7 juin 1654 : Le Sacre de Louis XIV raconté par l'évêque qui officia lors de la cérémonie



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Leurs Majestés furent reçues le 3 juin 1654 par les notables de la ville accompagnés de deux mille cavaliers civils et suivis de cinq mille fantassins. Le Roi ayant reçu les clefs d’argent à la porte de la ville des mains du représentant des habitants de Reims, vint dans le carrosse de la Reine et descendit devant le grand portail de l’église. Sa Majesté fut reçue à l’entrée de l’église par Nous, revêtu pontificalement et précédé de notre crosse, assisté des évêques de Beauvais, de Noyon, de notre coadjuteur évêque de Césarée, tous en mêmes habits, et des chanoines de cette grande église, tous en chape de drap d’or. Elle se mit aussitôt à genoux sur un carreau. Nous présentâmes l’eau bénite à Sa Majesté et le texte de l’Evangile porté par un chanoine en habit de diacre. Le Roi levé reçût notre compliment suivant :

Sire, 

En la première et royale entrée que fait Votre Majesté en cette église, qui a engendré la foi, la religion et le culte du vrai Dieu, le roi Clovis dans les eaux vivifiantes du saint et sacré baptême par le ministère du grand saint Rémy, son archevêque, que la vénérable antiquité appelle l’Homme fait et formé par la vertu et la sagesse.

Nous venons au-devant de Votre Majesté parmi les cris et les acclamations de réjouissances publiques de vos peuples et sujets, non seulement pour joindre nos joies à leurs allégresses, mais aussi, pour vous rendre un des plus illustres hommages que puisse recevoir la couronne que nous espérons avoir l’honneur de mettre au premier jour sur votre tête royale, désignée par le ciel pour porter le diadème des Français, pour la gloire de ce grand et florissant empire.

Nous nous présentons, Sire, devant Votre Majesté, en ce jour désiré si ardemment par nos cœurs, jour dont l’agréable lumière ravit nos yeux et réjouit nos esprits, par l’espérance qu’ils conçoivent de voir retourner bientôt l’entier et ancien bonheur. Nous venons, dis-je, Sire, devant Votre Majesté, en cette auguste et sainte solennité, accompagné de ce religieux et célèbre clergé, revêtu des ornements les plus magnifiques que les rois Très-Chrétiens vos prédécesseurs n’aient jamais donné à cette Eglise, comme les marques les plus expresses de l’amour qu’ils ont eu pour l’ornement et la décoration de ce saint Temple et du service de la Maison de Dieu, qui font régner heureusement les bons rois, dont ils tiennent les cœurs en ses mains.

Ce n’est pas, Sire, pour faire état de notre autorité, étant les oints du Seigneur que nous venons au-devant de Votre Majesté, dans ce magnifique apparat. Mais au contraire, nous nous présentons avec ces riches ornements, pour faire connaître aux princes, aux grands de votre royaume, et à tous vos peuples et sujets, qui affluent de toutes parts à cette glorieuse et sainte solennité de votre sacre que, où est Votre Majesté, toutes autres puissances doivent s’humilier pour rendre leurs devoirs, respects et soumissions.

Sire, qui devez être fait l’oint du Seigneur, le Fils du Très-Haut, le Pasteur des Peuples, le bras droit de l’Eglise, le premier des Rois de la Terre ; qui a été choisi et donné par le ciel pour porter le sceptre des Français, pour étendre l’honneur et l’odeur de vos lys, dont la gloire surpasse de beaucoup celle de Salomon, d’un pôle à l’autre, d’un soleil jusqu’à l’autre, faisant de la France un univers et de l’univers une France.

Soyez donc, Sire, le très bienvenu au Nom du Seigneur en cette Ville. Soyez le très bien reçu en cette Eglise, qui a l’honneur de tenir en ses mains le diadème de votre royaume, pour y recevoir par notre ministère,  la sainte Onction sur votre tête, comme marque de la plénitude de votre puissance ; recevoir en vos mains sacrées le sceptre royal, symbole de votre absolue autorité ; la main  de Justice qui montre que vous êtes ministre de celle de Dieu ; le Diadème d’honneur, de votre gloire et de votre majesté ; vous asseoir sur le trône des rois vos prédécesseurs et de votre très-honoré père. Avec les sages conseils de la Reine Très-Chrétienne, votre mère, qui n’a point sa semblable en piété et en vertu, usez du Sceptre de cette monarchie avec abondance de justice et de paix, pour les siècles à venir.

Ainsi, Sire, vous voyez tous ls ordres de ce grand et florissant royaume, joindre leurs vœux pour bénir votre nom, unir leurs désirs pour fortifier leur fidèle affection à votre service.

Et quant à Nous, Sire, qui ne cherchons dans notre condition et le ministère auquel la grâce et l’élection du ciel nous a appelé, qu’à bien et fidèlement servir, après Dieu, nos rois, vous voyant élevé et assis en ce Trône qui affermit votre règne, vous consacrons pour toujours, comme nous faisons à présent nos cœurs, nos affections et nos vies, comme agréables victimes de notre très humble obéissance, pour demeurer à toujours vos très humbles, très fidèles et très obéissants serviteurs et sujets.

Alors, le chantre de ladite église commença le chant Ecce ego mitto, qui fut continué par les musiciens, le clergé entrant en ordre processionnel. Le Roi marchant le dernier après les évêques, fut conduit sur un marchepied préparé devant le grand autel, la Reine auprès du Roi, Monsieur devant elle, et nous sur le degré [NDT : les marches] de l’autel. L’antienne, Beata Dei genitrix fut chantée. Ensuite le Te Deum, en musique, pendant que les canons et les salves de plus de huit mille hommes faisaient un autre concert, qu’on entendait de bien loin.

Nous achevâmes enfin par les oraisons suivantes : Ora pro nobis sancta Dei genitrix, Domine salvum fac Regem, Deus qui scis genus humanum, Concede nos, Quafumus omnipotens Deus

Les prières finies et notre bénédiction donnée, le Roi se retira au palais archiépiscopal, paré des plus riches ornements de la couronne.

Le vendredi 5 juin, lendemain de la fête du Très Saint Sacrement, fut remontré à sa Majesté. Messieurs les archevêques de Bourges et de Rouen voulaient précéder les évêques de la province de Reims, à cause de l’absence de Messieurs les évêques de Laon et de Langres.

Le Roi en son Conseil, ordonna que Messieurs les évêques de ladite province, précéderaient Messieurs les archevêques de Bourges et de Rouen en la façon suivante : à savoir, Monseigneur l’évêque et le comte de Beauvais représenterait Monseigneur l’évêque de Laon. Monseigneur l’évêque et le comte de Châlons représenterait Monseigneur l’évêque de Langres. Monseigneur l’évêque et comte de Noyon représenterait Monseigneur l’évêque et comte de Beauvais. Monseigneur l’archevêque de Bourges représenterait Monseigneur l’évêque de Châlons. Monseigneur l’archevêque de Rouen représenterait Monseigneur l’évêque et le comte de Noyon. Ainsi qu’ils furent appelés par Monseigneur le Chancelier le jour du sacre par l’ordre de Sa Majesté, pour soutenir la couronne avec Nous et pour le couronner.

Le samedi 6 juin, veille du Sacre, le Roi assista aux premières Vêpres, qui furent chantées en l’église de Reims par les deux musiques, où nous officiâmes pontificalement, ayant pris la première chaise, les évêques assistants de part et d’autre.

Le dimanche 7 juin, jour auquel se devait faire cette sainte cérémonie du Sacre. Nous nous transportâmes avec les prélats qui devaient officier dans le cœur avec les chanoines et habitués [NDT : prêtres moins en vus], sur les 4 heures et demie du matin. Après nous être revêtu de notre tunique et ayant l’étole, la chape, avec notre mitre et notre crosse, nous arrivâmes devant l’autel en cet ordre, accompagné du chantre et sous-chantre en chape, des évêques qui devaient assister à cette cérémonie sacrée en ordre de procession. Nous marchâmes le dernier, précédé de notre crosse, assisté de deux chanoines de Reims en chape déléguez par le Chapitre. Après avoir fait la révérence à l’autel, nous nous mîmes dans la chaise qui nous avait été réservée, ayant le visage tourné vers le chœur. Les pairs ecclésiastiques se mirent aussi en leurs séances, le chantre et sous-chantre dans leurs chaises au chœur. Vers les 5h30, chacun ayant pris séances, les pairs tant ecclésiastiques que laïcs, s’approchent de Nous et, leur ayant demandé s’ils trouveraient bon de mandater les évêques et comtes de Beauvais et Châlons, représentants les évêques duc de Laon et Langres pour aller quérir le Roi, à quoi ils consentirent tous. Les deux évêques, portant les saintes Reliques, partirent en procession, précédé du clergé et des maîtres des cérémonies, marchant les derniers.

Le Roi fut conduit à l’église selon l’ordre accoutumé. Entré dans le chœur et s’étant avancé près le grand autel, il nous fut présenté par lesdits évêques. Nous étant levé de notre chaise et le Roi se mettant à genoux, tête nue, nous chantâmes l’oraison suivante : Omnipotens Deus calestium moderator. L’oraison finie, le roi fut conduit par les évêques de Beauvais et de Châlons sous son dais [NDT : élément d’architecture sculpté couvrant un trône par exemple] vis-à-vis de notre chaise. Le connétable et les autres ayant pris places, nous présentâmes l’eau bénite au Roi et à toute l’assemblée. Aussitôt, nous commençâmes le Veni créator, qui fut chanté par la musique du Roi et, ensuite, l’on commença Tierce [NDT : prière chrétienne de la troisième heure du jour (9h du matin) dans la Liturgie des Heures], qui fut achevée par celui des chanoines qui qui était en semaine.

Ayant été averti de l’arrivée de la sainte Ampoule, précédé des chanoines en pareil ordre qu’ils étaient allés quérir le Roi au Palais et des évêques d’Amiens, de Senlis et de Césarée, tous en mitre, nous avançâmes jusqu’au bout de la nef proche du grand portail, où le Grand Prieur nous attendait sous soin dais. Il nous présenta la Sainte Ampoule et dit :


Monseigneur,


Je mets entre vos mains ce précieux Trésor, envoyé du ciel au grand saint Rémy pour le sacre de Clovis et des rois ses successeurs. Mais auparavant je vous supplie, selon l’ancienne coutume, de vous obliger à me le remettre entre les mains, après que le sacre de notre grand Roi Louis XIV, sera fait.


Ce que nous lui promîmes en parole de prélat, ledit grand Prieur nous mit la sainte Ampoule entre les mains. A l’instant, le chantre commença l’Antienne [NDT : Refrain liturgique repris par le chœur entre chaque verset d'un psaume] O pretiosum munus, pendant que le clergé rentra dans le chœur en pareil ordre qu’il en était sorti et, nous portâmes la Sainte Ampoule sur l’autel, le Roi et toute l’assistance la saluant avec grand respect. L’Antienne achevée, ayant quitté notre mire ; nous chantâmes l’oraison suivante, Omnipotens sempiterne Deus. Après quoi on commença Sexte [NDT : prière chrétienne de la sixième heure du jour (Midi) dans la Liturgie des Heures], qui fut achevée par le Semainier. Nous étant retiré dans la sacristie préparée derrière le grand autel, nous nous revêtîmes de chasuble, nous entrâmes à l’autel précédé de douze chanoines, diacres et sous-diacres, précédents et assistants, revêtus de tuniques et de dalmatique [NDT : blouse en laine de Dalmatie], de notre porte-crosse, assisté de deux chanoines en chape.

Ayant fait la révérence à l’autel et au Roi, nous nous assîmes sur notre chaise devant l’autel, les évêques d’Amiens et de Senlis étant demeuré sur leurs siège à nos côtés.


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Aussitôt après, nous étant approché du Roi, nous lui fîmes la requête suivante pour toutes les églises qui lui sont sujette en ces termes : A vobis perdonari petimus. A quoi le Roi, sans se lever de son siège, la tête couverte nous dit ces mots : Promitto vobis. Le Roi ayant fait cette promesse, nous prîmes encore de lui le serment du royaume que Sa Majesté fit, étant assise tête couverte et posant la main sur l’Evangile, disant : Hac populo Christiano. Après que le Roi eut fait ce serment, il prêta encore celui de l’Ordre du saint Esprit.

Tout cela fait, nous nous assîmes sur notre chaise. Le Roi fut conduit devant nous par les évêques de Beauvais et de Châlons. Là, debout, le comte de Vivonne premier gentilhomme de sa Chambre, lui ôta la robe longue de toile d’argent. Ensuite nous dîmes les prières suivantes, le Roi debout. Adjutorium. Sit nomen Domini. Dominus vobiscum. Deus inenarrabilis. Ayant fini les prières, le Roi s’assit sur un fauteuil qui fut apporté devant notre chaise. Le grand chambellan lui chauffa les bottines et le duc de Bourgogne lui mit les éperons apportés de Saint Denis. Puis, le Roi s’étant levé, nous fîmes la bénédiction de l’Epée de Charlemagne dans son fourreau, en cette manière : Exaudi quasumus Domine. La bénédiction faite, nous la ceignîmes au Roy par dessus sa camisole et la lui ôtâmes en même temps. Puis l’ayant tirée du fourreau que nous laissâmes sur l’autel ; nous la mîmes toute nue entre les mains de Sa Majesté, disant : Accipe gladium hunc cum et pendant cela le chœur chantait l’antienne : Confortare esto vir. Après quoi nous dîmes l’oraison Deus qui providentia. L’oraison finie, Sa Majesté baisa l’Epée et l’offrit à Dieu, la posant sur l’autel, où nous reprîmes et la remîmes encore entre les mains du Roi, qui la reçût à genoux et la déposa en celles du connétable. Pendant le Sacre, sa Majesté demeurant à genoux, nous dîmes les oraisons suivantes : Prospice omnipotens Deus, Beedic Domine, Deus Pater aterna.


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Le trois oraisons ci-dessus dites, nous retournâmes à l’autel pour préparer la sainte Onction en la manière suivante. Premièrement nous mîmes la patène [NDT : petite assiette sur laquelle repose l’hostie principale] d’or du Calice de Saint Rémy sur le milieu de l’autel. Le Grand Prieur de Saint Rémy ayant reçu la chasse [NDT : coffret contenant des reliques] contenant la sainte Ampoule, en fit l’ouverture et en tira ce sacré présent du Ciel qu’il mit entre les mains de l’évêque d’Amiens officiant diacre. Il nous la donna et nous prîmes du Baume céleste avec une aiguille d’or que l’on nous donna, environ la grosseur d’un grain de froment que nous mîmes sur la patène. Puis, l’ayant rendue au Grand Prieur, nous prîmes du Saint Crème avec une aiguille d’argent que nous mélangeâmes avec nos doigts sur ladite patène, pendant que le chœur chantait : Gentem Francorum. Les répons [NDT : chant alterné entre un chantre soliste et un chœur] et versets finis, étant tourné vers l’autel sans mitre, nous dîmes le verset et l’oraison de saint Rémy.

Après ladite oraison, le Roi se prosterna devant l’autel sur un grand carreau préparé à cet effet, nous à sa droite, pendant que les quatre évêques chantaient les litanies et le chœur ensuite jusqu’au verset, ut hunc prafentem famulum Ludovicum. Nous nous levâmes, la mitre en tête et la crosse dans notre mains gauche, nous dîmes les trois versets, tourné vers le Roi, prosterné devant le chœur, répétant la même chose. Cela fait, nos nous remîmes à notre place, jusqu’à la fin des litanies. Seul debout sans mitre, tourné vers le Roi, nous commençâmes les prières suivantes, Salvium et les prières achevées, étant assis sur notre chaise, le dos tourné vers l’autel avec notre mire, nous dîmes les oraisons suivantes au Roi qui était à genoux devant nous.

Ensuite nous commençâmes la consécration élevant un peu notre voix, disant :  Omnipotens fempiterne Deus. Ensuite nous prîmes avec le pouce de l’Onction sacrée préparée sur la paterne d’or du Calice de Saint Rémy.

Premièrement nous lui fîmes le signe de la croix sur le sommet de la tête, disant : Ungo te in Regem, répétant les mêmes paroles au six Onctions suivantes sur l’estomac, les évêques d’Amiens et de Senlis tenant la chemise ouverte comme aux autres endroits, entre les deux épaules, sur l’épaule droite, sur la gauche, aux plis et jointures du bras droit et du bras gauche. Cela se faisant, on chantait Unxerunt Salomonem et, une fois achevé, nous chantâmes les trois Oraisons suivantes, assis comme auparavant.

Et après cela, aidé des évêques d’Amiens et de Senlis, nous fermâmes les ouvertures de la chemise et camisole du Roi de petits cordons d’or. Ensuite, le Roi levé, fut habillé d’une tunique, d’une dalmatique et du manteau royal de velours violet en broderie d’or. Ainsi, il se mit à genoux devant nous, étant assis et ayant repris la patène, nous fîmes la huitième Onction sur la paume de la main droite et sur celle de la main gauche, disant : Ungantur manus. Cela fait, le Roi ayant les mains jointes devant la poitrine. Nous, debout, sans mitre, dîmes l’oraison, Deus qui es justorum. Nous fîmes ensuite la bénédiction des gans, les aspergeant d’eau bénite. Nous dîmes l’oraison, Omnoptens creator. Cela étant fit, nous lui donnâmes les gans et ensuite fîmes la bénédiction de l’Anneau, disant : Deus totius creatura. Et assis avec notre mitre en tête, mêmes l’anneau au quatrième doigt de la main droite du Roi, avec ces paroles : Accipe Annulum. Puis, ayant quitté la mitre, nous dîmes l’oraison Deus cujus est omnis potestas. Ayant remis notre mitre, nous donnâmes le sceptre à la main droite du roi, disant : Accipe Sceptrum. Puis quittant notre mitre, ajoutâmes cette oraison, Omnipotens Domine. L’oraison finie, ayant repris notre mitre, nous donnâmes aussitôt la main de Justice à la gauche du Roi, disant : Accipe Virgam Virtutis. Cela achevé, le chancelier de France fit la convocation des pairs proche l’autel du côté de l’Evangile, le visage tourné du côté du chœur. La convocation faite, sans quitter notre mitre, ayant pris à deux mains la grande couronne de Charlemagne sur l’autel, et nous la mîmes seul sur la tête du Roi. Aussitôt les pairs y portant la main pour la soutenir, la tenant de la main gauche avec eu, nous dîmes ce qui suit : Coronet te Deus. Et après cette oraison, seul nous posâmes la couronne sur la tête du Roi, disant : Accipe Coronam regni.

Le couronnement fait, debout sans mitre, nous dîmes les oraisons suivantes et les bénédictions. Toutes les oraisons et bénédictions faites, nous prîmes le Roi par le bras droit pour le conduire au Trône dressé au Jubé, précédé de notre crosse, portée par maître Pierre Duflos, où le Roi étant arrivé à son trône, il parut dans ce superbe appareil avec une Majesté si particulière, qu’il ravissait les cœurs des spectateurs. Les pairs et autres ayant pris place, tenant le Roi debout sur le trône, le visage tourné vers l’autel, nous dîmes Sra & retine. Puis nous fîmes asseoir le Roi et, le tenant pas la main nous poursuivîmes : In hoc Regni Solio.

Les prières achevées, ayant quitté notre mitre et fait une profonde révérence au Roi assis sur son trône, l’ayant baisé, nous dîmes tout haut : Vivat Rex in aternum. A ces mots, les portes de l’Eglise furent ouvertes, secondé de tous les pairs ecclésiastiques et laïcs, sans oublier tous les peuples, tant de dedans que du dehors. Après quoi nous retournâmes seul précédé de notre crosse à l’autel pour commencer le Te Deum, qui fut continué par la musique du Roi.

Le Te Deum fini, nous commençâmes la messe de l’octave du Très-Saint Sacrement. Etant parvenu à l’oblation, nous ayant tourné pour l’offrande, le Roi descendit du trône en pareil ordre qu’il y était monté. Arrivé devant le grand autel, étant assis sur notre chaise au milieu de l’autel, le Roi à genoux devant nous sur un carreau, le marquis de Souvré présenta la bourse au Roi, qui après avoir baisé notre main nous la donna. Puis le marquis de Sourdis présenta de la même façon le pain d’or, ensuite le comte d’Orval le pain d’argent et le duc de Saint Simon finalement le vase d’argent, baisant à chaque fois notre main en donnant l’offrande, toutes lesquelles nous donnâmes à l’Eglise de Reims (sauf quelques-unes des médailles que nous nous réservâmes pour quelques considérations) en pur don, comme une marque de notre libéralité très-grande.

L’offrande faite et le Roi ayant repris le sceptre et la main de Justice, il remonta sur son trône en pareil ordre qu’il en était sorti. Nous achevâmes la messe jusqu’au Pax Domini exclusivement, que nous donnâmes la bénédiction convenable aux messes solennelles et achevâmes la messe en la manière accoutumée.

La messe finie, le Roi descendit de son trône pour la communion. S’étant réconcilié sous un pavillon dressé exprès proche le côté de l’Evangile, il se mit à genoux sur un carreau devant le grand autel. Après avoir dit Confiteor, nous lui donnâmes l’absolution. Ensuite, nous le communiâmes d’une petite hostie que nous avions consacrée et aussi du précieux sang de Notre Seigneur que nous avions réservé dans le même Calice d’or de Saint Rémy, duquel nous nous étions servis à la messe. Après avoir purifié le Calice, le Roi s’étant levé après so, action de grâces, nous lui ôtâmes la grande couronne de Charlemagne, lui en donnant une autre plus légère enrichie de diamants, de perles et de pierreries de prix inestimable. Précédé des Officiers de la Maison royale et nous de notre crosse, accompagné de deux chanoines en chape seulement, nous accompagnâmes le Roy, le tenant toujours par le bras droit, jusqu’à la salle du palais archiépiscopal, au milieu des acclamations et des cris de joie de tous les peuples, criants : Vive le Roi.


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Le Roi étant de retour, ne se mit à table qu’une demi-heure après qu’il fut arrivé de l’Eglise dans la chambre d’où il sortit avec les mêmes habits, la couronne sur la tête, portant le sceptre et la main de Justice. L’ayant conduit à sa table et fait la bénédiction, nous prîmes notre place à la table des pairs ecclésiastiques, tenant le premier rang, revêtu pontificalement en chape avec la mitre avec notre crosse près de nous et les deux assistants en chape seulement pour notre service.

Après que le Roi eut diné, nous nous avançâmes vers lui pour dire les grâces. Ensuite Sa Majesté ayant repris le sceptre et la main de Justice, précédé des pairs et autres ci-dessus, fut conduit dans sa chambre avec le même ordre que nous l’avions amenée de l’Eglise. De là nous retournâmes avec les pairs ecclésiastiques à l’église quitter nos habits pontificaux.

Le lundi 8 juin, le Roi nous envoya le matin M. de Lionne pour nous avertir qu’il désirait recevoir de notre main l’Ordre du Saint Esprit, après diner, dans l’église Notre-Dame de Reims où, nous étant rendu, nous le lui donnâmes.


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L’après diner de ce même jour, Messieurs les cardinaux et prélats en camail [NST : courte pélerine couvrant les épaules et portée sur la soutane] et rochet [NDT : vêtement en forme d’aube mais plus courte], le chancelier, les conseillers et secrétaires d’état, et autres seigneurs qui avaient assisté au sacre, ayant pris les séances, Sa Majesté vint à l’église Notre-Dame, où Elle reçût de nous l’Ordre et ensuite le donna à Monsieur avec les cérémonies accoutumées et suivantes.

Les vêpres [NDT : Office divin célébrée le soir] ayant été chantées par les musiciens de Sa Majesté (…) le Roi précédé de tous les chevaliers et officiers de l’ordre, approcha de l’autel. S’étant mis sur un marchepied de velours verts en broderie de flamme d’or, sous un dais de même couleur, nous lui donnâmes le cordon bleu et le fîmes chevalier de l’Ordre. Pendant cette cérémonie le Veni creator fut chanté par la musique du Roi. Les complies [NDT : dernière prière chrétienne du jour (après coucher du soleil)] furent chantées par les deux chœurs de musique, lesquelles finies, Sa Majesté retourna au Palais en même ordre qu’Elle en était partie. 

Fait dans notre palais épiscopal, (…) ayant pris pour secrétaire Maitre Claude Driencourt étant présent à ladite cérémonie, signée de notre main, le 22 juin 1654. »





Avertissement : J’ai transcrit, afin d’en faciliter la compréhension, ce texte rédigé en français du XVIIème siècle, en français moderne. Pour conserver le caractère personnel du texte, je laisse notre auteur s’exprimer à la première personne du pluriel. Pour ne pas dénaturer le texte, les temps de conjugaison d’origine ont été respectés. La ponctuation a fait l’objet d’un travail important de restructuration sans pour autant remettre en cause le sens du procès-verbal.

[NDT] : Note du transcripteur.

Laurent Sailly, le 6 juin 2018.