6 novembre 1799 (15 brumaire An VIII) : Bonaparte et Seyes "décrètent" la fin de la Révolution
« Beaucoup de républicains
sincères jugeaient qu’un changement était indispensable dans la Constitution
pour sauver la République, et qu’il fallait remplacer les cinq directeurs par
un pouvoir exécutif plus concentré. Ils étaient ainsi entraînés à préparer,
sans le vouloir, la ruine de la liberté …
Les généraux affluaient
autour de Bonaparte, disposés pour la plupart à le suivre où il voudrait. Moreau
était à Paris, justement mécontent du Directoire : on ne lui avait pas
laissé le commandement de cette armée d’Italie qu’il avait sauvée à Novi.
Bonaparte le gagna par d’adroites prévenances et des témoignages de haute
estime. Moreau ne voulut pas entrer dans le détail des plans de
Bonaparte ; mais il lui déclara qu’il était, comme lui, « fatigué du
joug des avocats, qui perdaient la République ». Il se mit, avec ses aides
de camp, à la disposition de Bonaparte. Macdonald et Sérurier s’engagèrent
aussi. Berthier Murat, Lannes, Marmont, travaillèrent à embaucher les officiers
des armes diverses.
La police fermait les
yeux : le ministre Fouché s’arrangeait de façon à obtenir la récompense de
sa complicité si le coup réussissait, sans se perdre, s’il échouait. Les
autorités départementales étaient acquises par le commissaire auprès du
département de Paris (préfet), Réal.
Deux des directeurs,
Sieyès et Roger-Ducos, étaient à Bonaparte. Un troisième, Barras, était annulé
par la défiance et le mépris universels. Bonaparte trompa les deux derniers,
Gohier et Moulins, gens honnêtes, mais peu clairvoyants. Il s’était lié
intimement avec eux et les accabla, jusqu’à la dernière heure, de témoignages
d’amitié et de confiance. Le ministre de la guerre, l’ancien conventionnel
Dubois-Crancé, essaya en vain de leur ouvrir les yeux.
Le 15 brumaire an VIII (6
novembre 1799), eut lieu. dans l’église Saint-Sulpice, alors appelée
« Temple de la Victoire », un banquet offert au général Bonaparte.
Les Anciens avaient eu la pensée de l’offrir au nom du Corps législatif. Les
Cinq-Cents, alarmés et irrités des bruits qui couraient, s’y étaient montrés
contraires. On avait pris le parti de l’organiser par souscription. Le
président du Directoire, Gohier, présidait le festin, entre Bonaparte et
Moreau.
« Là, dit le plus
récent historien de Napoléon (Lanfrey), là se trouvaient réunis, échangeant
quelques propos d’une banalité glacée, la plupart des auteurs du complot avec
ceux qui devaient en être les victimes, les uns et les autres inquiets,
défiants, préoccupés de l’événement dont les suites pouvaient être
terribles ».
Bonaparte s’était fait
apporter, par un aide de camp, un petit pain et une demi-bouteille de vin. Il
avait peur d’être empoisonné !
Il but à l’union de tous
les Français. On l’écouta en silence. Il sortit précipitamment et courut chez
Sieyès pour arrêter avec lui les derniers arrangements. Ils convinrent de
supposer une conspiration jacobine, afin de donner prétexte aux Anciens de
décréter la translation des deux Conseils à Saint-Cloud. La Constitution
accordait au Conseil des Anciens le droit de changer la résidence du Corps
législatif, en cas de « péril public ». Le péril public que
redoutaient Sieyès et Bonaparte, c’était que le peuple de Paris ne prît parti
pour la Constitution contre les conspirateurs. Le même décret, quoique les
Anciens n’en eussent pas constitutionnellement le droit, donnerait à Bonaparte
le commandement de toutes les forces militaires de la division de Paris. Une
fois les Conseils transportés à Saint-Cloud, Sieyès et –Roger-Ducos
démissionneraient, et l’on obtiendrait, de gré ou de force la démission des
trois autres directeurs. Le Directoire ayant ainsi disparu, on ferait instituer
par les deux Conseils trois consuls provisoires, Bonaparte, Sieyès et
Roger-Ducos, qui seraient chargés de préparer une nouvelle Constitution. On
comptait arracher le consentement des Cinq-Cents, entourés à Saint-Cloud de
troupes dévouées à Bonaparte.
Rien ne fut décidé sur le
fond même de la Constitution. Bonaparte affecta, en termes généraux, de s’en
rapporter à la science de son futur collègue, et Sieyès n’insista pas.
Il fut décidé que le coup se ferait dans trois
jours. »