8 juin 1637 : Descartes nous livre sa méthode... et le doute s'installe

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Le Discours de la méthode a été écrit par Descartes quelques années après le procès de Galilée (juin 1633), qui avait été condamné par l'Église à cause de son ouvrage Dialogue sur les deux grands systèmes du monde. Descartes avait écrit en 1632-1633 un Traité du monde et de la lumière dans lequel il défendait la thèse de l'héliocentrisme. Il préfère ne pas publier cet ouvrage, mais ne renonce pas totalement et décide finalement de le présenter sous une autre forme et de le publier anonymement. Le texte publié le 8 juin 1637 se compose de : La Dioptrique, les Météores, La Géométrie, accompagnés d'une préface, le Discours de la méthode. Descartes sera rapidement identifié comme en étant l'auteur par les intellectuels de la république des lettres de l'époque.

Ce discours marque une rupture avec la tradition scolastique, jugée trop « spéculative » par Descartes, et se présente plutôt comme un plaidoyer pour une nouvelle fondation des sciences, sur des bases plus solides, et en faveur du progrès des techniques. Il a été rédigé directement en français, langue vulgaire, Descartes voulant par-là s’opposer à la tradition scolastique (qui avait pour habitude d’écrire en latin) et s’adresser à un public plus large que les savants et les théologiens. Il souhaitait « être compris des femmes et des enfants ».

Dans ce discours, Descartes expose son parcours intellectuel de façon rétrospective, depuis son regard critique porté sur les enseignements qu'il avait reçus à l'école, jusqu'à sa fondation d'une philosophie nouvelle quelques années plus tard. Il y propose aussi une méthode (composée de quatre règles) pour éviter l'erreur, et y développe une philosophie du doute, visant à reconstruire le savoir sur des fondements certains. 

Je vous encourage à lire ou relire dans son intégralité le Discours de la méthode, ouvrage fondateur de la philosophie moderne (et qui a l'avantage d'être rapidement lu).

1.      Le bon sens

Descartes ouvre le Discours de la Méthode en partant de ce constat simple : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont. »

Descartes s'explique avec un exemple : quelqu'un qui avancerait lentement, mais dans le bon chemin, irait bien plus loin que quelqu'un qui avancerait rapidement, mais en s'éloignant du chemin, « car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien. »

Il liste autant de domaines de connaissance qui trouvent une application dans la réalité, et voit comment ils peuvent être bénéfiques. Descartes cite en quelque sorte toutes les vertus des connaissances qu'il a reçues, avant d'écarter ces mêmes connaissances par le doute :

« Je savais que les langues, qu'on y apprend, sont nécessaires pour l'intelligence des livres anciens ; que la gentillesse des fables réveille l'esprit ; que les actions mémorables des histoires le relèvent, et qu'étant lues avec discrétion, elles aident à former le jugement ; que la lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés, qui en ont été les auteurs, et même une conversation étudiée, en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées ; que l'éloquence a des forces et des beautés incomparables ; que la poésie a des délicatesses et des douceurs très ravissantes ; que les mathématiques ont des inventions très subtiles, et qui peuvent beaucoup espérer, tant à contenter les curieux qu'à faciliter tous les arts, et diminuer le travail des hommes ; que les écrits qui traitent des mœurs contiennent plusieurs enseignements et plusieurs exhortations à la vertu qui sont fort utiles ; que la théologie enseigne à gagner le ciel ; que la philosophie, donne moyen de parler vraisemblablement de toutes choses, et se faire admirer des moins savants [NDLR : allusion ironique contre ceux qui veulent paraître brillants plutôt que chercher la vérité]; que la jurisprudence, la médecine et des autres sciences, apportent des honneurs et des richesses à ceux qui les cultivent ; et enfin, qu'il est bon de les avoir toutes examinées, même les plus superstitieuses et les plus fausses, afin de connaître leur juste valeur, et se garder d'en être trompé. » Cette phrase est célèbre dans l'œuvre de Descartes, c'est pourquoi je l’ai reproduite dans son ensemble. 

2.     Les 4 préceptes de recherches

« Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connaisse évidemment être telle. »

« Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de parcelles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre. »

« Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés. »

« Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre. »

3.     « Une morale par provision »

Descartes a décidé de douter de tout, tant qu'il n'aurait pas une certitude. Mais il est conscient que cette démarche prend du temps. C'est pourquoi, en attendant d'atteindre une certitude, « afin que je ne demeurasse point irrésolu en mes actions, pendant que la raison m'obligerait de l'être en mes jugements, et que je ne laissasse pas de vivre dès lors le plus heureusement que je pourrais, je me formai une morale par provision ». Cette morale par provision doit lui permettre de continuer à vivre heureusement tout le temps qu'il lui faudra pendant qu'il met à l'œuvre sa méthode du doute. 

Cette morale par provision, Descartes la définit par trois maximes et une formule.

« La première était d'obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en laquelle Dieu m'a fait la grâce d'être instruit. » Pour suivre cette morale par provision, il s'agit de vivre comme les autres membres de la société, comme ce qui paraît être normal à l'époque, et surtout ce qui est modéré. L'excès est souvent considéré comme mauvais ; Descartes choisit donc de vivre selon des opinions modérées. Il veut ainsi suivre les opinions des "mieux sensés" de la société dans laquelle il vit.

« Ma seconde maxime était d'être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais » Descartes prend ici un exemple : il vaut mieux, lorsque l'on est égaré dans une forêt, marcher franchement dans une même direction, plutôt que d'hésiter et d'errer. Et lors de cette morale par provision, mieux vaut suivre les opinions les plus probables : "lorsqu'il n'est pas en notre pouvoir de discerner les plus vraies opinions, nous devons suivre les plus probables".

« Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune » Descartes choisit de changer ses propres pensées, ses propres désirs, plutôt que d'essayer vainement de changer le cours du monde. Il rejoint ainsi une longue tradition philosophique, et fait de "nécessité vertu". Dans cette morale par provision, et pour être content, il ne faut pas désirer quelque chose sur lequel on n'a pas de pouvoir.

« tout mon dessein ne tendait qu'à m'assurer, et à rejeter la terre mouvante et le sable, pour trouver le roc ou l'argile. » C'est par cette formule que Descartes s'oppose lui-même aux sceptiques, notamment du XVIe siècle. Pour lui, les sceptiques "ne doutent que pour douter" : ils sont irrésolus, ne s'appuient sur rien, et s'enlisent dans cette terre mouvante et ce sable. Descartes lui, grâce à la morale par provision et la méthode du doute, n'a pas d'autre but que de découvrir enfin des certitudes et des vérités, c'est-à-dire du dur sur lequel s'appuyer, tout comme le roc et l'argile.

4.     L’applicabilité de la méthode du doute (et ses limites)

Descartes applique sa méthode du doute. Tout ce sur lequel il a le moindre doute doit être rejeté, pour ne s'appuyer que sur du certain : « [Il fallait] que je rejetasse, comme absolument faux, tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute »

Le doute s'applique ici aux sens, ensuite au raisonnement, et même à l'esprit. Descartes se dit qu'il pourrait bien n'être qu'en train de rêver, ou d'être trompé soit par ses sens soit par sa raison. Il en arrive ainsi à douter de tout : « Ainsi, à cause que nos sens, nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu'il n'y avait aucune chose qui fût telle qu'ils nous la font imaginer. Et parce qu'il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, (...) je rejetai comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavant pour démonstrations. Et enfin, (...) je me résolus de feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées en l'esprit, n'étaient non plus vraies que les illusions de mes songes. »

C'est justement ce doute sur tout et sur lui-même qui lui fait prendre conscience que pour douter, il doit bien exister. Il doit bien être quelque chose pour pouvoir douter : « Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. »

C'est le moment le plus important du Discours de la méthode, car c'est la première vérité que Descartes établit pour sûr. C'est ce premier principe qui lui permet de sortir du doute, de connaître quelque chose de façon certaine, c'est l'objectif qu'il s'était donné. Du fait même qu'il pense, il est certain qu'il existe : « Et remarquant que cette vérité : je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie, que je cherchais. »

Pour en arriver à cette conclusion, Descartes feint n'avoir aucun corps, et pense même qu'il n'y a pas de monde. Tandis qu'il ne peut pas feindre qu'il ne pense pas, il peut feindre qu'il n'a pas de corps et qu'il n'y a pas de monde. Il est donc une substance qui pense. Toute l'essence de cette substance est seulement de penser : « je connus de là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui, pour être, n'a besoin d'aucun lieu, ni ne dépend d'aucune chose matérielle. »

Pour exister, l'âme ne dépend aucunement de ce qui est matériel. En effet, l'âme n'est qu'une substance dont la nature est de penser. Descartes en conclut donc « ce moi, c'est-à-dire l'âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps »

Descartes cherche ce qui désormais lui montrera le vrai du faux. Pour savoir ce qu'il peut considérer comme vrai à l'avenir, il étudie comment il a su que son existence était vraie. Il a su que "je pense donc je suis" était vrai seulement parce qu'il en a eu une idée claire. Ainsi, est vrai ce dont on peut avoir une idée très claire : « Et ayant remarqué qu'il n'y a rien du tout en ceci : je pense, donc je suis, qui m'assure que je dis la vérité, sinon que je vois très clairement que, pour penser, il faut être : je jugeai que je pouvais prendre pour règle générale, que les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement, sont toutes vraies »

Connaître relève d'une plus grande perfection que de douter : « je voyais clairement que c'était une plus grande perfection de connaître que de douter, je m'avisai de chercher d'où j'avais appris à penser à quelque chose de plus parfait que je n'étais » Descartes lui-même ne connaît pas tout. Il s'interroge donc, comment peut-il avoir l'idée de quelque chose d'encore plus parfait que lui ? Qui a mis en lui l'idée qu'il existe quelque chose de plus parfait que lui ? 

C'est ainsi que Descartes montre l'existence de Dieu. L'idée de ce qui est plus parfait vient pour lui nécessairement de ce qui est encore plus parfait : « il restait qu'elle eût été mise en moi par une nature qui fût véritablement plus parfaite que je n'étais, et même qu'il eût en soi toutes les perfections dont je pouvais avoir quelque idée, c'est-à-dire, pour m'expliquer en un mot, qu'il fût Dieu. »

Pour ceux qui ne sont pas encore convaincus de l'existence de Dieu, Descartes ajoute un autre argument. Celui qui ne croit pas en Dieu croit posséder de nombreuses choses : il croit avoir un corps, il croit qu'il existe des astres, qu'il y a un monde. Mais il ne peut pas le prouver : il pourrait très bien être en train de rêver, et ses sens lui faire croire qu'il y a un monde et des astres, alors qu'en fait il n'y en a pas. Selon Descartes, pour être certain de tout cela, ils doivent nécessairement admettre l'existence de Dieu : « Et que les meilleurs esprits y étudient, tant qu'il leur plaira, je ne crois pas qu'ils puissent donner aucune raison qui soit suffisante pour ôter ce doute, s'ils ne présupposent l'existence de Dieu. »

L'existence de Dieu est importante pour Descartes, car elle garantit l'existence de toutes les choses. Pour lui, Dieu étant un être parfait, tout dépend de lui. C'est Dieu qui permet donc aux choses d'exister. Ainsi « les choses que nous concevons très clairement et très distinctement, sont toutes vraies, n'est assuré qu'à cause que Dieu est ou existe, et qu'il est un être parfait, et que tout ce qui est en nous vient de lui. »

Descartes utilise un exemple : quand nous voyons le soleil, on ne doit pas en conclure qu'il a la taille que nous voyons. Et quand nous nous représentons en imagination une chimère, on ne doit pas en conclure qu'il existe bien une chimère dans le monde : « la raison ne nous dicte point que ce que nous voyons ou imaginons ainsi soit véritable ».

Cinquième partie : de l’homme, de l’animal et de la machine

Descartes tient pour certain une opinion admise généralement par les théologiens. Le monde non seulement a dû être créé, mais en plus il doit être maintenu. Dieu est l'auteur de cette création et de ce maintien. Et le maintien du monde est de la même nature que la création du monde : Dieu crée sans cesse pour maintenir le monde : « l'action par laquelle maintenant il le conserve [le monde], est toute la même que celle par laquelle il l'a créé »

Descartes considère que le fonctionnement animal est machinal : « s'il y avait de telles machines, qui eussent les organes et la figure d'un singe, ou de quelque autre animal sans raison, nous n'aurions aucun moyen pour reconnaître qu'elles ne seraient pas en tout de même nature que ces animaux » Cette théorie a été contestée par de nombreux auteurs.

Descartes explique une différence fondamentale qui permettrait de distinguer entre des machines faites à la ressemblance des hommes et des vrais hommes. Un critère déterminant serait le langage : les machines ne pourraient jamais avoir des paroles cohérentes et arrangées dans ce but. En effet, Descartes reconnaît que des machines perfectionnées pourraient reproduire les sons de la parole, mais « jamais elles ne pourraient user de paroles, ni d'autres signes en les composant ».

C'est la seconde différence fondamentale pour reconnaître les vrais hommes des machines. Les machines pourraient être aussi performantes qu'un humain dans un domaine, et même le surpasser en effectuer des gestes plus précis par exemple, mais les machines n'auraient pas de telles performances dans tous les autres domaines et dans toutes les situations de la vie. Il est moralement impossible qu'une machine puisse agir en toutes les occurrences de la vie aussi bien que le permet la raison humaine : « bien qu'elles fissent plusieurs choses aussi bien, ou peut-être mieux qu'aucun de nous, elles manqueraient infailliblement en quelques autres »

De même, le fonctionnement animal est comme une machine. Les différences constatées entre l'homme et la machine sont donc les mêmes entre l'homme et l'animal pour Descartes : « par ces deux mêmes moyens, on peut aussi connaître la différence qui est entre les hommes et les bêtes. » Si bien que pour distinguer l'homme de l'animal, il est possible d'appliquer les deux critères identifiés : les paroles arrangées pour donner du sens en fonction des situations, ainsi que la faculté de s'adapter à toutes les situations de la vie et d'agir en conséquence.

Pour Descartes, tous les hommes sont capables de la parole. En effet, tous les hommes, même les plus défavorisés, handicapés, ou fous, sont aptes à produire des paroles arrangées pour donner du sens. Il n'y a pas besoin de beaucoup de raison pour savoir parler : « c'est une chose bien remarquable, qu'il n'y a point d'hommes si hébétés et si stupides sans en excepter même les insensés, qu'ils ne soient capables d'arranger ensemble diverses paroles »

C'est la preuve, pour Descartes, que les animaux sont dépourvus de raison : « ceci ne témoigne pas seulement que les bêtes ont moins de raison que les hommes, mais qu'elles n'en ont point du tout. » De même, Descartes rejette l'hypothèse selon laquelle les animaux auraient leur propre langage que l'homme ne comprendrait pas, en objectant que si vraiment les animaux avaient leur propre langage, ils pourraient se faire comprendre des hommes, ayant des organes similaires.

Cette formule résume les conclusions de Descartes quant aux animaux, pour savoir s'ils sont doués de raison et ce qui les fait vivre. Pour Descartes, les animaux n'ont aucune raison. Ce qui le montre encore, c'est que si les animaux peuvent être plus efficaces que l'homme dans un certain type d'action, ils ne le sont pas dans toutes les situations et pour toutes les actions. C'est encore là pour Descartes une preuve que les animaux sont dépourvus de raison, et que c'est uniquement « c'est la nature qui agit en eux. »

Sixième partie : de l'intérêt de publier son discours…

Dans cette partie, Descartes rend compte de l'intérêt qu'il aurait ou non à publier le livre du Discours de la Méthode. Dans ses considérations, il commence par rappeler qu’« il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie ». C'est une certaine idée du progrès : le progrès est possible grâce à la connaissance.

Descartes affirme que « nous les pouvons employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. » Il justifie ainsi le progrès de la technique. Il faut cependant bien comprendre ce qu'entend Descartes par se rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Les connaissances pratiques, par exemple les connaissances de la force et des actions du feu, de l'eau, de l'air, et de tous les autres corps, permettent à l'homme d'agir sur l'environnement. Il ne s'agit pas pour autant de devenir véritablement maîtres et possesseurs de la nature. C'est là le rôle de Dieu pour Descartes. Il s'agit seulement de devenir comme maîtres et possesseurs de la nature, c'est-à-dire d'agir sur la nature pour mieux y vivre.

D'abord, Descartes considère les bienfaits que peuvent apporter la technique, ou la mise en application des connaissances. Ce serait faciliter le travail de l'homme, et lui offrir de profiter davantage de la nature. Ensuite, il pose la médecine comme le bien majeur. D'autant que l'esprit dépend de la bonne santé du corps, la médecine permettrait aux hommes de devenir plus sage et plus habile : « Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie »

Descartes se demande alors s'il doit publier ou non le Discours de la Méthode. Publier maintenant l'ouvrage procurerait du bien aux autres, car il serait utile et constituerait un progrès dans la recherche. Cependant, Descartes craint que les controverses provoquées, les oppositions, ne ralentissent son travail futur. Or Descartes s'est justement donné comme objectif de poursuivre sa recherche du savoir, et répondre aux oppositions le gênerait dans cette activité. C'est pourquoi, bien que publier son livre procurerait du bien aux autres, il se demande si le bien ne sera pas plus grand s'il attend encore avant de le publier. Le terme "neveux" signifie ici descendants : « Car, bien qu'il soit vrai que chaque homme est obligé de procurer, autant qu'il est en lui, le bien des autres, et que c'est proprement ne valoir rien que de n'être utile à personne, toutefois il est vrai aussi que nos soins se doivent étendre plus loin que le temps présent, et qu'il est bon d'omettre les choses qui apporteraient peut-être quelque profit à ceux qui vivent, lorsque c'est à dessein d'en faire d'autres qui en apportent davantage à nos neveux. »

Descartes cherche toujours à peser les raisons pour lesquelles il devrait publier ou non le Discours de la Méthode : « je n'ai jamais remarqué non plus que, par le moyen des disputes qui se pratiquent dans les écoles, on ait découvert aucune vérité qu'on ignorât auparavant : car, pendant que chacun tâche de vaincre, on s'exerce bien plus à faire valoir la vraisemblance, qu'à peser les raisons de part et d'autre ; et ceux qui ont été longtemps bons avocats ne sont pas pour cela, par après, meilleurs juges. » Il sait que sa publication entraînerait des controverses, et étudie si ces controverses seraient profitables. Tout en rappelant qu'il n'est pas infaillible, Descartes explique pourquoi de telles controverses n'apporteraient aucun bénéfice. Après avoir observé qu'on lui a rarement fait une objection qu'il n'avait pas lui-même prévue, il pointe dans ce passage le caractère stérile de certains débats. Lors de ces débats en effet, Descartes remarque qu'il s'agit le plus souvent d'avoir l'air d'avoir raison, mais non d'établir la vérité en considérant les raisons de chacun. C'est un travail d'avocat, et non de juge, si bien que le débat n'a pas apporté une nouvelle vérité qu'on ignorait avant. Ainsi, les controverses auxquelles donneraient lieu la publication du Discours de la Méthode n'apporteraient pas de nouvelle vérité, ces controverses n'instruiraient pas davantage.

Pour prolonger le travail du Discours de la Méthode, Descartes considère être le mieux placé : « on ne saurait si bien concevoir une chose, et la rendre sienne, lorsqu'on l'apprend de quelque autre, que lorsqu'on l'invente soi-même. ». Ce n'est pas parce que les autres sont moins intelligents, au contraire il y en a sans doute de plus intelligents, mais c'est parce qu'un concept se connaît le mieux lorsqu'on l'a inventé par soi-même plutôt que lorsqu'on l'a appris de quelqu'un d'autre. Descartes ayant lui-même conçu le Discours de la Méthode, il est le plus à même de poursuivre son travail.

Descartes remarque un fait général : « bien que j'aie souvent expliqué quelques unes de mes opinions à des personnes de très bon esprit (...) ils les ont changées presque toujours en telle sorte que je ne les pouvais plus avouer pour miennes ». Même si sur le moment, les personnes semblent avoir très bien compris ce que voulait dire tel philosophe, il s'avère qu'à la fin les propos sont transformés. Et ils sont tellement transformés qu'en fin de compte ils ne représentent plus du tout les intentions de ce philosophe. Descartes craint d'être victime d'un tel processus, et demande pour l'éviter que les descendants ne tiennent compte que des propos qui leur viennent directement de l'auteur, en l'occurrence seulement les propos de Descartes lui-même.

Descartes critique là par une comparaison les spectateurs qui rapportent mal les propos d'un auteur : « Ils sont comme le lierre, qui ne tend point à monter plus haut que les arbres qui le soutiennent, et même souvent qui redescend, après qu'il est parvenu jusques à leur faite ». Ces spectateurs (le lierre) croient comprendre les propos d'un auteur, croient comprendre l'intention de cet auteur (l'arbre), et commettent la faute de mal utiliser les propos de l'auteur.

Ainsi, ceux qui étudient un auteur, c'est-à-dire les spectateurs, le lierre, prennent les propos de l'auteur pour répondre à d'autres questions auxquelles l'auteur n'a peut-être jamais pensé : « non contents de savoir tout ce qui est intelligiblement expliqué dans leur auteur, veulent, outre cela, y trouver la solution de plusieurs difficultés dont il ne dit rien et auxquelles il n'a peut-être jamais pensé. » C'est une explication de la comparaison avec le lierre. Ces spectateurs assimilés au lierre, alors qu'ils semblaient avoir atteint les idées de l'auteur, de l'arbre, ne font finalement que redescendre, car ils galvaudent les propos de l'auteur.

Descartes avance encore des arguments qui l'inciteraient à ne pas publier le Discours de la Méthode : « s'ils veulent savoir parler de toutes choses et acquérir la réputation d'être doctes, ils y parviendront plus aisément en se contentant de la vraisemblance, qui peut être trouvée sans grande peine en toutes sortes de matières, qu'en cherchant la vérité ».  La recherche de la vérité se fait uniquement peu à peu, elle est lente. Rechercher la vérité n'est pas intéressant pour qui veut paraître cultivé et intelligent : ceux-là n'ont qu'à faire semble, ils n'ont qu'à chercher la vraisemblance. Or le Discours de la Méthode, qui s'inscrit au contraire dans une recherche nécessairement lente de la vérité, serait inutile pour tous ceux-là.

Descartes donne finalement les raisons qui l'ont poussé à écrire et publier le Discours de la Méthode : « m'étant toujours ainsi tenu indifférent entre le soin d'être connu ou ne l'être pas, je n'ai pu empêcher que je n'acquisse quelque sorte de réputation, j'ai pensé que je devais faire de mon mieux pour m'exempter au moins de l'avoir mauvaise. » Une des raisons est qu'il a besoin de l'aide d'autrui pour conduire certaines expériences, afin de progresser dans ses recherches. Mais la raison ici exposée est la crainte d'être victime de malentendus : certains en effet ont su que Descartes voulait peut-être faire imprimer ses écrits. Il s'agit de sauver sa réputation, car s'il ne publiait pas le Discours de la Méthode, certains pourraient penser que c'est pour de mauvaises raisons qu'il ne les publie pas.

C'est une particularité connue du Discours de la Méthode, que l'ouvrage a été publié en français et non en latin comme il était d'usage à l'époque. Le latin est en effet la langue des savants, tandis que le français pourrait paraître vulgaire pour les plus rigoureux. Descartes se justifie lui-même d'avoir choisi le français, car il ne veut s'adresser qu'à la raison pure, il ne s'adresse qu'à ceux qui utilisent leur bon sens, et se veut accessible au large public. « Et si j'écris en français, qui est la langue de mon pays, plutôt qu'en latin, qui est celle de mes précepteurs, c'est à cause que j'espère que ceux qui ne se servent que de leur raison naturelle toute pure, jugeront mieux de mes opinions, que ceux qui ne croient qu'aux livres anciens. »