La France médiévale
Le
Moyen Age n’a pas été une parenthèse, et le mépris dont l’ont couvert, à la
Renaissance, les humanistes et Luther étaient le fruit soit de l’ignorance, soit
d’un parti pris aveugle. Cet âge fut une merveilleuse époque de production
d’œuvres inattendues et inimitables, un épanouissement du génie humain dans
tous les domaines de l’esprit.
La
hardiesse et la puissance de la pensée, accusée curieusement de conformisme, a
constitué un jaillissement d’une admirable variété ; loin d’ignorer
l’Antiquité classique, les médiévaux la connaissaient et la goutaient, ce qui
rend inepte la notion de parenthèse, mais ils y ajoutaient la culture de Pères,
et cette rencontre a produit une flamboyante synthèse. On a beau évoquer avec ironie
« la méthode scolastique », qui n’est dans les livres du XIIIe siècle
que l’écho d’un efficace procédé dialectique d’enseignement, aucun maitre n’a
édifié ensuite un traité aussi ample et aussi structuré que la Somme
théologique de saint Thomas d’Aquin. En philosophie, Descartes, réputé
fondateur de la philosophie moderne, est déjà dans saint Anselme, dans saint
Thomas et dans Duns Scot, quelque distance qu’il affiche à prendre à leur
égard.
Dans
les sciences, les médiévaux, tout en les connaissant, les ont disqualifiés et
sont à l’origine du mouvement qui crée la science nouvelle. C’est François de
Meyromes qui a lancé l’idée du mouvement de la Terre, et Nicolas Oresme qui a
émis une première théorie de la relativité.
La
Renaissance était en germe dans le Moyen Age, qui l’a permis en lui fournissant
les éléments de sa fécondité.
Ce
qui a perdu la Renaissance par rapport au Moyen Age, c’est la ferveur. Certes,
on y trouve un grand enthousiasme pour la science. Mais chez l’homme médiéval,
l’amour de Dieu fait considérer toutes les connaissances comme unies dans une
destinée révélée, de sorte que le profane est lui-même sacré. Chez l’homme
moderne, la science est désacralisée ; la connaissance du sacré est
sacrée, la connaissance du profane est profane ; les lois du monde
sensible sont ce qu’elles sont en dehors de toute référence
providentielle ; l’art est une reproduction du réel tel qu’il est. De
sorte que l’homme devient un homme éclaté, et en même temps plus prosaïque.
Cet
éclatement du sujet est en même temps éclatement de la société. L’homme
médiéval est incorporé à une société par adhésion doctrinale et affective à une
communauté spirituelle dont il se sent profondément solidaire et qu’il veut
servir. L’homme moderne est individualiste.
Cette
dislocation se retrouve au sein de la société entre le pouvoir temporel et le
pouvoir spirituel. Dès Philippe le Bel, le lien a été rompu. Avec Henri VIII et
les princes protestants allemands et scandinaves, il s’élargira à l’Europe du
Nord. Cette situation de l’indépendance politique à l’égard de la religion sera
le thème de Machiavel qui, dans Le Prince (1513), fixe pour finalité à
l’ambition politique le pouvoir, en dehors de toute considération d’une loi
supérieure.
Texte de Ivan GOBRY, extrait in La Civilisation Médiévale.
Texte de Ivan GOBRY, extrait in La Civilisation Médiévale.