
battons. »
Ainsi, l’opération « Overlord »
(« Suzerain » en anglais) d’une « conquête territoriale [devient] une
conquête érotique. Le mythe […] rassure les GI’s sur leur masculinité en leur
offrant une fille à la fin de leur journée de combat ». Il s'en est suivi
un tsunami de libido masculine, qui va se traduire par une vague de viols en
Normandie, en août et septembre 1944. Selon l'historien américain Robert Lilly,
il y aurait eu 3 500 viols commis par des soldats américains en France
entre juin 1944 et la fin de la guerre. Le nombre de viols est difficile à
établir car de nombreuses victimes de viol n'ont jamais rapporté les faits
auprès de la police. Les troupes américaines engagées ont commis 208 viols et
une trentaine de meurtres dans le département de la Manche. Pour le seul mois
de juin 1944, en Normandie, 175 soldats américains sont accusés de viol.
Il
y a de bonnes raisons de penser que les viols ici rapportés ne représentent
qu’une fraction du nombre réel des viols qui furent commis à la Libération par
les troupes américaines. D’une part, les documents ne contiennent que les cas
les plus brutaux. D’autre part, il est probable que de nombreuses victimes de
viol ne rapportèrent jamais les faits auprès de la police. Étudiant ce
phénomène en Angleterre, Sir Leon Radinowicz estime que durant les années de
guerre, 5 % seulement des victimes de viol portèrent plainte. Les
contraintes sociales et culturelles de l’époque, et surtout la peur du
scandale, n’encourageaient guère les femmes violées à parler, et il arrivait
aussi que, pour les mêmes raisons, des membres de leur famille les en
dissuadent. Il est impossible d’estimer le nombre exact de viols que commirent
les troupes américaines en France à la Libération.
Oui,
il faut fêter les 75 ans du D-DAY, ses héros et ses victimes… toutes ses
victimes !
Laurent Sailly
Laurent Sailly
Sources
J.
Robert Lilly, La face cachée des GI's. Les viols commis par des soldats
américains en France, en Angleterre et en Allemagne pendant la Seconde Guerre
mondiale, Payot, 2008.
Mary
Louise Roberts, Des GI's et des femmes Amours viols et prostitution à
la Libération, Seuil, 2014
http://www.liberation.fr/grand-angle/2004/07/02/les-viols-une-lumiere-crue-sur-la-plus-glorieuse-generation_485164
https://france3-regions.francetvinfo.fr/basse-normandie/2013/09/15/1944-viols-et-crimes-le-dossier-noirs-des-soldats-americains-en-normandie-318763.html
https://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=VING&ID_NUMPUBLIE=VIN_075&ID_ARTICLE=VING_075_0109
http://www.lexpress.fr/culture/livre/gi-americains-un-tsunami-de-libido-a-deferle-sur-la-france-a-la-liberation_1261206.html
http://www.spiegel.de/international/europe/new-book-reveals-dark-side-of-american-soldiers-in-liberated-france-a-902266.html
https://www.lemonde.fr/international/article/2013/07/18/mary-louise-roberts-le-sexe-a-ete-une-maniere-d-assurer-la-domination-americaine_3449668_3210.html
https://www.dailymail.co.uk/news/article-2332670/American-WWII-GIs-dangerous-sex-crazed-rapists-French-feared-Germans-explosive-book-claims.html
http://www.rfi.fr/france/20140606-france-debarquement-soldats-noirs-gis-armee-americaine-viols-segregation/
https://www.youtube.com/watch?v=ig_w-FkxZpM
https://guardianlv.com/2013/05/what-soldiers-do-an-american-wwii-gi-expose/
http://news.bbc.co.uk/2/hi/europe/8084210.stm
https://www.nouvelobs.com/le-dossier-de-l-obs/20140605.OBS9593/70-ans-apres-les-12-mysteres-du-debarquement.html
http://www.franceculture.fr/oeuvre-nos-amis-les-fran%C3%A7ais-guide-pratique-%C3%A0-l-usage-des-gi-s-en-france-1944-1945-de-collectif.html