9 juin 1825 : Pauline Bonaparte, la vénus de l’Empire


Couturière, artiste à Marseille dans des spectacles pour marins, partenaire d'un "mariage de garnison" avec le général Leclerc, épouse désemparée lorsque ce dernier est emporté par la fièvre jaune, Pauline Bonaparte (1780-1825) s'unit en secondes noces au prince Camille Borghèse, dont elle constate trop tard les limites physiques et intellectuelles... Qu'à cela ne tienne, Pauline est encore jeune, jolie et coquette. D'autres sauront la consoler. Révolution, Empire, Restauration, cette existence baroque, échevelée et sulfureuse va se dessiner sur fond d'histoire européenne. En contrepoint permanent, bien sûr, de celle de son célèbre frère devenu empereur. La vie et le rôle de " Paoletta ", impériale collectionneuse d'amants, cette sueur fantasque, excessive, la plus proche de Napoléon, fait ici l'objet d'une étude approfondie. Antonio Spinosa, s'appuyant sur de nombreuses sources italiennes, donne de la " Vénus triomphante " un portrait psychologique, ironique et impertinent.



Pauline Bonaparte (1780-1825), princesse Borghèse, la soeur préférée de Napoléon, est un personnage fascinant. Enjouée, provocatrice, frivole, mais aussi courageuse, elle ne laissa personne indifférent.
Au tournant du XIXe siècle, elle était considérée par beaucoup comme la plus belle femme d'Europe. Elle a choqué le continent par l'audace de ses amours, sa garde-robe, ses bijoux somptueux, et par sa décision de poser presque nue pour le sculpteur Canova.
Si la vie privée de Pauline a été marquante, sa fidélité à l'empereur l'est tout autant. Ainsi, quand Napoléon fut exilé à l'île d'Elbe, Pauline fut le seul membre de la famille Bonaparte à le suivre là-bas, et, après Waterloo, elle demanda à être autorisée à le rejoindre à Sainte-Hélène.
Aucun biographe n'a puisé si profondément dans les archives et n'a si étroitement étudié l'une des plus proches relations de l'homme qui a façonné l'Europe moderne.
Avec ce portrait, Flora Fraser jette une lumière nouvelle sur l'époque napoléonienne.

Extrait

Dîner à Marseille, 1796

L'histoire de Pauline Bonaparte, beauté et séductrice légendaire, commence, comme il se doit, par la réunion de trois hommes. Assistaient à ce dîner à Marseille son frère aîné, le général Napoléon Bonaparte, son fiancé, le citoyen Stanislas Fréron, et son futur mari, l'adjudant général Victor Emmanuel Leclerc. D'après le calendrier grégorien, c'était le 22 mars 1796. Mais ce système de division du temps avait été supprimé et, d'après le calendrier révolutionnaire, que le gouvernement national avait institué à compter de septembre 1792, c'était le 2 germinal, an IV.
Aucun document ne nous permet de savoir ce que Pauline Bonaparte, âgée de quinze ans, faisait, ce jour-là, à Marseille. Elle habitait dans le Sud de la France en compagnie de sa mère Letizia qui était veuve, et d'autres frères et sœurs, depuis que des événements dramatiques les avaient contraints à fuir leur Corse natale. L'île était en butte à une lutte pour l'indépendance que des membres de la famille Bonaparte avaient commencé par soutenir. Ces derniers temps, Napoléon et ses frères s'étaient ralliés à la Révolution française, ce qui leur avait valu l'hostilité des patriotes corses. La famille s'était d'abord établie à Toulon avant de venir habiter Marseille en 1793.

Nous manquons également de renseignements fiables sur la vie personnelle de Pauline avant ce dîner. Sa naissance, le 20 octobre 1780 - elle était la sixième de huit enfants -, avait été consignée par son père, Charles, dans son livre de raison, ou mémorandum, qui lui a survécu. (Il est mort quand elle avait quatre ans.) La date de son baptême, qui eut lieu le lendemain dans la petite cathédrale d'Ajaccio - l'archidiacre Luciano Bonaparte, son grand-oncle, fut son parrain -, figure dans les archives municipales. Elle reçut alors le nom de Maria Paola, mais on ne tarda pas à l'appeler Paoletta. La célébrité ultérieure de son frère Napoléon occulta l'histoire de ses frères et sœurs. Dans la correspondance et les anecdotes rassemblées si avidement par ses admirateurs, on ne trouve donc que de rares mentions de l'enfance que Pauline passa dans la ville portuaire d'Ajaccio.
En 1792, quand elle eut onze ans, Napoléon, qui en avait alors vingt-deux, lui envoya une gravure de mode. Le même mois, à propos de sa sœur aînée, Elisa, éduquée loin de la Corse à l'école religieuse de Saint-Cyr fondée par Mme de Maintenon, Napoléon - qui doutait que cette fille trop bien élevée pût réussir son mariage -, se dit qu'elle connaissait beaucoup moins de choses que Paoletta. Ces deux références, révélatrices à la fois de l'affection de Napoléon pour Pauline, du goût de celle-ci pour les parures et de son caractère espiègle, pourraient paraître inventées si elles ne provenaient de sources particulièrement fiables. Des années plus tard, alors en exil sur l'île d'Elbe, l'empereur se souvint qu'ils avaient été surpris tous les deux, lui et sa sœur, en train d'imiter leur grand-mère infirme, «fort âgée et courbée, [faisant] l'effet d'une vieille fée», et que Letizia avait préféré punir Pauline - «parce que des jupons sont plus faciles à relever qu'une culotte à déboutonner». Si elle est vraie, l'anecdote atteste la sévérité de la mère des Bonaparte dans son administration de la justice, ainsi que le goût que le frère et la sœur manifestèrent toute leur vie pour les farces taquines.