15 juillet 1099 : Godefroy de Bouillon et la première croisade, Dieu l’a-t-il voulu ?
On a souvent tendance à imaginer les Croisades comme
la confrontation entre deux mondes bien distincts, le choc entre Orient et
Occident, entre Chrétienté et Islam. En réalité, une troisième entité occupe la
scène, et non des moindres : le monde byzantin. Certes, quatre siècles
avant la première croisade, les Arabes avaient anéanti, au cours de leurs
foudroyantes conquêtes du VII e siècle, les chrétiens de Syrie, d'Égypte,
d'Afrique du Nord. Mais, dans les deux siècles qui précèdent le début de la
première croisade, Byzance – ou plutôt Constantinople – connaît une période de
faste et de prospérité. En 1054, année du schisme entre les Églises d’Orient et
d’Occident, la séparation définitive entre Rome et Byzance est consommée. Qu’on
se le dise, du point de vue des Byzantins, les Chrétiens d’Occident sont au
moins aussi barbares que les Musulmans !
En mars 1095, l’empereur byzantin Alexis Ier Comnène
demande de l’aide au pape Urbain II contre les Turcs seldjoukides qui se
pressent aux portes de son empire. Même si les relations entre les chrétiens de
Rome et ceux de Byzance sont plutôt tendues, Alexis espère que son ancienne
alliée lui viendra en aide. Contre toute attente, Urbain II non seulement
répond à cet appel, mais va faire preuve d’un excès de zèle plutôt
inattendu ! Le pape voit ici une occasion en or d’anéantir une bonne fois
pour toute ces ennemis de la foi chrétienne. Quelques mois à peine après la
demande d’aide de son homologue orthodoxe, à Clermont, Urbain II, orateur puissant, de haute
taille, prêche pour aller libérer la Terre sainte occupée par les musulmans.
Cet appel déchaîne un
grand enthousiasme. Ceux qui partent portent une croix d'étoffe rouge cousue
sur leurs vêtements - d'où le nom de croisés - et la piété s'allie en eux au
goût de l'aventure et à l'espoir de s'enrichir tout en faisant leur salut. D’autant
plus que le pape accorde aux croisés l'indulgence plénière. Les croisés
arrivent, par quatre routes terrestres, à Constantinople, s'emparent de Nicée
pour le compte de Byzance (1097), traversent l'Asie Mineure et parviennent
devant Antioche, qu'ils prennent après un long siège. Un an plus tard, le 15
juillet 1099, ils assaillent victorieusement Jérusalem, se livrant au pillage
et au massacre. Après cette victoire éclatante sur les Turcs, la côte de la
Terre sainte est bientôt conquise et organisée en quatre principautés
chrétiennes et féodales : le comté d'Édesse (1098-1144), la principauté
d'Antioche (1098-1268), le comté de Tripoli (1109-1289) et le royaume de
Jérusalem (1099-1291).
Magnifié
et statufié comme seuls, peut-être, le furent les combattants de la guerre de
Troie, Godefroy de Bouillon a longtemps relevé du mythe plutôt que de
l'histoire. Pourtant son intervention fut décisive sur l'évolution de
l'Occident comme sur celle de l'Orient. Une brillante ascendance - sa famille
descendait de Charlemagne -, un enracinement dans une région - entre Rhin,
Meuse et Escaut - en plein essor économique et touchée plus tôt que d'autres
par la réforme religieuse et sociale entreprise par l'Église : tout désignait
ce féodal d'une grande bravoure et exerçant un fort ascendant sur les hommes à
conduire l'une des trois armées parties en 1096 délivrer le tombeau du Christ.
Participant actif à la prise d'Antioche, vainqueur de Jérusalem, il sut comme
avoué (gardien) du Saint-Sépulcre jeter en moins d'un an les bases d'un État
appelé à durer plus d'un siècle et demi. Il connut une destinée posthume plus
glorieuse encore. Stupéfait de l'exploit qu'il avait accompli à travers
Godefroy, l'Occident fit de lui le parangon des vertus chrétiennes et
chevaleresques : les chansons de geste sont pleines de ses hauts faits. Il
hanta Dante, Le Tasse et Chateaubriand ; au siècle dernier encore, il
divisa le plus sérieusement du monde les érudits de deux grandes nations
d'Europe pour savoir...s'il était belge ou français !"