3 et 4 juin 548 : Clotilde, la sainte reine de Clovis
« Gondic avait été roi des Burgondes. Il
appartenait à la lignée d’Athanaric, le roi précurseur dont nous avons parlé
plus haut. Il avait eu quatre fils, Gondebaud, Gondegisel, Chilpéric et Godomar.
Gondebaud tua son frère Chilpéric de son épée et noya la femme de ce dernier en
lui attachant une pierre au cou. Il condamna à l’exil ses eux filles :
l’aînée, qui prit l’habit monastique ; s’appelait Chrona, la plus jeune
Clotilde [(du germanique hlod,
« gloire » et hild,
« combat », née vers 474 ou 475 peut-être à Vienne, Lyon ou à Genève]. » C’est ainsi que Grégoire de Tours
nous parle pour la première fois de la future reine des Francs.(…)
(…) Le mariage eut lieu en
492 (…). Nous ignorons tout de la cérémonie (…). Ce fut certainement un mariage
païen avec consommation et don du matin (Morgengabe).
(…)
Le mariage de Clotilde la
catholique avec Clovis le païen [est] valable aux yeux des chrétiens puisqu’il
avait été public. (…) [A] l’exception de la concubine rhénane, antérieure à
Clotilde, qui fut la mère de Thierry, nous ne connaissons aucune autre femme
dans la vie de Clovis.
(…) C’est là un premier
point, capital : le mariage enclencha le processus de conversion de Clovis,
conformément au précepte de saint Paul : « Le mari incroyant est
sanctifié par la femme fièle » (I, Cor. VII, 14). Cependant, lorsque
arriva la première naissance Clotilde commença de prêcher la foi catholique à
Clovis, mais sans succès. (…) Mais l’enfant mourut à peine baptisé. (…)
L’étonnant est surtout l’intrépidité de la reine : elle fait baptiser son
fils sans prendre conseil ni même consulter Clovis. En reine germanique
habituée à commander et en chrétienne convaincue à la fois, elle a décidé de la
religion de l’enfant. (…)
Elle récidiva en 495 lors de
la naissance de son deuxième fils, Clodomir, décidant seule du baptême.
L’enfant étant tombé malade, le roi lui dit : « Il n peut pas
lui arriver autre chose que ce qui est survenu à son frère ; baptisé au
nom de votre Christ il mourra aussitôt. » (…) [Mais] Clodomir guérit.
Suivirent alors les naissances de Childebert vers 497, de Clotaire vers 498 et
de Clotilde vers 500. L’avenir de la dynastie était assuré, et l’in des
arguments majeurs de Clovis contre le Dieu de Clotilde disparaissait. (…)
Clotilde, dès le début de son
mariage, entra probablement en relation avec Geneviève. (…)
Catholique convaincue, (…)
[Clotilde] ne peut que trouver en Geneviève, véritable Romaine et catholique,
une alliée naturelle. L’avancée de Clovis jusqu’à la Loire, le culte de saint
Denis, le pèlerinage à Saint-Martin de Tours rassemblent lentement des
populations désorientées et perturbées pat la guerre civile. (…)
[L]e choc de la victoire
inespérée de Tolbiac avait tellement frappé le roi qu’il en parla à Clotilde. Celle-ci,
constatant la vanité de ses efforts, fit « alors venir en secret saint
Rémi, évêque de la ville de Reims, en le priant d’insinuer chez le roi la
parole du salut ». (…) Pourquoi (…) « en secret » ? C’est
que les difficultés de l’entreprise sont énormes : Clovis n’est pas
convaincu, et les Francs ne sont pas au courant. S’ils l’étaient, ils seraient
hostiles à la conversion du roi. Clovis risque son pouvoir.
Les entretiens entre le jeune
roi (trente et un ans) et le déjà vieil évêque (la soixantaine) se déroulèrent
dans la plus grande discrétion, probablement à Reims. (…)
[De la cérémonie du baptême
de Clovis, le 25 décembre 499 marquait] (…) une victoire sur le paganisme et
l’arianisme. En même temps, c’était le triomphe de la romanité chrétienne sur
un totalitarisme fusionnant les dieux et les hommes, les rois et les papes.
(…) Clovis avait renoncé à sa
généalogie divine. Il avait compris que le pouvoir n’était pas celui des
ancêtres. Il était convaincu que le prince chrétien tirait son autorité d’ailleurs
et non de lui-même. (…)
[Clovis mourut à l’âge de
quarante-cinq ans, le 27 novembre 511.
Les troubles de succession
agitant le royaume burgonde,] Clotilde considéra qu’une fois de plus la
dynastie burgonde s’était disqualifiée et que le royaume était à prendre. Elle
eut alors un entretien avec Clodomir et ses autres fils : « Il ne
faudrait pas, mes très chers, que je me repente de vous avoir nourris tendrement ;
manifestez, je vous prie, de l’indignation pour l’outrage que j’ai subi et
vengez la mort de mon père et de ma mère avec une sagace ténacité. » Voici
enfin venue l’occasion pour la reine de venger la mort de Chilpéric II et de sa
mère (…) et de pratiquer la faide comme le roi des Ostrogoths. Malgré [sa] foi
chrétienne, Clotilde (…) entendai[t] accomplir cet acte de piété filiale dans
la tradition germanique. (…) Le royaume burgonde fut partagé (…).
[Le 21 juin 524, Clodomir est
tué lors de la bataille de Vézeronce. (…) Cette nouvelle catastrophe permit à
Godomar de récupérer son royaume pour dix ans, tandis que Clotilde, dont la
vengeance s’était retournée contre elle-même, « sitôt le deuil
passés », accueillit et garda auprès d’elle les trois fils de Clodomir,
Théodebald, Gonthier et Cloud.
L’attitude de ses fils, en particulier
de Clotaire, qui épousa sa belle-sœur, la veuve Clodomir, aurait dû alerter la
reine. Pris entre les vieux comportements germaniques et la volonté de Clovis
qui avait désiré que les fils succédassent au père, elle ne sentit pas monter
le nouvel orage. La cause en était toujours la même : qui obtiendrait
l’héritage de Clodomir, ses fils ou ses frères ? (…) Comme elle résidait
toujours à Paris, Childebert, craignant qu’elle ne mît sur le trône les fils de
Clodomir, fit venir Clotaire dans la capitale pour mettre au point leur
tactique. Considérant qu’il était normal de se partager le royaume de Clodomir,
ils décidèrent de faire soit tondre soit tuer leurs neveux. (…) Pour faire
aboutir la seconde, ils eurent recours au petit-fils de Sidoine Apollinaire
Arcadius, leur fidèle serviteur. Il se présenta devant la reine avec une paire
de force (ciseaux de l’époque) et une épée nue.
« C’est à ta volonté, ô très glorieuse reine, que tes fils, nos
seigneurs, font appel. Que penses-tu qu’il faut faire des enfants ?
Donnes-tu l’ordre de les laisser avec les cheveux coupés ou de les égorger tous
les deux ? » (…) La malheureuse Clotilde est prise au piège. Personne
ne comprendrait qu’elle choisisse les ciseaux, car ce serait pour les Francs continuer
à faire planer sur ses fils la menace de la guerre civile. L’intérêt du royaume
nécessite pour eux la succession collatérale, la vieille tanistry. (…) [E]lle répondit simplement : « Je préfère,
s’ils n’accèdent pas au royaume, les voir morts que tondus. » C’était ce
qu’on attendait d’elle : la confirmation de la loi. Clotaire tua alors
Théodebald, d’un coup de couteau dans l’aisselle. Il avait dix ans. Gonthier, lui,
se précipita aux pieds de Childebert qui, pleurant, allait céder lorsque
Clotaire lui fit remarquer qu’il avait lui-même pris l’initiative de
l’entreprise ; il jeta l’enfant contre son frère qui l’égorgea. Il avait
sept ans. (…) Clotilde emporta les deux petits corps sur un brancard et les fit
enterrer aux côtés de son époux et de sainte Geneviève dans l’église
Saint-Pierre.
Brisée par ces deux terribles
coups (…) Clotilde (…) rencontra enfin Dieu dans la prière. (…) Vers 534, (…)
une nouvelle querelle éclatait entre Childebert et Clotaire. (…) Décidemment,
ce monde qu’elle avait voulu chrétien ne l’était pas encore, et rien n’était de
trop pour l’amener à une transformation profonde. (…)
Jusqu’au bout, la reine
parvint à maintenir l’équilibre. Lorsque ses derniers jours survinrent, les
trois royaumes étaient aux mains [de sa descendance]. (…)
Celle qui avait empêché
vaille que vaille la désintégration de l’œuvre de son époux mourut le 3 juin
548 à Saint-Martin de Tours.(…)
Clotilde (…) chercha à
empêcher les guerres civiles. Ses longues veilles à Saint Martin attestent son
désir de maintenir ses fils dans une perspective chrétienne de l’exercice du
pouvoir. »
Extraits de
« Clovis », Michel Rouche – Fayard.
Elle
est canonisée vers 550 ou 560 ; l'Église orthodoxe et l'ancien martyrologe
romain la fêtent le 3 juin (dies natalis), et l'Église catholique le 4
juin.
LIRE LA FICHE DU ROI CLOVIS
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