20 mai 1834: Lafayette, le "héros des deux mondes"

Les jugements tranchés des contemporains ont longtemps inhibé les historiens devant la figure du " héros des deux mondes "; longtemps aussi la dispersion des papiers relatifs à un homme qui a beaucoup écrit et s'est énormément raconté a empêché tout travail vraiment scientifique (les Américains, en 1977, en ont entrepris une publication systématique). Last but not least, les idéologies enfermant la Révolution et ses acteurs dans des schémas simplistes ont mis deux siècles à voler en éclats. Comment s'étonner de n'avoir disposé jusqu'à présent sur la vie de La Fayette que de chroniques plutôt que de biographies donnant les véritables clefs de son rôle historique? On le sait, il a " fait l'événement " à quatre reprises au moins: indépendance américaine, préparation et déclenchement de la Révolution, déchéance de Napoléon, établissement de la monarchie de Juillet. Mais surtout il a tenté de donner aux idées des Lumières une incarnation modérée, " possibiliste ", et c'est elle qui, par-delà son échec immédiat, l'a emporté: la Constitution efficace qu'il prône en 1790-91 n'est après tout pas très éloignée de celle de... 1958, et son combat pour la régionalisation et la décentralisation administrative a triomphé... en 1982. Ces deux points relèvent d'ailleurs d'une conception plus large de la liberté, qui n'a rien perdu de son actualité: émancipation des esclaves, libération des peuples opprimés, absence de l'Etat en économie. Aux yeux des hommes du XXe siècle finissant, la générosité, l'ardeur, l'honnêteté morale de La Fayette rachètent au centuple sa vanité, sa naïveté, son défaut de lucidité politique et de jugement sur les hommes. Plus que jamais, il demeure une statue du Commandeur, une conscience de la Liberté, et son prestige, déjà grand au XIXe siècle, n'a cessé de s'accroître aujourd'hui.


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« Lafayette » meurt le 20 mai 1834, dans sa 77e année (né le 6 septembre 1757 au château de Chavaniac, actuellement Chavaniac-Lafayette dans la Haute-Loire), d’une pneumonie aiguë, dont il avait contracté le germe aux obsèques de Dulong. Noble d'orientation libérale, officier et homme politique français, nommé général par George Washington, Lafayette a joué un rôle décisif aux côtés des Américains dans leur guerre d'indépendance contre le pouvoir colonial britannique et en particulier lors de la victoire de Yorktown le 19 octobre 1781. Il est l'un des huit citoyens d'honneur des États-Unis d'Amérique.

Marie-Joseph Paul Yves Roch Gilbert du Motier, marquis de La Fayette, il est orphelin de père (colonel aux Grenadiers de France, tué à l’âge de vingt-cinq ans, à la bataille de Minden, le 1er août 1759) alors qu’il n’a pas encore deux ans. Sa mère, Marie Louise Julie de La Rivière, d'une riche et noble famille de Saint-Brieuc, née en 1737, se retire à Paris au Palais du Luxembourg. Elle meurt en 1770, Lafayette se trouve seul héritier de la fortune de son grand-père maternel, le marquis de La Rivière, qui lui laisse une rente de 25 000 livres. À la même époque un autre oncle meurt, lui laissant un revenu annuel de 120 000 livres ; ces 145 000 livres de revenu font de lui un des hommes les plus riches de France. Il a 13 ans. Son arrière-grand-père, le comte de La Rivière, ancien lieutenant général des Armées du Roi, le fait venir à Paris pour son éducation. Il étudie d’abord au collège du Plessis (actuel lycée Louis-le-Grand) et suit parallèlement une formation d'élève-officier à la compagnie des mousquetaires noirs du roi et des cours à l'Académie militaire de Versailles. Le 11 avril 1774, à 17 ans il épouse Marie Adrienne Françoise de Noailles (1759-1807), fille du duc d'Ayen, dotée de 200 000 livres. Elle lui donnera un fils et trois filles.

Les Noailles, apparentés à Madame de Maintenon, sont une des plus anciennes familles de la Cour de France ; Lafayette est présenté à Versailles, dès le printemps 1774. Il choisit alors de poursuivre une carrière militaire et entre dans la Maison militaire du roi. Séduit par les idées des Lumières, les droits de l’homme, la révolution américaine, le jeune capitaine se fait réformer de l'armée le 11 juin 1776 puis, grâce au soutien du comte de Broglie, pour s’engager le 7 décembre 1776 dans l'armée « américaine ». Le comte de Broglie, chef du « cabinet secret » de Louis XV qui souhaite aider discrètement les Insurgents contre la Couronne britannique, lui fait financer secrètement l'achat de La Victoire, un navire de 200 tonneaux, avec seulement 2 canons, trente hommes d’équipage et comme cargaison 5 à 6 000 fusils. Lafayette s’embarque le 26 avril 1777, et arrive à Georgetown le 15 juin.

Il rencontre George Washington le 1er août 1777. Il est affecté à son état-major comme aide de camp avec le titre de major général et participe aux combats dès l’été. Il reçoit une balle à la jambe à la bataille de Brandywine, le 11 septembre 1777. Il se distingue encore à la bataille de Monmouth (28 juin 1778) et prend part à plusieurs engagements militaires dont l’heureux dénouement tiendra, en grande partie, à sa perspicacité. Son retour en France, en 1779, est triomphal.

Lafayette obtient du roi l’envoi, outre Atlantique, d’un corps d’environ 6000 hommes commandé par le général Rochambeau. Les deux hommes mènent une campagne qui oblige Cornwalls, encerclé dans Yorktown, à capituler le 17 octobre 1781. Cette victoire devait aboutir, ni plus ni moins, à l’indépendance des Etats-Unis.

Rentré en France en janvier 1785, Lafayette parcourt l’Europe entière et nourrit avec Washington une correspondance importante. En mars 1789, il est élu député de la noblesse aux Etats généraux, malgré un esprit libéral qui lui vaut les froideurs de la famille royale.

Avec Brissot, il crée la Société des amis des Noirs ; le 11 juillet 1789, il présente un projet de Déclaration européenne des droits de l’homme et du citoyen ; le 13 il est vice-président de l’Assemblée ; le 15 il commande la garde nationale de Paris ; le 17 il propose à ses troupes le port de la cocarde tricolore.

Mais, lieutenant général du royaume en juin 1791, ayant « défendu » le château de Versailles en octobre 1789, ayant prêté serment à la Nation, à la Loi et au Roi lors de la fête de la Fédération, il fait tirer sur la foule rassemblée au Champs-de-Mars le 17 juillet 1791 et devra démissionner au moment de la séparation de l’Assemblée constituante (8 octobre 1791).

Lafayette ne sera pas le « Washington français ». Il se retire en Auvergne où on lui confie le commandement de l’armée du Centre.

Ayant pris, avec beaucoup de courage, la défense du Roi au lendemain des journées de Juin et Août 1792, il passe la frontière avec une partie de son état-major. Mais considéré comme un des investigateurs de la Révolution, il est arrêté et incarcéré pendant cinq ans, à l forteresse d’Olmütz en Moravie. Sa femme, Adrienne, et ses deux filles viendront partager sa captivité. Il recouvre la liberté en 1797 par une disposition expresse du traité de Campoformio.

A l’annonce du coup d’état du 18-Brumaire, il rentre en France, refuse le poste d’ambassadeur aux Etats-Unis. Retiré dans son domaine de La Roche-Blesneau (Seine-et-Marne) d’où il assiste à l’épopée impériale.

Il soutient Louis XVIII lors de la première restauration mais, il épouse la cause de l’Empereur à son retour de l’île d’Elbe. Toutefois, il contribuera, avec d’autres, à la déchéance de Napoléon le 22 juin 1815. Député de la Sarthe en 1818, puis de la Seine en 1827 après un séjour aux Etats-Unis. Commandant de la garde nationale après la révolution des Trois Glorieuses, il démissionne suite à un différend avec le roi Louis-Philippe. En décembre 1830, il est réélu député de Seine-et-Marne. Il meurt en cours de mandat et est inhumé au cimetière de Picpus.