5 mai 1821 : Vive l'Empereur (multimédias)
Image /Mort de Napoléon,
tableau de Charles de Steuben (vers 1828) – Domaine public
RETOUR AU SOMMAIRE "NAPOLEON 1er, UNE EPOPEE FRANCAISE".
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Sainte-Hélène, 5 mai 1821. Napoléon Ier vient de succomber à
une maladie de l'estomac. Inhumée sur l'île, sa dépouille va y reposer durant
près de vingt ans avant d'être transférée aux Invalides en 1840. Tous les
livres d'histoire relatent ces faits.
Or, depuis une vingtaine d'années, les thèses " empoisonnistes " " et " substitutionnistes " ont le vent en poupe. Elles sont presque devenues des " vérités que tout le monde connaît " mais qu'un vaste complot réunissant les historiens " officiels ", les autorités militaires et de mystérieux tenants du " grand secret " persisterait à camoufler. Insensé et dans fondement historique, répondent les auteurs. Mais il n'est jamais aisé d'aller à contre-courant d'affirmations aussi sensationnelles. Pourtant, grâce à Thierry Lentz et Jacques Macé, ces questions trop longtemps débattues trouvent ici une réponse définitive ? Historien reconnu du Premier Empire et directeur de la Fondation Napoléon, Thierry Lentz est notamment l'auteur d'une monumentale Nouvelle Histoire du Premier Empire. Spécialisé dans le dernier exil de Napoléon, Jacques Macé a publié un Dictionnaire historique de Sainte-Hélène. |
Napoléon empoisonné ?
par Vincent Crousier - Décembre 2004
Oui, il y a bien de l'arsenic dans les heveux de Napoléon. Oui, cet arsenic provient d'une contamination extérieure. Non, cette contamination n'est pas accidentelle. Telles sont les principales conclusions de récentes analyses effectuées par la Société napoléonienne internationale (SNI). Ces travaux révèlent, en effet, la présence d'arsenic à l'intérieur même de la gaine des cheveux et non sur leur surface. Or seul le flux sanguin a pu amener le toxique à cet endroit. C'est donc la preuve irréfutable, selon le Dr Pascal Kintz, de l'Institut de médecine légale de Strasbourg, que Napoléon a avalé de l'arsenic.
Jusque-là, les quelques pistes avancées ne semblaient guère satisfaisantes. Ainsi, les médicaments de l'Empereur contenaient certes des substances toxiques, mais sûrement pas à dose mortelle. Autre possibilité : le papier peint ou la fumée du poêle du lieu de captivité. Mais cela n'expliquait pas pourquoi lui seul aurait été victime et non ses geôliers. Quant à la technique de conservation des cheveux (le saupoudrage à l'arsenic), elle n'est pas en cause, car le produit ne migre pas de la surface vers le cuir des cheveux.
Reste à savoir comment et pourquoi Napoléon a été intoxiqué. Selon la dernière thèse en date, il s'agirait d'une « intoxication passionnelle » : le général de Montholon, compagnon du prisonnier, aurait régulièrement versé, de 1816 à 1821, 2 ou 3 grains d'arsenic dans un vin réservé à l'Empereur. Pourquoi ? Parce que c'était le seul moyen de retourner sur le continent, et donc de rejoindre Albine, sa compagne, dont il était éperdument épris ! En effet, l'état du malade se dégradant peu à peu, le gouverneur de Sainte-Hélène aurait été obligé de rapatrier l'Empereur en Europe pour ne pas être accusé de le laisser mourir. Quant aux risques encourus par Montholon, ils étaient faibles, puisqu'il savait que, dès l'arrêt de l'intoxication, Napoléon recouvrerait la santé. CQFD...
Deux auteurs, René Maury et François de Candé-Montholon, en ont même fait un livre : L'Enigme Napoléon résolue (Albin Michel). Certes, les preuves manquent ; mais, pour le descendant du général de Montholon, la centaine de manuscrits inédits qu'il détient « permettent de considérer cette explication comme extrêmement plausible ». Pour la SNI, qui défend la thèse de l'empoisonnement, cette explication n'est pas crédible : « Il s'agirait donc d'une intoxication à but "humanitaire". C'est sexy mais grotesque. » L'historien Jean Tulard, quant à lui, estime que « ce sont de simples suppositions ». Entre preuves scientifiques, documents historiques et légende napoléonienne, il semble que l'arbitrage soit rendu, tour à tour, par l'« intime conviction » de chacun...
Oui, il y a bien de l'arsenic dans les heveux de Napoléon. Oui, cet arsenic provient d'une contamination extérieure. Non, cette contamination n'est pas accidentelle. Telles sont les principales conclusions de récentes analyses effectuées par la Société napoléonienne internationale (SNI). Ces travaux révèlent, en effet, la présence d'arsenic à l'intérieur même de la gaine des cheveux et non sur leur surface. Or seul le flux sanguin a pu amener le toxique à cet endroit. C'est donc la preuve irréfutable, selon le Dr Pascal Kintz, de l'Institut de médecine légale de Strasbourg, que Napoléon a avalé de l'arsenic.
Jusque-là, les quelques pistes avancées ne semblaient guère satisfaisantes. Ainsi, les médicaments de l'Empereur contenaient certes des substances toxiques, mais sûrement pas à dose mortelle. Autre possibilité : le papier peint ou la fumée du poêle du lieu de captivité. Mais cela n'expliquait pas pourquoi lui seul aurait été victime et non ses geôliers. Quant à la technique de conservation des cheveux (le saupoudrage à l'arsenic), elle n'est pas en cause, car le produit ne migre pas de la surface vers le cuir des cheveux.
Reste à savoir comment et pourquoi Napoléon a été intoxiqué. Selon la dernière thèse en date, il s'agirait d'une « intoxication passionnelle » : le général de Montholon, compagnon du prisonnier, aurait régulièrement versé, de 1816 à 1821, 2 ou 3 grains d'arsenic dans un vin réservé à l'Empereur. Pourquoi ? Parce que c'était le seul moyen de retourner sur le continent, et donc de rejoindre Albine, sa compagne, dont il était éperdument épris ! En effet, l'état du malade se dégradant peu à peu, le gouverneur de Sainte-Hélène aurait été obligé de rapatrier l'Empereur en Europe pour ne pas être accusé de le laisser mourir. Quant aux risques encourus par Montholon, ils étaient faibles, puisqu'il savait que, dès l'arrêt de l'intoxication, Napoléon recouvrerait la santé. CQFD...
Deux auteurs, René Maury et François de Candé-Montholon, en ont même fait un livre : L'Enigme Napoléon résolue (Albin Michel). Certes, les preuves manquent ; mais, pour le descendant du général de Montholon, la centaine de manuscrits inédits qu'il détient « permettent de considérer cette explication comme extrêmement plausible ». Pour la SNI, qui défend la thèse de l'empoisonnement, cette explication n'est pas crédible : « Il s'agirait donc d'une intoxication à but "humanitaire". C'est sexy mais grotesque. » L'historien Jean Tulard, quant à lui, estime que « ce sont de simples suppositions ». Entre preuves scientifiques, documents historiques et légende napoléonienne, il semble que l'arbitrage soit rendu, tour à tour, par l'« intime conviction » de chacun...
L'énigme Napoléon résolue
de Maury et Cande-Montholon - Décembre 2000 Exilé en octobre 1815 sur l'île de Sainte-Hélène, l'empereur y meurt le 5 mai 1821. L'Énigme Napoléon résolue donne sa version des faits en partant des archives du général Montholon, témoignage inédit du compagnon d'exil de l'empereur. En dépit d'un état de santé amoindri lors de son arrivée sur l'île, Napoléon ne serait pas mort de façon naturelle mais par empoisonnement à l'arsenic, une intoxication minutieuse et patiente dissoute dans le vin qu'aimait boire l'empereur. Le coupable est depuis longtemps désigné par les érudits : Montholon, celui dont les archives sont parvenues à son descendant lointain François de Candé-Montholon et transmises au professeur René Maury. En examinant ce trésor jusque-là ignoré, les deux auteurs expliquent les motivations de Montholon et la cause du décès de l'empereur. |
De quoi
Napoléon est-il mort ?
La chronique de Jean-Luc Nothias – Février 2007 « CETTE ANALYSE indique que, même si l'Empereur avait été libéré ou s'il s'était évadé de Sainte-Hélène, son mauvais état de santé l'aurait empêché de rejouer un rôle majeur sur le théâtre de l'histoire européenne. » Presque deux siècles après sa mort, le 5 mai 1821, le décès de Napoléon Bonaparte fait encore couler de l'encre et des chercheurs enquêteurs se penchent toujours sur son cas. Mais la messe semble, cette fois, vraiment dite.
L'étude parue il y a quelques jours (1), qui s'ajoute à beaucoup d'autres dont certaines françaises, a été réalisée par une équipe internationale de pathologistes, américains, suisses et canadiens, qui a réexaminé avec minutie toutes les pièces historiques à la lueur des connaissances médicales actuelles. Et leur conclusion est tout sauf romantique. Ils vont même jusqu'à estimer que si un tel cas clinique se présentait aujourd'hui, le pronostic médical serait très réservé et les chances de survie minimes.
Pourtant, qu'elle était belle l'histoire du complot et de l'empoisonnement à l'arsenic. Ces rumeurs, qui étaient nées dès la mort de l'Empereur, étaient reparties de plus belle en 1961 après l'examen d'une mèche de cheveux : un taux d'arsenic assez élevé y était alors relevé. D'autres examens ultérieurs confirmaient la présence importante du poison. Aussitôt, le meurtrier était recherché. Et le doigt était pointé sans ménagement sur le comte Charles Tristan de Montholon, l'un des quatre derniers compagnons d'exil de l'Empereur déchu. Il est vrai que le comte, général d'Empire, 38 ans au moment de la mort de Napoléon, a eu une vie peu ordinaire.
Les mobiles de Montholon ne manqueraient pas, selon ses détracteurs. La jalousie serait le premier : la belle Albine, son épouse, aurait accordé ses faveurs à Napoléon. La cupidité serait le deuxième : criblé de dettes, il aurait manœuvré pour mettre la main sur une partie de la fortune de l'Empereur. Toujours en quête d'argent, il aimait mener grand train. Et quand il devint, quelques mois avant la fin de l'Empereur, son principal exécuteur testamentaire, héritant de quelque 2 millions de francs, il déchaîna les critiques et suscita des doutes sur sa bonne foi.
La politique serait le troisième : il aurait agi pour le compte des monarchistes, et donc des Anglais, son beau-père étant un proche du comte d'Artois, l'un des principaux « comploteurs » monarchistes.
Mais il ne faut pas oublier que, bonapartiste dans l'âme, il se sacrifiera pour le prince Louis Napoléon, futur Napoléon III. Il passera d'ailleurs six années en prison. Nul besoin que Charles de Montholon se retourne dans sa tombe. S'il a été cupide ou jaloux, il n'a pas été un meurtrier.
Antécédents familiaux
La nouvelle étude scientifique sur les causes de
la mort de Napoléon montre en effet qu'il est mort, à 51 ans, d'un cancer de l'estomac
en phase terminale, cancer causé par un ulcère d'origine bactérienne. Si au
début du XIXe siècle, les tumeurs de l'estomac sont
connues, l'origine bactérienne ne l'est pas.
L'élucidation du rôle de cette bactérie, Helicobacter pylori, dans la survenue des ulcères, a été réalisée par
deux médecins australiens dans les années 1980 et leur a d'ailleurs valu de
recevoir le Nobel de médecine en 2005.
Dans le cas de Napoléon, ont été examinés le
rapport d'autopsie de 1821, celui de l'exhumation de 1840 avant que la Belle-Poule ne ramène sa dépouille en France pour qu'elle
soit placée aux Invalides, les Mémoires des médecins qui l'ont soigné et ceux
de ses proches, ainsi que ses antécédents familiaux. Le plus important de
ceux-ci étant que son père était sans doute lui-même décédé d'un cancer de
l'estomac. Le rapport d'autopsie et les descriptions cliniques montrent qu'il
n'y avait aucun signe d'un empoisonnement à l'arsenic, alors qu'il aurait dû y
en avoir si cela avait été le cas. Quand aux analyses effectuées sur les
cheveux de Napoléon, les plus récentes études montrent qu'il n'a pas été ingéré
mais est venu de l'extérieur, sans que l'on puisse précisément dire comment.
Mais il ne s'agissait pas d'empoisonnement.
Les médecins concluent déjà, à l'époque, à un
cancer gastrique. Ils décrivent d'ailleurs tellement bien les lésions de son
estomac que les chercheurs d'aujourd'hui ont pu les dessiner et les comparer à
des images modernes de 50 ulcères bénins et de 50 cancers gastriques. La
reconstitution montre que les lésions napoléoniennes n'étaient pas bénignes
mais bien cancéreuses. Les chercheurs ont même pu qualifier le stade de ce
cancer, qui était de trois sur une échelle de quatre, donc qui était sévère. Aujourd'hui,
seuls 20 % des patients avec ce tableau clinique, traités par les
techniques les plus modernes survivent cinq ans.
Autre élément en faveur de cette thèse, il a été
démontré récemment que, contrairement à ce que l'on pensait, Napoléon avait
perdu une dizaine de kilos les six derniers mois de sa vie.
Enfin, autre conclusion de cette étude, ce cancer
de l'estomac et les lésions relevées font penser que son origine est
bactérienne. Helicobacter pylore aurait déclenché un ulcère qui aurait dégénéré en
cancer. L'alimentation du soldat en campagne, riche en aliments saumurés et
pauvre en fruits et légumes, augmente en effet le risque de cancer de l'estomac.
(1) Étude publiée dans Nature Clinical
Practice Gastroenterology & Hepatology et dirigée par le Dr Genta du UT Southwestern Medical Center de Dallas.
Napoléon Ier :
les mystères d'une tumeur impériale
Par Sandrine Cabut – Décembre 2013
Dix-sept personnes dont huit
médecins présents lors de son autopsie, sur l'île britannique de Sainte-Hélène
; pas moins de cinq comptes rendus de cet examen post mortem ; moult travaux
scientifiques, articles, ouvrages… et toujours pas de certitude sur les causes
de la mort de Napoléon Ier. Presque
deux cents ans après son décès, survenu le 5 mai 1821, à l'âge de 51 ans, le
dossier médical de l'empereur suscite toujours des débats passionnés parmi les
historiens, médecins et chercheurs.
Tuberculose, syphilis de l'estomac, épilepsie,
ulcère ou cancer gastrique, et même empoisonnement à l'arsenic… En deux
siècles, "à
partir du rapport d'autopsie, des Mémoires des témoins et d'autres éléments
plus ou moins établis par la documentation, un nombre incalculable d'hypothèses
ont été émises sur les causes de la mort de Napoléon",
écrivent les historiens Thierry Lentz et Jacques Macé dans La
Mort de Napoléon (Perrin, 2012). Ces derniers démontent notamment
la thèse "empoisonniste"
née dans les années 1960 à la suite d'analyses de cheveux de l'empereur.
C'EST
NAPOLÉON LUI-MÊME QUI A DEMANDÉ À ÊTRE AUTOPSIÉ
Le 6 mai 1821, vingt
heures après avoir rendu son dernier soupir au terme de huit semaines d'agonie,
Napoléon passe sous le bistouri de Francesco Antommarchi. Le chirurgien corse,
légiste expérimenté, est son médecin traitant depuis près de deux ans. C'est
Napoléon lui-même qui a demandé à être autopsié, afin que son fils, le roi de
Rome, soit averti si une tumeur héréditaire était décelée.
En exil depuis 1815 sur ce
petit îlot volcanique au milieu de l'Atlantique sud qu'est Sainte-Hélène,
l'empereur, qui se plaignait souvent de douleurs digestives, était obsédé par
l'hypothèse d'un mal familial. Son père était mort à moins de 40 ans d'un "squirre"
(une tumeur) du pylore.
Le premier compte rendu
d'Antommarchi, daté du 8 mai, est relativement court et tient en seize points.
Son contenu, et celui des autres rapports, sont reproduits dans l'ouvrage des
médecins Jacques Bastien et Roland Jeandel, Napoléon à Sainte-Hélène. Etude critique de
ses pathologies et des causes de son décès,
Le Publieur, 2005. Le cœur et les poumons sont jugés en bon état, le foie "engorgé
et d'une grosseur plus que naturelle".
Mais ce sont surtout les
nombreuses anomalies au niveau gastrique que pointe le légiste. L'estomac est "rempli
en partie d'une substance liquide noirâtre, d'une odeur piquante et
désagréable" (du sang en voie de décomposition), et il est le
siège d'"un
ulcère cancéreux fort étendu" avec un "trou" (perforation)
de 6 mm de diamètre. Les deux autres comptes rendus, rédigés dans les jours
suivant l'autopsie – l'un signé par cinq médecins anglais, l'autre par
l'adjoint du gouverneur de Sainte-Hélène –, sont concordants à quelques nuances
près avec celui d'Antommarchi.
A l'époque, les
diagnostics ne reposent que sur l'examen macroscopique, c'est-à-dire à l'œil
nu, des tissus. Ce n'est que quelques décennies plus tard que se développera
l'anatomopathologie (analyse au microscope), qui permet d'affirmer avec
certitude la nature des lésions.
DEUX
RAPPORTS D'AUTOPSIE RÉDIGÉS ULTÉRIEUREMENT SÈMENT DES DOUTES
Dans le cas de Napoléon,
la messe semble dite : c'est une maladie de l'estomac qui l'a emporté, même
s'il est impossible de trancher formellement entre cancer et ulcère bénin. Mais
deux rapports d'autopsie rédigés ultérieurement sèment des doutes. L'un, signé
par le chirurgien britannique Walter Henry en 1823, est le seul à décrire un
aspect efféminé de l'empereur. "La verge, les testicules étaient
forts petits et l'ensemble de l'appareil génital paraissait expliquer l'absence
de désir sexuel et la chasteté qui dit-on aurait caractérisé le défunt",
ajoute-t-il. Pure invention d'un Anglais pour ridiculiser post mortem un ennemi vaincu,
ou réalité occultée par pudeur par les autres médecins ? Ces traits féminins,
dont semble-t-il s'amusait Napoléon lui-même, ont fait un moment évoquer l'hypothèse d'une atteinte de la
glande hypophyse du cerveau.
Mais c'est surtout le
deuxième compte rendu d'Antommarchi, écrit en 1825, quatre ans après
l'autopsie, dans ses Mémoires, qui pose question. En apparence beaucoup
plus complet, détaillé et littéraire que le premier, il a souvent été considéré
comme le document de référence par les spécialistes. Le légiste fait même une
analyse craniologique de son auguste patient dont, déplore-t-il, il n'a pas été
autorisé à disséquer le cerveau.
Le plus troublant est
l'apparition dans ce second rapport de lésions inexistantes dans le premier, ou
présentées de façon très différente. Un poumon qualifié de normal en 1821 est
devenu tuberculeux ; la description des atteintes de l'estomac et de l'abdomen
s'est considérablement enrichie…
Seulement voilà. En
étudiant de près la littérature médicale des années 1820-1825, les médecins
Bastien et Jeandel ont eu la surprise de retrouver l'article d'un confrère
français, paru en 1823, dont "des paragraphes entiers"
étaient "identiques
mot à mot" aux descriptions d'Antommarchi, faites deux ans
plus tard, en 1825. Le légiste de Napoléon est un plagiaire et son deuxième
compte rendu ne peut plus faire référence, concluent Bastien et
Jeandel.
AU
FINAL, DE QUOI NAPOLÉON EST-IL MORT ?
Au final, de quoi Napoléon
est-il mort ? La plupart des spécialistes ont désormais écarté la thèse de
l'empoisonnement à l'arsenic, et penchent pour une mort naturelle. Mais ils
restent divisés sur les circonstances. "Si cancer il y a, il n'est que
débutant et on ne peut le retenir comme cause directe de la mort",
affirme le docteur Alain Goldcher, auteur de Napoléon Ier,
l'ultime autopsie (éditions SPM, 2012). C'est en se plongeant
pendant trente ans dans une multitude de ressources bibliographiques et en
disséquant chaque ligne que ce passionné de Napoléon, généraliste de formation,
a forgé sa certitude. "Ce qui l'a tué, c'est une anémie due
à des saignements répétés, dont la cause est un ulcère de l'estomac,
probablement dû à un syndrome dépressif et à une infection ancienne à
Helicobacter pylori", résume-t-il.
Anatomopathologiste
spécialiste des tumeurs digestives, et lui aussi féru d'histoire napoléonienne,
le professeur Alessandro Lugli (Institut de pathologie de l'université de
Berne) a, de son côté, fait appel à des méthodes de recherche originales pour
faire avancer le débat.
Le médecin suisse s'est
rendu dans des musées pour mesurer douze pantalons portés par Napoléon à
différentes périodes de sa vie. En modélisant la taille de ces vêtements,
Alessandro Lugli et ses collègues ont estimé que le poids de l'empereur était
passé de 67 à 90 kg entre 1800 et 1820, puisqu'il avait perdu 11 kg durant sa
dernière année. Une perte de poids importante et rapide "très cohérente avec l'évolution d'un
cancer gastrique", jugent-ils dans un article scientifique (Human
Pathology, 2005).
Plus récemment, en
confrontant les données autopsiques aux dossiers de plus de cent patients
atteints d'ulcère bénin ou de cancer gastrique, Alessandro Lugli, associé à une
équipe internationale, a conclu que Napoléon avait souffert d'une forme non
familiale de cancer ulcéré, à une phase avancée. "Un ulcère, même non traité, ne peut
avoir cet aspect. Le caractère malin peut aussi être affirmé par l'examen
macroscopique", assure-t-il, en soulignant le mauvais
pronostic, encore à l'heure actuelle, des tumeurs à ce stade : moins de 50 % de
survie à un an. Le docteur Frédéric Maître, anatomopathologiste et légiste, qui
salue la démonstration de son confrère suisse, est sur la même ligne.
L'estomac de Napoléon Ier – tout comme son cœur – est conservé
dans un vase, qui repose entre les jambes de l'empereur. Mais il semble peu
probable que son tombeau, aux Invalides depuis 1840, soit rouvert un jour pour
en permettre l'examen.
À quel mal a succombé Napoléon ? Est-il mort d’un
cancer, comme certains l’ont dit ; d’un ulcère gastrique, comme d’autres
l’ont prétendu ; d’une affection du foie ; d’une néphrite ; d’une neurasthénie
chronique ; car toutes ces hypothèses ont été tour à tour envisagées.
N’a-t-on pas même fait courir le bruit qu’il avait
été empoisonné ?
Et ne croyez pas que ce soient rumeurs vagues,
propos en l’air, tels qu’il en circule au lendemain de la disparition, plus
ou moins brusque, de ceux qui ont occupé la scène du monde et y ont tenu les
premiers rôles : l’écho de ce bruit a été répercuté par les personnages les
plus graves, qui l’ont enregistré, l’ont discuté, l’ont pris, pendant un
temps, au sérieux.
Le général Lamarque raconte qu’il a vu M. de Montholon, qu’il l’a interrogé à son retour de
Sainte-Hélène. « On croyait généralement, ce sont ses propres termes, que
Napoléon avait été empoisonné par le gouverneur de Sainte-Hélène, ce sir Hudson Lowe qui commandait à Caprée, lorsque je
m’emparai de cette île… J’ai vu M. de Montholon ;
selon lui, l’Empereur n’a pas été empoisonné, mais bien assassiné [sic] par
les mauvais traitements des Anglais, par l’influence du climat de
Sainte-Hélène et par les aliments qu’on lui fournissait…
Aujourd’hui, il paraît certain que l’Empereur a succombé sous le poids des
chagrins, des dégoûts, des vexations sans nombre et des privations de tout
genre qu’on lui a fait supporter. »
Pour ce qui est de l’empoisonnement, c’est une
hypothèse tellement fantaisiste que nous pourrions nous dispenser de l’examiner. À toutes les époques, on
a cru qu’un grand homme ne pouvait mourir comme le vulgaire.
[...]
Quand Napoléon mourut à Sainte-Hélène, on avait été
imparfaitement renseigné en Europe sur la marche et le développement de la
maladie qui l’avait conduit au tombeau ; aussi la nouvelle causa-t-elle tout
d’abord une profonde stupéfaction. L’idée d’une mort violente devait venir à
l’esprit de ceux, et ils sont légion, qui préfèrent, au théâtre de la vie, le
dénouement le plus romanesque.
Que ne colportait-on dans les carrefours de la
capitale ? Le gouverneur de Sainte-Hélène avait eu, disait-on, avec l’empereur
une algarade des plus vives ; il s’était emporté jusqu’à faire un geste
menaçant ; aussitôt une rixe s’était produite, au cours de laquelle l’Empereur
avait trouvé la mort.
On disait encore que, sous le prétexte d’une
promenade, sir Hudson Lowe avait conduit son prisonnier au bord d’un abîme et
l’y avait précipité. Ceux qui voulaient paraître mieux renseignés
assuraient que l’empereur ayant franchi, par mégarde, les limites imposées à
ses promenades, avait été fusillé par une sentinelle.
[...]
Quand fut connu le procès-verbal d’autopsie dans toute
sa teneur, un passage du document avait particulièrement frappé : il y était
question d’ulcérations et de perforation de l’estomac ; de matières noires,
semblables à du marc de café, contenues dans cet organe. En fallait-il
davantage pour que le public attribuât à un empoisonnement ces érosions, qui
simulaient si bien les symptômes d’une intoxication par une substance corrosive
?
Et si Napoléon lui-même avait précipité sa fin ? Ce
n’était pas la première fois, au surplus, qu’il aurait tenté de se suicider. En 1814, à Fontainebleau, il
avait déjà fait une tentative qui n’avait pas abouti. Un an plus tard, et
l’épisode est moins connu, le 29 juillet 1815, le docteur Héreau conte qu’avant
de quitter la Malmaison, l’Empereur avait remis à M… « un petit flacon
long, plat, uni et soigneusement bouché, contenant environ deux cuillerées
d’une liqueur jaunâtre, très limpide. Il lui ordonna de la placer dans quelque
partie de ses vêtements d’un usage journalier et qu’il pût facilement
atteindre. Après l’avoir placé dans un petit sachet en peau, celui-ci l’attacha
sous la patte qui boucle la bretelle du côté gauche.
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