14 mai 1610 : l’assassinat d’Henri IV, un complot d’Etat ?


Paris, rue de la Ferronnerie, vendredi 14 mai 1610, vers 4 h de l’après-midi. Un carrosse remonte la rue étroite et se trouve stoppé par deux charrettes qui bloquent le passage. Soudain, un homme tenant à la main un couteau surgit derrière la voiture. Il se penche à l’intérieur du carrosse et frappe l’un des occupants à plusieurs reprises. L’homme au couteau s’appelle François Ravaillac. Il vient de tuer le roi de France, Henri IV. Cet événement est l’un des épisodes les plus célèbres de l’Histoire de France. Mais si l’assassin d’Henri IV est connu, son geste a aussitôt fait naître de multiples questions, et depuis quatre siècles les historiens n’ont cessé de s’interroger : pourquoi tuer le roi ? Ravaillac a-t-il agi seul ? A-t-il été manipulé ? Avait-il des complices ? Le doute subsiste sur les motivations et les complicités éventuelles du régicide : à qui profite le crime ?



14 mai 1610, 6h du matin, après s’être habillé, le Roi dit ses prières. Il a mal dormi. La veille il a cédé, après 10 ans de mariage, à Marie de Médicis, en la faisant couronner Reine. S’il meurt avant la majorité du dauphin Louis, elle sera régente de France.

Il reçoit trois collaborateurs en audience. Puis il sort de sa chambre pour aller assister à la messe dans la chapelle du couvent des Feuillants.

Au retour comme à l’aller, le Roi traverse le Jardin des Tuileries. Il est grave. Au duc de Guise et le maréchal de Bassompierre qui l’ont rejoint, il déclare :

« Vous ne me connaissez pas maintenant, vous autres ; mais je mourrai un de ces jours, et quand vous m’aurez perdu, vous connaîtrez lors ce que je valais et la différence qu’il y a de moi aux autres hommes. »

Henri passe à table avec ses petites princesses (Elisabeth, Christine, et Catherine-Henriette). Puis il reçoit le président du parlement de Bourgogne et l’intendant Arnauld, son fidèle conseiller. Il va ensuite voir la Reine, accompagné du duc de la Force. Après avoir reçu un messager revenu de Venise, il retourne à nouveau chez la Reine et joue avec ses garçons. Bon père, il présente un visage plein de gaité.

Agé de cinquante-six ans, la barbe et les cheveux blancs, Henri IV est en pleine dépression, épuisé par une vie de combat. Sully, son célèbre ministre, est malade. Après de multiples hésitations, Henri décide de sortir en ville. Dans la cour carrée du Louvre où son carrosse l’attend, il apparaît vêtu de noir. Le Roi s’assied sur la banquette du fond. Le duc d’Epernon s’assied à sa droite. Henri est également accompagné de Charles du Plessis-Liancourt, du marquis de Mirebeau, du maréchal-marquis de Lavardin, du baron Antoine de Roquelaure, Hercule de Rohan (duc de Montbazon) et du marquis de Caumont La Force. Par deux fois, le roi a refusé d’être accompagné d’un capitaine des gardes. Pourtant la Capitale n’est pas sûre et le roi déjà victime d’une vingtaine de tentatives d’assassinats.

Le Roi fait retirer les mantelets de cuir qui ferment les fenêtres. Il veut se distraire, voir les préparatifs de l’entrée de la Reine rue Saint-Denis. Se rendra-t’ il voir Sully ? Le carrosse sort du Louvre : « Par la Croix du Tiroir. Allons au cimetière Saint-Innocent. »

L’attelage royal s’approche du marché des Halles. Les voies sont encombrées des échoppes construites le long des maisons. Rue de la Ferronnerie, plus étroite que la rue Saint-Honoré qui la précède, ne permet pas à l’escorte à cheval et aux valets de rester aux portières du carrosse. La rue est obstruée par une charrette de foin et des tonneaux de vins. Le carrosse s’arrête. Soudain, le roi Henri pousse un cri de douleur. Un colosse habillé en vert, à la flamande, vient de le poignardé. Le deuxième coup de poignard sera mortel. Il traverse le poumon gauche, tranche la veine cave et crève l’aorte. Un troisième coup percera l’habit de Montbazon.

Tout est allé très vite. On se jette sur l’assassin. On veut le tuer mais Epernon s’interpose et le criminel est conduit à l’hôtel de Retz. Le carrosse fait demi-tour et roule vers Le Louvre. Au palais, Henri est étendu sur un lit dans le petit cabinet de la Reine. Le chancelier Brulart de Sillery arrive au plus vite, suivi de la Reine Marie qui s’effondre au pied du lit. Le dauphin paraît à son tour, il ne sait pas encore qu’il est Louis XIII.

La nouvelle de la mort du roi Henri retourne brusquement l’opinion des populations. L’affliction est générale. Le peuple se trouve orphelin.

Qui est l’assassin du roi Henri IV ?

L’homme se nomme François Ravaillac, issu d’une famille de la bourgeoise de robe angoumoise, son père ayant dilapidé le patrimoine familial, son enfance est miséreuse. Il est maître d’école. Il a 32 ou 33 ans. Il est né à Angoulême. Il est destiné à la vie religieuse et a des visions mystiques. Les violences des Huguenots dans sa région maternelle auraient engendré sa haine pour le roi Henri, promoteur de l’Edit de Nantes. Plus certainement, ses oncles maternels, Julien et Nicolas Dubreuil, chanoines à la cathédrale d'Angoulême, lui enseignent la lecture, l'écriture et lui inculquent très tôt la haine des protestants.

Sous les pires tortures, Ravaillac maintiendra avoir agit seul.

Son ordonnance d'exécution pour « l'inhumain régicide par lui commis en la personne du Roi Henri quatrième » précise que le condamné est destiné à « [être] tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes, sa main droite, qui tenait le couteau avec lequel il a commis ledit régicide, sera brûlée de feu de soufre, et sur les endroits tenaillés, il sera jeté du plomb fondu, de l'huile bouillante, de la poix, de la résine brûlante, de la cire et soufre fondus ensemble. Ensuite, son corps sera tiré et écartelé par quatre chevaux. Les membres de son corps seront consommés au feu, réduits en cendres et jetés au vent. »

Le 27 mai 1610, il est écartelé place de Grève. Les supplices du bourreau Jean Guillaume et de ses valets durent une journée entière car François Ravaillac est doté d'une robuste constitution, ce qui force notamment le bourreau à « entamer » les bras et les jambes avec un couperet.

A qui profite le crime ?

Comme dans tout assassinat de dirigeants politiques (on ne peut s’empêcher de penser au président des Etats-Unis Kennedy), les thèses du complot se multiplie. D’ailleurs, le journaliste Jean-François Bège (Ravaillac, l'assassin d'Henri IV, Sud-Ouest, ) estime que l'assassin de Henri IV et Lee Harvey Oswald seraient tous deux des fanatiques prétendant avoir agi seuls mais manipulés et secondés par une deuxième équipe, situant Ravaillac dans la « longue cohorte des assassins politiques de l'Histoire ».

Dans son ouvrage l'étrange Mort de Henri IV, Philippe Erlanger (Amiot Dumont, 1957) reprend la thèse développée par Michelet, Selon laquelle le duc d’Épernon, la comtesse de Verneuil et le couple Concini auraient instrumentalisé Ravaillac, avec la connivence de la reine Marie de Médicis et de Philippe III d'Espagne. Il affirme qu'à son arrivée à Paris, Ravaillac fut logé chez Charlotte du Tillet, la maîtresse du duc d'Épernon. Selon l'auteur, l'assassinat aurait été orchestré par le duc d'Épernon, la marquise de Verneuil et Charlotte du Tillet qui organise les rencontres entre le duc et la marquise.

Certes, le duc d’Epernon prend les affaires en main après la mort du roi. A cet instant, il tient le sort de la monarchie entre ses mains. Comment alors expliquer le comportement du duc d’Epernon lors de l’assassinat qui s’oppose au lynchage de Ravaillac ?  En outre, c’est lui qui convainc le Parlement de Paris de reconnaître Maire de Médicis régente du royaume de France. De plus, une grande partie de cette thèse repose sur le témoignage de la demoiselle d’Escoman qui est une affabulatrice reconnue (et condamnée).

En 2009, l'historien Jean-Christian Petitfils (L'assassinat d'Henri IV, Mystères d'un crime, Perrin) propose une autre hypothèse. Ravaillac aurait été manipulé par l'archiduc des Pays-Bas catholiques Albert de Habsbourg, par peur d'une action d'Henri IV pour récupérer Charlotte de Montmorency, épouse du prince de Condé, retenue à Bruxelles. En effet, pour la garder près de lui, le Roi avait fait épouser Charlotte de Montmorency, dont il est épris, par Henri de Condé. Or, ce dernier fuit avec elle à l’étranger, enfreignant le principe qui veut qu’un prince de sang royal ne quitte jamais le territoire national sans l’autorisation du Roi…

Les thèses du complot sont multiples et crédibles car de nombreux faits et coïncidences viennent l’étayer. Ainsi, peu de temps après la mort du Roi, le prévôt de la ville de Pithiviers est retrouvé pendu dans sa cellule : il avait été arrêté après avoir annoncé l’assassinat du Roi alors qu’il se trouvait à des kilomètres de Paris…

Mais la leçon d’histoire de François Pernot, professée dans son ouvrage (Qui a vraiment tué Henri IV ? – Larousse, ), doit être retenue : « Chercher le complot ne revient-il pas le plus souvent à nier la réalité ? […] Retrouver du sens à tout prix en raccrochant les faits historiques à un fil directeur unique, un fil directeur qui fournit à l’opinion publique une clé de décryptage d’un événement paraissant absurde ? Un fil directeur qui rassure parce qu’il explique le chaos ».

Au-delà de toutes les analyses qui ont alimenté la théorie du complot, il faut, je crois, revenir à l’auteur indubitable de l’assassinat lui-même : Ravaillac. Rien ne prouve formellement que ce dernier n’a pas agi de son plein gré. Les nombreux suspects souvent évoqués par les historiens, comme Marie de Médicis elle-même, sont peu crédibles. Peut-être Ravaillac a-t-il agit seul mais qu’il avait pris de court, sans le savoir, un complot organisé… par le Duc d’Epernon ? (Théorie de François Pernot).