22 juillet 1209 : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens »

 

Du XIe au XIVe siècle, la chrétienté médiévale fut traversée, des Balkans à la Champagne, de l'Italie et du Languedoc à la Flandre et à la Rhénanie, par un vaste courant religieux. L'histoire connaît cette hérésie sous le nom de catharisme. Ses adeptes imputaient la création du monde visible non point au " bon " Dieu, mais à un principe mauvais qui, en créant l'univers matériel et le temps qui corrompt toute chair, a permis au mal de se manifester par la souffrance et par la mort. Ils se proclamèrent chrétiens, mais le dualisme sur lequel reposait leur foi les fit accuser d'être de " nouveaux manichéens ". Démonisés, persécutés, anéantis, les cathares n'ont pas pour autant disparu de la mémoire des hommes. Par-delà les brumes de légende qui masquent leurs figures, les " bons hommes " et les " bonnes femmes " ont laissé des traces écrites de leur passage et de leur message. Ce fut à ce titre qu'ils furent persécutés jusqu'à leur éradication complète, leur dogme constituant pour l'Eglise un danger évident.

« Conduite par Arnaud Amaury, abbé de Cîteaux et légat du pope, la grande armée de croisade levée à l'appel d'Innocent III pour réduire les princes méridionaux protecteurs d'hérétiques, s'était vu renforcer à Saint-Gilles par les Toulousains de Raimon VI ; le comte de Toulouse tentait ainsi de détourer l'orage amoncelé vers la tête et les terres de son neveu Raimond Roger Trencavel, vicomte de Carcassonne, Albi et Béziers. De Béziers même était sorti quelques jours plus tôt le jeune vicomte, confiant dans la force de la place, mais emmenant avec lui, par prudence, les Juifs - pour mettre en défense Carcassonne. Et Béziers l'opulente et la bien peuplée, riche de ses marchés, de son commerce, de ses jardins, de ses cultures et de ses vignes, Béziers unie dernière son consulat urbain, attendait de pied ferme les croisés à l'abri de ses murailles, à l'orée des vicomtés Trencavel. Le jour de la fête de la Madeleine, l’armée de Rome et de Cîteaux était là, Les Biterrois avaient refusé la tentative de médiation de leur évêque refusé de livrer leurs hérétiques ; et la milice urbaine de Béziers sortit comme à la parade, alla défier l'immense armée croisée, mit à mal un chevalier, Se lève alors le roi des ribauds : lo rei dels arioz selon les termes de Guilhem de Tudèle : le chef des piétons de l'armée, qui rassemble ses troupes, repousse les Biterrois et, dans l'élan, prend la ville. Les habitants fuient les ribauds qui pillent et tuent. Ils se réfugient dans la cathédrale où prêtres et clercs ont revêtu leurs ornements pour la messe des morts et font sonner le glas. Lorsqu'enfin interviennent les chevaliers croisés, les piétons rouges de sang ont arraché des maisons éventrées un butin d'une incroyable richesse. Les croisés voulaient foire un exemple de la première ville prise, et l'exemple fut asséné. Furieux d'être dépossédés de leurs riches proies par les chevaliers, les ribauds incendient la ville. La cathédrale bourrée de naufragés se fend et s'écroule ; hommes, femmes, enfants et vieillards sont passés par le fil de l'épée, et plusieurs milliers sont encore massacrés dans l'église de la Madeleine – dont c’était fête.  Un cistercien allemand bien informé rapporta un peu plus tard que l'abbé de Cîteaux, sollicité, avait rassuré d'un mot ses guerriers incertains de savoir distinguer, parmi le troupeau humain de Béziers, les hérétiques des bons catholiques : "massacrez-les, car Dieu connaît les siens" - ce qui est double citation d'Écritures. Il écrivit encore ou pope : « la vengeance de Dieu a fait merveille, on les a tous tués". La terreur n'avait plus qu'à se propager vers Carcassonne. »

Anne Brenon

Anne Brenon, l'une des plus grandes spécialistes mondiales de cette foi mal connue, nous fait entrer dans leur intimité. Loin de l'image d'une communauté recluse aux doctrines occultes, elle nous fait découvrir des individus pieux et charitables, engagés dans la vie de la cité. Face à " l'Eglise qui possède et écorche ", ils affirment incarner " l'Eglise qui fuit et pardonne ", la seule qui soit fidèle à l'héritage des apôtres. Si le catharisme organisé a péri sur les bûchers (quoiqu'il ait survécu un peu plus longtemps qu'on ne croie), son esprit peut encore inspirer tous ceux qui, contre les puissances de ce monde, prennent le parti des âmes en souffrance.

Michel Roquebert a reconstitué avec une minutie inégalée la société cathare, son histoire et celle de sa répression, en se fondant uniquement sur les sources du temps : traités et rituels cathares, chroniques, interrogatoires et sentences de l'Inquisition, correspondances des papes, des rois et des grands, canons conciliaires, actes publics et privés de tout ordre. Cette "Histoire des Cathares", couvrant plus de trois siècles, raconte l'hérésie, sa nature exacte, son essor dans l'Europe entière et les raisons de son développement particulier dans les Etats du comte de Toulouse et des vassaux, correspondant, en gros, aux régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon; la croisade, lancée en 1209 par le pape Innocent III, jusqu'à la chute de Montségur en 1244; l'Inquisition, fondée en 1233 à Toulouse, pour éradiquer le christianisme dissident dont elle ne vient à bout que dans le premier quart du XIVe siècle.