18 avril 1909 : Jeanne Darc, héroïne nationale et Jeanne d’Arc, sainte catholique, unit les deux Frances.
Honorée
de son vivant par le petit peuple, Jeanne d'Arc a dû cependant
attendre plusieurs siècles avant d'être un « objet » de concurrence
entre les républicaines et religieuses.
« Après la défaite de
1870, en France, le Moyen Age envahit la place publique, l’école et le foyer familial
pour répondre aux exigences de la Revanche et, surtout, légitimer les combats
politiques et religieux qui scandent la vie de la IIIème République. L’âpreté
de ces « batailles pour la mémoire » médiévale est du reste bien résumées
par les controverses autour du destin de Jeanne la Pucelle. Pour la gauche, Jeanne
Darc – cette orthographe valorisant
son origine populaire qui en fait la sœur de Jacques Bonhomme – demeure la
fille du peuple, l’incarnation vivante de la nation, la martyre de son indépendance,
la fondatrice de son unité, et bien sûr la victime symbolique de l’Eglise, son
supplice constituant la preuve la plus accablante de l’imposture de cette
institution criminelle et barbare. Les catholiques saluent au contraire dans l’épopée
de Jeanne d’Arc – la grande Française,
la grande Chrétienne, la grande Sainte, selon les prédicateurs – le témoignage
le plus éclatant du soutien indéfectible que la divine Providence apporte à la « fille
aînée de l’Eglise », promotrice des croisades, ces Gesta Dei per Francos (« hauts faits de Dieu par l’intermédiaire
des Francs »). Dans cette perspective surnaturelle, les catholiques
confèrent à Jeanne une dimension quasi christologique : de même que Jésus
est mort sur la croix pour racheter les péchés des hommes, Jeanne fut brûlée à
Rouen pour racheter les sacrilèges et les forfaits de Philippe le Bel – l’attentat
d’Anagni contre Boniface VIII en 1303 – et d’Isabeau de Bavière : le « honteux »
traité de Troyes de 1420.
L’impuissance du parlementaire
républicain Joseph Fabre à faire adopter par la Chambre des députés, en 1884, puis
par le Sénat, en 1894, le 8 mai comme fête nationale illustre jusqu’à la
caricature les divisions que l’héroïne lorraine suscite dans la société française
entre 1880 et 1914. De son côté, l’Eglise proclame Jeanne Vénérable en 1894 et
Bienheureuse en 1909. Certes, le Parlement consacre, en 1920, le 8 mai au
souvenir national de l’héroïne, l’année même où Rome la place sur les autels,
mais cette loin est l’œuvre de la Cambre « bleu horizon », élue en
1919 et dominé par le Bloc national, rassemblement des droites modérées.
Les manuels scolaires des
deux écoles rivales, celle des « Hussards noirs de la République » et
celle des Frères, ont du reste contribué à diffuser dans la France profonde
deux interprétations conflictuelles du Moyen Age. Ceux des écoles confessionnelles
valorisent les temps forts de la Chrétienté (…). Ceux des écoles laïques
exhument du passé médiéval tous les événements annonciateurs de la grande Révolution
française (…).
Toutefois, malgré ces querelles
de famille, il existe aussi, sous la IIIème République, un Moyen-Age
patriotique et national susceptible de réconcilier les deux Frances (…). »
TEXTE DE CHRISTIAN AMALVI
P.793-795 in Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval.
Jeanne
au siège d'Orléans, vers 1886-1890. Panthéon de Paris. Par Jules Eugène Lenepveu (1819 – 1898) —
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http://194.165.231.32/hemma/mathias/jeannedarc/lenepveu2.jpg, Domaine public.
Jeanne d'Arc - N.M. Dyudin
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