3 et 4 juin 548 : Clotilde, la sainte reine de Clovis


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« Gondic avait été roi des Burgondes. Il appartenait à la lignée d’Athanaric, le roi précurseur dont nous avons parlé plus haut. Il avait eu quatre fils, Gondebaud, Gondegisel, Chilpéric et Godomar. Gondebaud tua son frère Chilpéric de son épée et noya la femme de ce dernier en lui attachant une pierre au cou. Il condamna à l’exil ses eux filles : l’aînée, qui prit l’habit monastique ; s’appelait Chrona, la plus jeune Clotilde [(du germanique hlod, « gloire » et hild, « combat », née vers 474 ou 475 peut-être à Vienne, Lyon ou à Genève]. » C’est ainsi que Grégoire de Tours nous parle pour la première fois de la future reine des Francs.(…)


[Clovis] pouvait prétendre (…) à ce que les anthropologues appellent un mariage hypergamique, c’est-à-dire où la condition sociale de l’épouse est supérieure à celle de l’époux. Face au prestigieux, clan des Amales qui dominait l’Occident avec Théodoric et remontait quatorze générations plus haut, que pesait la quatrième génération mérovingienne de Clovis ? Rien. Il avait besoin d’un mariage hypergamique. (…) Le roi cherchait une épouse de premier rang, de lignée royale. Puisqu’elle descendait d’Athanatric, roi des Wisigoths, elle représentait la sixième génération des Balthes. Les origines de Clotilde remontaient fort loin. Une famille des bords de la mer Baltique était ainsi entrée dans un clan wisigoth lors d’une soumission des Estes aux Goths. (…) Cette « Européenne » avant la lettre était « norvégienne » par les Burgondes, « estonienne » par les Balthes. (…) Clotilde représentait pour Clovis le parti idéal s’il voulait se hisser au niveau des grandes puissances du temps. Les motifs sont donc avant tout politiques (…) [l’] aspect religieux est ignoré. (…), Gondebaud finit donc par acquiescer, puis, revenant sur son accord, poursuit vainement le cortège de la jeune femme chargé de trésors et escorté de serviteurs. (…) Nous ignorons toujours par quel âpre marchandage le roi des Francs fit d’abord céder le roi des Burgondes, et la rétractation de celui-ci eu lieu bien après le départ du convoi nuptial. (…) Ce voyage n’eut donc rien d’improvisé, même si Gondebaud regretta amèrement sa décision.

(…) Le mariage eut lieu en 492 (…). Nous ignorons tout de la cérémonie (…). Ce fut certainement un mariage païen avec consommation et don du matin (Morgengabe). (…)

Le mariage de Clotilde la catholique avec Clovis le païen [est] valable aux yeux des chrétiens puisqu’il avait été public. (…) [A] l’exception de la concubine rhénane, antérieure à Clotilde, qui fut la mère de Thierry, nous ne connaissons aucune autre femme dans la vie de Clovis.

(…) C’est là un premier point, capital : le mariage enclencha le processus de conversion de Clovis, conformément au précepte de saint Paul : « Le mari incroyant est sanctifié par la femme fièle » (I, Cor. VII, 14). Cependant, lorsque arriva la première naissance Clotilde commença de prêcher la foi catholique à Clovis, mais sans succès. (…) Mais l’enfant mourut à peine baptisé. (…) L’étonnant est surtout l’intrépidité de la reine : elle fait baptiser son fils sans prendre conseil ni même consulter Clovis. En reine germanique habituée à commander et en chrétienne convaincue à la fois, elle a décidé de la religion de l’enfant. (…)

Elle récidiva en 495 lors de la naissance de son deuxième fils, Clodomir, décidant seule du baptême. L’enfant étant tombé malade, le roi lui dit : « Il n peut pas lui arriver autre chose que ce qui est survenu à son frère ; baptisé au nom de votre Christ il mourra aussitôt. » (…) [Mais] Clodomir guérit. Suivirent alors les naissances de Childebert vers 497, de Clotaire vers 498 et de Clotilde vers 500. L’avenir de la dynastie était assuré, et l’in des arguments majeurs de Clovis contre le Dieu de Clotilde disparaissait. (…)

Clotilde, dès le début de son mariage, entra probablement en relation avec Geneviève. (…)

Catholique convaincue, (…) [Clotilde] ne peut que trouver en Geneviève, véritable Romaine et catholique, une alliée naturelle. L’avancée de Clovis jusqu’à la Loire, le culte de saint Denis, le pèlerinage à Saint-Martin de Tours rassemblent lentement des populations désorientées et perturbées pat la guerre civile. (…)

[L]e choc de la victoire inespérée de Tolbiac avait tellement frappé le roi qu’il en parla à Clotilde. Celle-ci, constatant la vanité de ses efforts, fit « alors venir en secret saint Rémi, évêque de la ville de Reims, en le priant d’insinuer chez le roi la parole du salut ». (…) Pourquoi (…) « en secret » ? C’est que les difficultés de l’entreprise sont énormes : Clovis n’est pas convaincu, et les Francs ne sont pas au courant. S’ils l’étaient, ils seraient hostiles à la conversion du roi. Clovis risque son pouvoir.

Les entretiens entre le jeune roi (trente et un ans) et le déjà vieil évêque (la soixantaine) se déroulèrent dans la plus grande discrétion, probablement à Reims. (…)

[De la cérémonie du baptême de Clovis, le 25 décembre 499 marquait] (…) une victoire sur le paganisme et l’arianisme. En même temps, c’était le triomphe de la romanité chrétienne sur un totalitarisme fusionnant les dieux et les hommes, les rois et les papes.
(…) Clovis avait renoncé à sa généalogie divine. Il avait compris que le pouvoir n’était pas celui des ancêtres. Il était convaincu que le prince chrétien tirait son autorité d’ailleurs et non de lui-même. (…)

[Clovis mourut à l’âge de quarante-cinq ans, le 27 novembre 511.

Les troubles de succession agitant le royaume burgonde,] Clotilde considéra qu’une fois de plus la dynastie burgonde s’était disqualifiée et que le royaume était à prendre. Elle eut alors un entretien avec Clodomir et ses autres fils : « Il ne faudrait pas, mes très chers, que je me repente de vous avoir nourris tendrement ; manifestez, je vous prie, de l’indignation pour l’outrage que j’ai subi et vengez la mort de mon père et de ma mère avec une sagace ténacité. » Voici enfin venue l’occasion pour la reine de venger la mort de Chilpéric II et de sa mère (…) et de pratiquer la faide comme le roi des Ostrogoths. Malgré [sa] foi chrétienne, Clotilde (…) entendai[t] accomplir cet acte de piété filiale dans la tradition germanique. (…) Le royaume burgonde fut partagé (…).

[Le 21 juin 524, Clodomir est tué lors de la bataille de Vézeronce. (…) Cette nouvelle catastrophe permit à Godomar de récupérer son royaume pour dix ans, tandis que Clotilde, dont la vengeance s’était retournée contre elle-même, « sitôt le deuil passés », accueillit et garda auprès d’elle les trois fils de Clodomir, Théodebald, Gonthier et Cloud.

L’attitude de ses fils, en particulier de Clotaire, qui épousa sa belle-sœur, la veuve Clodomir, aurait dû alerter la reine. Pris entre les vieux comportements germaniques et la volonté de Clovis qui avait désiré que les fils succédassent au père, elle ne sentit pas monter le nouvel orage. La cause en était toujours la même : qui obtiendrait l’héritage de Clodomir, ses fils ou ses frères ? (…) Comme elle résidait toujours à Paris, Childebert, craignant qu’elle ne mît sur le trône les fils de Clodomir, fit venir Clotaire dans la capitale pour mettre au point leur tactique. Considérant qu’il était normal de se partager le royaume de Clodomir, ils décidèrent de faire soit tondre soit tuer leurs neveux. (…) Pour faire aboutir la seconde, ils eurent recours au petit-fils de Sidoine Apollinaire Arcadius, leur fidèle serviteur. Il se présenta devant la reine avec une paire de force (ciseaux de l’époque) et une épée nue.  « C’est à ta volonté, ô très glorieuse reine, que tes fils, nos seigneurs, font appel. Que penses-tu qu’il faut faire des enfants ? Donnes-tu l’ordre de les laisser avec les cheveux coupés ou de les égorger tous les deux ? » (…) La malheureuse Clotilde est prise au piège. Personne ne comprendrait qu’elle choisisse les ciseaux, car ce serait pour les Francs continuer à faire planer sur ses fils la menace de la guerre civile. L’intérêt du royaume nécessite pour eux la succession collatérale, la vieille tanistry. (…) [E]lle répondit simplement : « Je préfère, s’ils n’accèdent pas au royaume, les voir morts que tondus. » C’était ce qu’on attendait d’elle : la confirmation de la loi. Clotaire tua alors Théodebald, d’un coup de couteau dans l’aisselle. Il avait dix ans. Gonthier, lui, se précipita aux pieds de Childebert qui, pleurant, allait céder lorsque Clotaire lui fit remarquer qu’il avait lui-même pris l’initiative de l’entreprise ; il jeta l’enfant contre son frère qui l’égorgea. Il avait sept ans. (…) Clotilde emporta les deux petits corps sur un brancard et les fit enterrer aux côtés de son époux et de sainte Geneviève dans l’église Saint-Pierre.

Brisée par ces deux terribles coups (…) Clotilde (…) rencontra enfin Dieu dans la prière. (…) Vers 534, (…) une nouvelle querelle éclatait entre Childebert et Clotaire. (…) Décidemment, ce monde qu’elle avait voulu chrétien ne l’était pas encore, et rien n’était de trop pour l’amener à une transformation profonde. (…)

Jusqu’au bout, la reine parvint à maintenir l’équilibre. Lorsque ses derniers jours survinrent, les trois royaumes étaient aux mains [de sa descendance]. (…)

Celle qui avait empêché vaille que vaille la désintégration de l’œuvre de son époux mourut le 3 juin 548 à Saint-Martin de Tours.(…)

Clotilde (…) chercha à empêcher les guerres civiles. Ses longues veilles à Saint Martin attestent son désir de maintenir ses fils dans une perspective chrétienne de l’exercice du pouvoir. »

Extraits de « Clovis », Michel Rouche – Fayard.


Elle est canonisée vers 550 ou 560 ; l'Église orthodoxe et l'ancien martyrologe romain la fêtent le 3 juin (dies natalis), et l'Église catholique le 4 juin.

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