17 juillet 1453 : Castillon, la victoire de l'artilerie des frères Bureau


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Villageois, vignerons, pêcheurs, lavandières, moines et nobles déambulent dans un brouhaha joyeux entre les échoppes d'un marché médiéval, sous la surveillance de soldats français, dont l'attitude peu amène et les tensions qu'ils suscitent ne laissent guère de doute sur leur qualité d'envahisseurs. La Guyenne reconquise en grande partie par la France n'est pas française de cœur.

Dans cette foire où les vendanges sont le centre de toutes les attentions, les habitants de Castillon et les moines du Prieuré Saint-Laurent perçoivent les signes avant-coureurs d'un grand événement.

En 1452, les Aquitains regrettent les avantages que leur procurait la domination lointaine des rois anglais et prennent secrètement contact avec les Anglais. Le roi d'Angleterre, Henri VI, envoie alors John Talbot, accompagné de 5000 hommes, pour libérer la Guyenne. Le 23 octobre, Bordeaux se révolte contre la garnison française et Talbot entre triomphalement dans la ville. Début 1453, Charles VII réagit et envoie trois armées sous le commandement de Jean Bureau et d'André de Lohéac.

 

Bien qu'il soit prudent et très expérimenté, Talbot, informé de l'arrivée des Français à Castillon, décide de passer à l'attaque. Il quitte Bordeaux le 16 juillet au matin. Les troupes anglaises reçoivent le renfort des Gascons, et avancent à marche forcée sur Castillon. À l'aube du 17, son avant-garde surprend et disperse un détachement de francs-archers français commandés par Jacques de Chabannes et Joachim Rouault, qui sont en avant-poste dans l'abbaye de Saint-Laurent, au nord de Castillon, en bordure de la route de Bordeaux. Les Français qui assiègent le château de Castillon se replient aussi dans le camp. Des habitants signalent aux Anglais des mouvements de cavalerie sortant du camp à l'est. Ces diverses observations font penser à Talbot que son adversaire prépare son retrait et que c'est le bon moment de l'attaquer, sans grand risque. Talbot lance ses chevaliers à l'assaut des soldats français, malgré les mises en garde de son fils, Lord L'Isle, qui craint – à raison – une ruse.

Les cavaliers et leurs montures chargent en ligne, botte à botte, faisant tournoyer et s'abattre leurs épées contre les boucliers des piétons, qui n'hésitent pas à leur rendre la pareille. Anglais et Français ne s'effraient ni du feu des torches, ni du bruit des canons et des artifices.

Voici comment Jean Chartier, un chroniqueur de cette fin de Moyen-âge, conte la furie de ce combat : « Talbot fut fort ébahi quand, de ses yeux, il vit les belles fortifications qu’avaient faites les Français [...]. Cependant Talbot et sa compagnie arrivèrent droit à la barrière, croyant forcer d’emblée l’entrée du parc [...]. Alors commença grand et terrible assaut, où se passèrent de grandes vaillances de part et d’autres ; où il fut merveilleusement combattu, main à main, à coup de hache, de guisarme, de lance et de traits, moult vaillamment. Ce chaplis dura l’espace d’une heure ; car les Anglais y revenaient toujours avec grande ardeur, et aussi les Français ne s’épargnaient pas à bien les recevoir ».

Talbot tombe dans le piège tendu par le grand maître de l'artillerie de Charles VII, Jean Bureau, qui positionne dans le camp retranché français quelque 300 pièces d'artillerie qui tirent pour certaines des boulets métalliques creux et explosifs, sans doute une première sur un champ de bataille. Alors que Talbot est occupé à galvaniser et à redonner courage à ces troupes pour un énième assaut, l’ordre est alors donné à toutes les pièces à feu de tirer ensemble sur les Anglais. L’effet « boule de feu » ainsi créé les foudroie. Les Français profitent du carnage pour lancer une contre-attaque. C’est la débandade. En quelques heures, malgré leur hardiesse, les troupes Anglo-gascons perdent trois à quatre mille hommes.

Et la Guyenne ne tarde pas à pleurer la mort de son Lieutenant-Général, John Talbot, la tête emportée par un tir de couleuvrine. Celui que la population locale n'hésitait pas à qualifier de « bon roi Talbot » reçoit même les hommages de son adversaire, le roi de France Charles VII, qui, à l'annonce de sa disparition, se serait écrié: « Dieu fasse merci au bon chevalier ».

La bataille se solde par une victoire décisive pour les Français grâce à un emploi judicieux et novateur de l’artillerie. Les Anglais écartés, les troupes royales se dirigent vers Bordeaux, où les seigneurs gascons se sont retranchés. Les Français, qui souhaitent en finir rapidement, mettent leur puissante artillerie en batterie devant la ville. Les Bordelais comprennent rapidement que si l’assaut est donné, les murs de la ville ne résisteront pas longtemps aux canons français. La ville se rend le 17 octobre 1453. De leurs possessions françaises, il ne restait alors plus aux Anglais que la ville de Calais : le tonnerre des canons de Castillon marquait ainsi la fin de la Cent Ans.

LE ROLE DE L’ARTILLERIE A POUDRE

Si l’artillerie à poudre voit son usage se généraliser dans les guerres de siège (afin de faire tomber les murailles) en Occident grâce à sa puissance de feu et sa simplicité de mise en œuvre, et ce dès sa première apparition au siège de Metz en 1324, son utilisation dans une bataille rangée reste rare (ex. à la bataille de Crécy en 1346, où le roi d’Angleterre Édouard III aligna trois bombardes face aux Français) et le plus souvent inefficace. La raison en incombe principalement à sa très faible cadence de tir et à sa faible manœuvrabilité. Ainsi, l’artillerie bourguignonne déployée pour le siège de Maastricht entre le 24 novembre 1407 et le 7 janvier 1408 tire un total de 1514 boulets soit une moyenne de trente-trois boulets par jour seulement. Il est aussi rapporté que les pièces turques utilisées lors du siège de Constantinople en 1453 ne peuvent tirer plus de sept coups par jour. Le recul n’est pas maitrisé : les canonniers sont obligés d’effectuer des travaux de terrassement afin d’ancrer le socle de bois supportant le tube dans le sol, technique limitant fortement la réactivité face à un adversaire manœuvrier. Le recul n’est pas maitrisé : les canonniers sont obligés d’effectuer des travaux de terrassement afin d’ancrer le socle de bois supportant le tube dans le sol, technique limitant fortement la réactivité face à un adversaire manœuvrier.

Au milieu du XVème siècle, Charles VII, tirant profit des dernières avancées techniques de l’époque, se dote de canons mobiles, plus légers et montés sur roues. Ces améliorations permettent à son artillerie de se déplacer plus rapidement et de reprendre notamment plus de soixante places fortes en Normandie en seize mois de campagne (1449-1450).

Le nombre total d’armes à feu à Castillon est estimé à environ trois cents (artillerie portative, légère et lourde), ce qui est considérable pour l’époque. Il y avait en effet, selon Jean Chartier, « tant de grosses bombardes, de gros canons, de veuglaires, de serpentines, de crapaudines, de ribaudequins et de couleuvrines, qu’il n’était mémoire d’homme, que jamais on ait vu à roi chrétien si grosse artillerie, si bien garnie de poudre, et de toute autre choses pour approcher et prendre châteaux et villes, ni si grant’foison de charrois pour les mener, ni tant de manouvriers pour servir cette artillerie ».

L’APPORT DES FRERES BUREAU

Gaspard et Jean Bureau ne sont pas nobles mais de simples roturiers lancés dans les carrières de l’administration financière et judiciaires. Ralliés au roi Charles VII, alors surnommé le «roi de Bourges» du fait de ses pertes territoriales, il participe à la réorganisation de l’armée française suite à la trêve de 1444 avec les Anglais et la paix d’Arras avec le duc de Bourgogne en 1435. Tandis qu’un nouveau connétable, commandant suprême des armées derrière le roi, est nommé en la personne du Breton Arthur de Richemont, qu’un embryon d’armée permanente est formé par les compagnies d’ordonnance et les francs archers, c’est de l’artillerie dont se préoccupe les Bureau.

Ils normalisent les calibres, favorisent la fabrication de canon en fonte et généralisent l’usage du moulin à poudre qui permet d’accumuler de précieuses réserves de poudres qui devait auparavant être préparée en pleine bataille. Ils réorganisent également l’artillerie, notamment avec la mise en batterie des canons. Nommé grand maître de l’artillerie du Roi, Jean Bureau, c’est à la bataille de Castillon, que l’artillerie trouve sa consécration.

Louis-Napoléon Bonaparte décrit l’œuvre des frères Bureau dans son ouvrage : "Études sur la passé et l’avenir de l’artillerie": "Ils commencèrent à employer, quoique en petit nombre, les boulets de fer au lieu des boulets de pierre, et alors, un projectile du même poids occupant un plus petit volume, on put lui donner une plus grande quantité de mouvement, parce que la pièce, ayant un moindre calibre, offrit plus de résistance à l’explosion de la poudre. Ce boulet plus dur ne se brisa plus et put pénétrer dans la maçonnerie ; il y eut avantage à augmenter sa vitesse en diminuant sa masse ; les bombardes devinrent moins lourdes". Ainsi, "les Anglais avaient employé quatre mois à assiéger Harfleur, en 1440 ; huit mois à assiéger Rouen, en 1418 ; 10 mois à s’emparer de Cherbourg, en 1418, tandis qu’en 1450, toute la conquête de la Normandie, qui obligea à entreprendre soixante sièges, fut accomplie par Charles VII en un an et six jours. L’influence morale exercée par la grosse artillerie est devenue si grande qu’il suffit de son apparition pour faire rendre les villes [...]. Charles VII qui naguère empruntait aux villes leurs canons pour faire les sièges, possède une artillerie assez nombreuse pour établir des attaques devant plusieurs places à la fois, ce qui excite à juste titre l’admiration des contemporains."

Sources :