24 mars 1267 : Saint Louis annonce la VIIIème Croisade

http://www.mechantreac.fr/

Au Moyen Age, l'Orient fascine: il est le lieu d'insatiables désirs, il représente l'utopie du raffinement et des richesses, l'espoir du butin, la convoitise d'un luxe inconnu. Sacralisé, il s'offre à la prouesse et à la piété fervente. Dès la fin du XIème siècle, les croisés partent pour arracher aux infidèles les Lieux saints.
Les pèlerins s'engagent à leur suite et relatent patiemment le parcours de leur rédemption: la mer Rouge, le Sinaï, Le Caire et Alexandrie, le chemin du Golgotha, sur les traces de la Passion du Christ et des précieuses reliques. A l'horizon se profilent les murs de la Ville sainte, prise puis perdue, qui fait rêver à la Jérusalem céleste. D'autres lieux brillent encore - Constantinople, Antioche, Edesse, Acre, Tripoli -, auxquels sont attachés les grands lignages, Bouillon et Lusignan, Richard Cœur de Lion et Saint Louis. La chevalerie occidentale y arbore ses emblèmes et fait claquer ses oriflammes.


*
*   *

La huitième croisade ou l'erreur de Tunis

La croisade aragonaise avait été trop partielle pour se montrer efficace. Une espérance plus sérieuse était apparue depuis que le 24 mars 1267, dans une séance solennelle de son conseil, le roi de France Louis IX avait annoncé sa volonté de diriger une nouvelle croisade. Nous savons par Joinville que les partisans les plus zélés jadis de la guerre sainte ne montraient plus aucun enthousiasme pour repartir. Néanmoins, l'héroïque exemple du Capétien entraina ou intimida son entourage. Son gendre Thibaut V de Champagne, roi de Navarre, son neveu Robert d'Artois, fils du héros de la Mansûra, l'héritier de Flandre, Guy de Dampierre, les comtes de Bretagne, de la Marche, de Soissons, de Saint-Paul se croisèrent avec lui. Le 1er juillet 1270 l'expédition mit à la voile à Aigues-Mortes, mais, au lieu de se diriger vers la Syrie, elle cingla vers Tunis.

Cette détermination parut à beaucoup inexplicable. Tunis était alors au pouvoir de la dynastie berbères des Hafsides (1228-1564). L'émir hafside régnant, Abû 'Abd Allâh al-Mostansir Billâh (1249-1277), était un monarque brillant, éclairé, qui entretenait des relations amicales avec les princes chrétiens. Louis IX crut-il vraiment qu'il avait manifesté l'intention de se convertir au christianisme ? A défaut de cette raison, d'où pouvait provenir le détournement de la Croisade vers un but aussi secondaire ? Sans doute, la conquête de la Tunisie pouvait couper l'Islam en deux, séparer l'Islam espagnol et maghrébine de l'Egypte mameluke. Mais l'heure n'était pas à de telles improvisations, alors que sous la sabre Baïbars la Terre saint agonisait, qu'Antioche venait de succomber (1268), que Tripoli et Saint-Jean-d'Acre même étaient condamnés. Pourquoi se détourner de la Syrie quand les Mongols, comme le savait bien la Papauté, étaient disposés à seconder par une intervention en nombre un débarquement latin ? Mais il semble bien, au ton même des lettres du Pape, que le Saint-Siège, pour toute cette croisade, ait été mis en présence du fait accompli.

On a souvent expliqué le détournement de la 8ème Croisade par la politique personnelle de Chars d'Anjou. Devenu roi de Sicile par la conquête de l'Italie méridionale sur les derniers Hohenstauffen, Charles d'Anjou pouvait reprocher à l'émir de Tunis de prêter asile aux réfugiés gibelins et d'avoir interrompu le versement du tribut payé par la dynastie hafside à la cour de Sicile sous les Hohenstauffen. Surtout il pouvait voir dans la Tunisie une zone de protectorat ou tout au moins une dépendance commerciale de son Etat sicilien. L'âpre cadet dont on connaît l'esprit d'intrigue, l'ambition démesurée et la dureté de cœur était certes à sacrifier l'intérêt du royaume de France et le salut de la Terre sainte à ses intérêts personnels. Or ceux-ci s'opposaient à une attaque franque contre l'Egypte. Comme avant lui Frédéric II et pour les mêmes raisons commerciales, le nouveau maître de Naples et de Palerme tenait à se ménager l'amitié du sultan d'Egypte, du maître d'Alexandrie. De plus Charles d'Anjou, qui  méditait la conquête de l'Empire grec et destinait toutes ses forces à ce dessein, devait considérer comme une catastrophe toute croisade orientale qui détournerait ses préparatifs de Constantinople sur le monde musulman. Toutefois il faut convenir avec M. Bréhier que les preuves matérielles manquent pour attribuer formellement au roi de Sicile le détournement de la Croisade et que l'expédition de Tunis (bien que moins gênante pour lui qu'un attaque sir Alexandrie ou un débarquement à Acre) était encore pour Charles un contretemps qui lui faisait ajourner son grand projet sur Constantinople.

Quels que soient les auteurs du détournement de la Croisade (de ce détournement saint Louis ne fut, hélas, que la victime), il faut reconnaître que c'était l'énorme faute historique e 1204 qui se renouvelait. (...) En cette année de 1270 où le khan de Perse venait enfin, par la victoire de Hérat (22 juillet), de se débarrasser des attaques de ses cousins du Turkestan, une entente miliaire entre lui et le roi de France, conformément aux vues du feu pape Clément IV, pouvait vraiment encercler les Mamelûks, venger d'un seul coup la Mansûra et 'Ain Jâlûd, la mort de Robert d'Artois et la mort de Kitbuqa. C'était bien la revanche des défaites françaises de 1250, la revanche du désastre d'Egypte. Au lieu d'un khalifat 'abbâside encourageant tout l'Islam à aider l'Egypte, Louis IX cette fois ne trouverait à l'est de l'Euphrate qu'une cour amie, à demi chrétienne, où l'épouse du khan était une Grecque pieuse, où le patriarche nestorien était un des premiers dignitaires de l'Etat. D'autre part les Mongols, maintenant - les lettres du Pape en témoignent - pouvaient compter que les Francs, enfin éclairés, ne renouvelleraient plus la faute de Julien de Sidon. (...)

(...) Louis IX débarqua le 18 juillet devant Carthage. Naturellement les espérances fondées sur la soi-disant conversion de l'émir de Tunis ne se réalisèrent pas. La chaleur était terrible. . Saint Louis, atteint par la dysenterie, expira le 25 août 1270 en murmurant de nom de Jérusalem. Comme le dit avec douleur le sire de Joinville, ils étaient criminels ceux qui lui avaient conseillé ce voyage. (...)




Siège de Tunis, Par Anonyme — http://www.bnf.fr/enluminures/images/jpeg/i2_0020.jpg, Domaine public; Siège de Tunis et mort du roi Louis IX dans les Grandes Chroniques de France de Jean Fouquet, Domaine public; Départ pour la Croisade, Par Inconnu — Inconnu, Domaine public; Le départ pour la Huitième croisade, Grandes Chroniques de France de Charles V, BNF, Fr.2813; La conquête de Carthage, Par Chroniques de Saint-Denis — http://www.bl.uk/catalogues/illuminatedmanuscripts/ILLUMIN.ASP?Size=mid&IllID=42980, Domaine public; Mort de saint Louis, Par Anonyme — http://images.encarta.msn.com/xrefmedia/sharemed/targets/images/pho/t267/T267397A.jpg, Domaine public.