10 juin 1794 : La Terreur, un voile de sang recouvre la Révolution

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La Première République est née dans et par la Terreur. La monarchie à peine renversée, une première Terreur pousse les révolutionnaires à massacrer dans les prisons de Paris plus de 1000 détenus considérés comme des « ennemis de l’intérieur » prêts à égorger les « patriotes » en septembre 1792. La plupart des victimes étaient de banals détenus de droit commun. Les éléments radicaux ne cessent de faire pression sur les organismes officiels, contraints ainsi d’adopter une politique visant à faire peur aux ennemis de la Révolution, ces comploteurs, ces traîtres, ces puissances étrangères qui veulent, dans l’esprit des révolutionnaires, « terroriser » les partisans de la Révolution.

Le dimanche 10 mars 1793, la Convention décrète la levée en masse de 300 000 hommes pour protéger les frontières. Le soir même, à l'instigation de Danton, Robespierre et Marat, elle institut un Tribunal criminel extraordinaire, plus tard appelé Tribunal révolutionnaire, pour juger les traîtres à la patrie et les opposants au nouveau régime républicain !

Des députés de la mouvance de Brissot et Vergniaud tentent de modérer la répression. Ils mettent en accusation Jean-Paul Marat, qui multiplie les appels à la violence dans son Journal de la République française, mais celui-ci est disculpé par le Tribunal révolutionnaire. Après son retour triomphal à l'assemblée, le 24 avril 1793, il traque à son tour les Brissotins ou Girondins avec l'appui des sans-culottes et les fait arrêter les 31 mai et 2 juin.

À Caen, une jeune fille romanesque, Charlotte Corday, boit les paroles du député Barbaroux et décide d'assassiner Marat, qu'elle accuse d'être à la racine de tous les maux. Elle se rend à son domicile, où le tribun soigne un eczéma douloureux. Elle obtient à force de persuasion un entretien particulier et le poignarde le 13 juillet 1793, tandis qu'il prend note de la liste des conspirateurs girondins du Calvados, qu'elle feint de lui livrer.

      

Cet assassinat réveille les passions des Parisiens. Le Comité de sûreté générale, en charge de la police depuis le 10 août 1792, prend en main la répression. Essentiellement composé de députés montagnards, il traque les suspects et les défère auprès du Tribunal révolutionnaire. Le député montagnard Louis David, membre du comité de sûreté générale et peintre fait un superbe tableau de Marat, mort dans sa baignoire : La Révolution assassinée ! Il obtient que sa dépouille soit inhumée au Panthéon au lieu et place de Mirabeau, dont a découvert depuis peu les coupables compromissions (Marat sera à son tour expulsé du Panthéon deux ans plus tard, sous la réaction thermidorienne).

La Révolution chancelle. Une coalition européenne menace d'envahir la jeune République. Les armées sont à la peine face aux ennemis prussiens et autrichiens, les généraux se révélant incompétents et/ou corrompus ; l’insurrection vendéenne bat son plein ; des villes fédéralistes rompent avec la Convention nationale où dominent depuis juin les députés jacobins ; l'assignat n'en finit pas de perdre de sa valeur, les prix flambent et le chômage s'étend…

Le 5 septembre 1793, l'avocat Bertrand Barère, membre du Comité de Salut Public demande à la Convention nationale de prendre toutes les mesures propres à sauver les acquis de la Révolution et repousser l'invasion étrangère. « Il est temps d’épouvanter tous les conspirateurs » déclare le club des Jacobins dans son adresse à la Convention le même jour. L'assemblée met alors « la Terreur à l'ordre du jour » ! Il s'agit par une justice prompte et inflexible de briser et « terroriser » les ennemis de la Révolution et de la France. La Révolution, il est vrai, est alors menacée de toutes parts : l'exécution du roi et la persécution des prêtres ont retourné contre elle l'opinion de la plupart des Européens et des Français.

Le 17 septembre suivant, l'assemblée vote la loi des suspects qui permet l'arrestation de « ceux qui par leur conduite, leurs relations, leurs propos ou leurs écrits se sont montrés partisans de la tyrannie, du fédéralisme et ennemis de la liberté ; ceux qui ne pourront justifier de leurs moyens d’existence et de l’acquit de leurs devoirs civiques ; ceux qui n’auront pu obtenir de certificat de civisme ; les ci-devant nobles qui n’ont pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution, les émigrés, même s’ils sont rentrés, les prévenus de délits, même acquittés ». Autant dire que tout le monde est menacé puisque la loi des suspects permet l’arrestation de ceux qui n’ayant « rien fait contre la Liberté, n’ont rien fait pour elle ». Les Montagnards traquent les infidèles accusés de tiédeur révolutionnaire.

Robespierre, qui préside le Comité de Salut Public, fait l'inventaire de la situation le 25 septembre 1793 : « Onze armées à diriger, le poids de l'Europe entière à porter, partout des traîtres à démasquer, des émissaires soudoyés par l'or des puissances étrangères à déjouer, des administrateurs infidèles à surveiller, à poursuivre, partout à aplanir des obstacles et des entraves à l'exécution des plus sages mesures ; tous les tyrans à combattre, tous les conspirateurs à intimider (...) : telles sont nos fonctions ».

À Paris, la rue gronde. Les sans-culottes, traditionnels soutiens des députés de gauche et du Comité de Salut public, s'indignent de la dégradation de la situation économique, du chômage, des pénuries et de l'inflation. Ils proclament haut et fort « Guerre aux accapareurs ». Pour les satisfaire et conserver leur soutien, les députés de la Convention votent le 29 septembre la loi du « maximum général » qui bloque les salaires et les prix. Instantanément, les greniers et les magasins se vident de leurs marchandises. Chacun achète tout ce qu'il peut pendant qu'il est temps et les paysans dissimulent leurs récoltes plutôt que de les vendre à vil prix. Le gouvernement tente de réagir en appliquant des peines très dures aux contrevenants, y compris la prison et la guillotine.


Le 10 octobre 1793, l'un de ses membres, Louis Antoine Saint-Just (27 ans), accuse les fonctionnaires de corruption et à tout le moins de laxisme, notamment dans l'application de la loi sur le maximum général sur les salaires et les prix. A la tribune de l’Assemblée il lance :« Il est impossible que les lois révolutionnaires soient exécutées si le gouvernement lui-même n'est constitué révolutionnairement », et menace « Il n'y a point de prospérité à espérer tant que le dernier ennemi de la liberté respirera. Vous avez à punir non seulement les traitres, mais les indifférents mêmes : vous avez à punir quiconque est passif dans la République et ne fait rien pour elle... ». À son initiative est adopté ce jour-là un décret qui proclame : « Le gouvernement de la France sera révolutionnaire jusqu'à la paix ». La guillotine tourne bientôt à plein régime. Mais la répression, les arrestations arbitraires et la peur de la guillotine ne suffisent pas à faire reculer les menaces qui pèsent sur la Révolution et la République. Celles-ci sont tout à la fois menacées par l'opposition royaliste, les catholiques restés fidèles à leur foi et les gouvernements étrangers qui craignent les velléités expansionnistes des armées françaises.


Devant la Convention, le 5 février 1794, Maximilien de Robespierre tente de préciser les objectifs politiques de la Terreur : « Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur sans laquelle la vertu est impuissante. La Terreur n'est pas autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible [...] elle est une conséquence du principe général de la démocratie, appliqué aux pressants besoins de la patrie ! »

La Terreur trouve son apogée institutionnel par la loi du 22 prairial (10 juin 1794) qui renouvelle le personnel du Tribunal révolutionnaire. L’article 4 indique qu’il « est institué pour punir les ennemis du peuple », l’article 9 fonde l’acte d’accusation sur les simples dénonciations, l’article 12 supprime l’instruction, l’article 16 enlève à l’accusé les secours d’un avocat et l’article 13 rend superflue l’audition de témoins. Robespierre déclare à la barre de la Convention : « Cette sévérité n’est redoutable que pour les conspirateurs, que pour les ennemis de la liberté. » Le mode de raisonnement de l’incorruptible restait le même qu’à l’époque du procès de Louis XVI. Le 28 décembre 1792, Robespierre avait déclaré : « Citoyens, la dernière preuve de dévouement que les représentants doivent à la patrie, c’est d’immoler ces premiers mouvements de la sensibilité naturelle au salut d’un grand peuple et de l’humanité opprimée ! Citoyens, la sensibilité qui sacrifie l’innocence au crime est une sensibilité cruelle, la clémence qui compose avec la tyrannie est barbare. » Pour reprendre la fameuse formule de Saint-Just : « pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». Il faut prendre la formule « la liberté ou la mort » au sens littéral : il s’agit bien non seulement de « mourir » mais aussi de « faire mourir » pour fonder la liberté. Dès lors, Antoine Fouquier-Tinville, l'accusateur public de ce tribunal d'exception, va pouvoir donner toute sa mesure. « Les têtes tombent comme des ardoises » note-t-il. 

En province, les représentants en mission répriment les menées antirévolutionnaires avec plus ou moins de zèle. Nombreux sont ceux qui étalent leurs vices et affichent des comportements dissipés. Dans le même temps, ils outrepassent les intentions de Robespierre et pratiquent des massacres inconsidérés, à grande échelle et non sans sadisme. Ainsi Carrier à Nantes, avec les noyades collectives dans la Loire ; Fouché et Collot d'Herbois à Lyon avec les mitraillades dans la plaine des Brotteaux.

Les députés s'impatientent devant le régime de Terreur sur lequel s'appuie Robespierre et qui constitue une menace perpétuelle au-dessus de leurs têtes. Ils reprochent par ailleurs à l'Incorruptible d'avoir instauré la Fête de l'Être suprême et de préparer ainsi le retour de la religion. Ils s'inquiètent aussi de ses tractations secrètes avec l'Angleterre, en prélude à un accord de paix qu'ils jugent prématuré. Notons aussi que les représentants en mission qui se sont rendus coupables de violences excessives craignent d'avoir à rendre des comptes.

Fin juillet 1794, après sept semaines de folie meurtrière, tous ces gens-là se coalisent pour mettre fin à la Grande Terreur et éliminer Robespierre en lui faisant porter la responsabilité de tous les excès antérieurs. Robespierre, décrété hors la loi, est exécuté sans procès le 10 thermidor de l’an II (28 juillet 1794) en compagnie de 21 de ses partisans, dont son frère, et Saint-Just.

La France se reprend à espérer. La sécurité semble enfin assurée. À l'intérieur, les révoltes sont étouffées, Vendée mise à part. Lyon et Toulon se soumettent et, aux frontières, les armées reprennent vigueur... La victoire de Fleurus écarte le danger d'invasion. Beaucoup de députés de la Convention aspirent désormais à profiter tranquillement de leur pouvoir ainsi que de leurs richesses (souvent mal acquises). Ils ont le sentiment que les principaux buts de la Révolution ont été atteints. L'abolition des privilèges de naissance est irréversible, les « frontières naturelles » sont à portée de main et la séparation de l'Église et de l'État est entrée dans les faits. Mais en réalité, la Terreur ne devait pas disparaître totalement et continuer à réapparaître pendant la période thermidorienne et sous le Directoire par des mesures d’exception.

Entre mars 1793 et fin juillet 1794, un demi-million de personnes ont été arrêtées. Au moment du 9 Thermidor, beaucoup de « suspects » croupissent en prison sans jugement. Plus de 16000 personnes avaient été exécutées après avoir été condamnées à mort mais il faut y ajouter autour de 30000 exécutés sans procès. Il faut surtout évoquer le bilan autrement plus lourd de la Vendée, source de nombreuses polémiques, impossible à chiffrer, les estimations étant très différentes suivant les auteurs soucieux de minimiser ou d’exagérer l’ampleur des massacres.

La Terreur, loin de sauver la Révolution, a surtout contribué à discréditer l’idée de république pendant plusieurs décennies.