Waterloo, le défi de trop ? (Vidéo)
Texte de Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon.
Le 18 juin 1815, à Waterloo, Napoléon livra sa dernière bataille qui,
après beaucoup de sang, a tant fait couler d'encre qu'elle ne paraît toujours
pas finie.
Pour la rendre à sa vérité, Thierry Lentz a choisi, par le texte, l'image et la cartographie, d'en revenir et de s'en tenir aux faits, afin de comprendre une journée tragique dont les enjeux ne se limitèrent pas aux dix heures que dura ce combat terriblement meurtrier. En partant en campagne le 14 juin, l'empereur avait décidé de frapper un coup de tonnerre sur la scène intérieure et extérieure afin de refonder son pouvoir au retour de l'île d'Elbe et amener les alliés à négocier dans des conditions favorables. En dépit d'une préparation incroyablement difficile, il fut à deux doigts de réussir. Restituant le détail des différentes phases de la tragédie à partir des meilleures sources françaises et étrangères, l'auteur montre aussi l'inanité de questions marginales sur les défauts de Soult, le comportement de Ney ou la faute de Grouchy. Ainsi est mis en valeur le poids de l'événement et de ses acteurs dans le cours de l'histoire. |
Lorsque Napoléon rentre à Paris, le
20 mars 1815, il retrouve une armée affaiblie. En effet, pour réaliser de
nécessaires économies, la Restauration a divisé les budgets et les effectifs
militaires par plus de deux. Les commandes d'armements, d'équipements, de
poudre et de boulets se sont effondrées, ne permettant pas même de remplacer ce
qui a été saisi après la défaite de 1814. Ainsi, en comptant large, Napoléon ne
dispose que de 150 000 à 180 000 hommes sous les armes.
C'est insuffisant pour s'opposer aux forces de la coalition, qui prévoit d'aligner
près de 700 000 hommes dès le printemps, un million à l'automne.
Pour reconstruire l'armée française, le
temps presse. Or, la tâche est compliquée par une des conséquences de la
libéralisation du régime : la conscription doit désormais être autorisée par
les Chambres, qui ne pourront se réunir qu'en mai 1815. Sans attendre,
Napoléon fait pourtant flèche de tout bois pour augmenter ses effectifs :
rappel dans leurs unités de 12 000 officiers et de
110 000 soldats et marins en congé ou en demi-solde, mobilisation de
la Garde nationale, appel aux volontaires ou aux étrangers souhaitant combattre
pour la France. Enfin, par un artifice juridique, il parvient à placer sous les
drapeaux la classe 1815, soit 80 000 jeunes gens appelés l'année précédente
sans avoir été effectivement mobilisés : on les considère comme des militaires
en congé.
L'équipement
est un autre casse-tête et on ne parviendra que partiellement à le résoudre, si
bien que de nombreux soldats seront dotés de capotes ou de vestes aux couleurs non
réglementaires, que les anciens conserveront leurs uniformes de l'armée de la
Restauration, que des officiers accrocheront leurs épaulettes à leurs vêtements
civils, que des dragons partiront sans selle, des cuirassiers sans
cuirasse, etc.
Consolation pour
l'Empereur, la troupe fait montre d'enthousiasme. Beaucoup considèrent que la
défaite de 1814 a été causée par la trahison et que le moment de la revanche a
sonné. Mais cette foi est tournée vers le chef… moins vers les maréchaux, les
généraux et les officiers que l'on soupçonne d'avoir mis beaucoup de zèle à
servir Louis XVIII.
Dès l'annonce du débarquement de
Napoléon à Golfe-Juan (1er mars 1815), les puissances encore réunies au
congrès de Vienne ont décidé de s'unir contre celui qu'elles qualifient de « perturbateur
du repos du monde » dans leur déclaration solennelle du 13 mars. Non
seulement on n'acceptera aucun contact avec lui (ce qui sera effectivement le
cas pendant tous les Cent-Jours), mais on l'attaquera immédiatement. Afin que
l'offensive générale puisse commencer à la fin du mois de juin 1815, des
forces considérables sont dirigées vers la France. Celle-ci apparaît dès lors
comme une forteresse assiégée.
Dès le mois d'avril 1815, parce qu'il
sait qu'il ne pourra pas retenir les vagues ennemies, Napoléon est décidé à
frapper le premier et à tenter une « sortie ». Il l'oriente vers le point
faible du dispositif allié, soit deux armées, respectivement de
95 000 et 117 000 hommes, stationnées en Belgique : les
Anglo-Néerlandais de Wellington autour de Bruxelles, les Prussiens de Blücher
au nord de Charleroi. Bien que lui-même ne dispose de ce côté-ci que de
125 000 hommes, au sein de ce qu'on appelle « l'armée du Nord », il
pense pouvoir les battre l'un après l'autre et entrer ensuite dans Bruxelles.
Qui plus est, en détruisant la seule véritable armée de terre dont dispose
l'Angleterre, il frapperait aussi un grand coup politico-militaire. Albion
aurait moins d'influence sur la coalition si ses troupes devaient battre en
retraite et évacuer le continent. Alors, pense-t-il, la coalition serait
contrainte de négocier. C'est en tout cas sa seule chance de faire accepter la
restauration impériale à Paris.
Le plan de Napoléon est de séparer les
Anglo-Néerlandais et les Prussiens en se glissant entre eux, avant de les
battre successivement. Il a déjà utilisé plusieurs fois cette manœuvre,
notamment pendant la première campagne d'Italie, en 1796. Elle se fonde sur le
postulat qu'une armée vaincue se replie forcément sur ses bases de
communication. Ainsi, les Prussiens se replieront vers l'Allemagne et les
Anglais vers Anvers pour réembarquer. Mais ce que l'Empereur ignore, c'est que
ses adversaires ont depuis longtemps pressenti qu'il utiliserait cette
stratégie. C'est pourquoi, lors de plusieurs réunions d'état-major, ils ont
décidé de ne jamais se séparer. En clair : une armée vaincue ne se repliera pas
sur ses lignes de communication mais, au contraire, cherchera toujours à venir
secourir l'autre. C'est exactement ce qui va se passer et l'Empereur ne s'en
rendra compte que trop tard.
Napoléon
prend l'offensive le 15 juin, pénètre en Belgique et s'empare de
Charleroi. Tandis que Ney est chargé de contenir les Anglais autour du
carrefour stratégique des Quatre-Bras, lui-même oblique légèrement vers l'est
et affronte les Prussiens. Le 16 juin, ceux-ci sont forcés de battre en
retraite après la bataille de Ligny. Conformément à son plan, et certain que
Blücher se replie vers l'Allemagne, il se retourne vers Wellington. L'Anglais
s'installe dès le lendemain sur le plateau de Mont-Saint-Jean, seul terrain où
l'on pourra barrer la route de Bruxelles aux Français. Il y prend des positions
exclusivement défensives, non parce qu'il a peur, mais parce qu'il sait que,
loin de quitter le théâtre des opérations, les Prussiens ont cessé de faire
retraite et marchent vers lui.
La bataille « de Waterloo » commence tard dans la
matinée du 18 juin. Conformément à son plan général, Napoléon entend fixer
la gauche de Wellington pour l'obliger à y diriger ses réserves, avant de
lancer une grande attaque sur son centre droit et le repousser vers Bruxelles,
puis vers la mer.
Mais l'Empereur n'a pas prévu que le général
anglais n'aurait qu'une obsession : tenir en attendant les Prussiens. Il
s'appuie pour cela sur des ouvrages fortifiés qui sont comme des brise-lames
des attaques françaises : le château d'Hougoumont sur sa droite, la ferme de la
Haie-Sainte au centre et la ferme de la Papelotte à gauche. Hougoumont tiendra
toute la journée sans que des réserves britanniques soient nécessaires pour
soutenir la résistance. La Haie-Sainte ne tombera qu'en fin d'après-midi. La
Papelotte sera prise assez vite mais l'arrivée de détachements prussiens
empêchera d'en profiter.
Afin
d'arracher la décision, Napoléon va alors tenter, ou laisser faire, deux
mouvements de grande ampleur pour percer le front des Anglo-Néerlandais. Le
premier se joue comme un drame : l'Empereur n'empêche pas le maréchal Ney
d'entraîner la cavalerie française -soit 10 000 hommes- sur le centre
de Wellington. Ce sera une charge inutile. Puis, il lance ses dernières
réserves d'infanterie, dont la Garde impériale, presque au même endroit. Les
grognards seront « cueillis » par une si intense fusillade qu'ils seront
contraints au repli.
C'est alors que les Prussiens -plus de
70 000 hommes- font irruption sur le flanc droit et derrière la ligne
française, alors très avancée, bousculant tout sur leur passage. Wellington
profite du fléchissement de ses adversaires pour lancer une attaque générale. En
face, c'est le sauve-qui-peut. Toute l'armée française lâche pied. Seuls trois
bataillons de la Vieille Garde rétrogradent en bon ordre et se font massacrer.
Il est 10 heures du soir. La bataille de Waterloo se termine par un
désastre et ce que Victor Hugo appela « la fuite des géants ».
Pendant toute la journée fatale,
Napoléon n'a pas semblé au mieux de sa forme. Plusieurs témoins ont raconté
qu'il reste dans une sorte d'apathie, ce qui avait déjà été le cas le jour de
la bataille de la Moskova (7 septembre 1812).
On conjecture depuis sur la nature du
mal qui l'avait frappé. Il est certain qu'il avait pris froid les jours
précédents, marqués par de violents orages suivis de fortes chaleurs. Pour le
reste, on ignore la nature exacte de l'indisposition qui le rendit si peu
enthousiaste, même si de douloureuses hémorroïdes (affection courante chez les
cavaliers) ont été évoquées plus tard par les généraux Gourgaud et Bertrand. On
a aussi parlé d'une crise de dysurie, affection qui le poursuivait depuis des
années. Quoi qu'il en soit, Henry Boucquéau, le propriétaire de la ferme du
Caillou, où avait été installé son quartier général, le vit « gêné dans ses
mouvements », « embarrassé dans sa démarche » et « écartant les jambes ». Et de
fait, il ne monta quasiment pas à cheval de la journée.
Le moins que
l'on puisse écrire est qu'il resta en retrait des opérations, ce qui est
fâcheux pour un commandant en chef un jour pareil. Il laissa Ney prendre des
décisions qui auraient normalement relevé de sa seule compétence, dicta des
ordres peu clairs et aurait mal lu les (mauvaises) cartes à sa disposition. De
quoi expliquer une partie des causes de la défaite, sans autant minimiser
l'excellence du choix tactique de Wellington et la ponctualité de Blücher.
Après sa
victoire de Ligny, Napoléon avait détaché 33 000 hommes placés sous
les ordres du maréchal Grouchy pour poursuivre les Prussiens, Celui-ci perdit
le contact avec son adversaire et ne s'aperçut pas tout de suite qu'au lieu de
rentrer chez lui, Blücher se dirigeait vers le champ de bataille. Bien
qu'entendant le bruit de la canonnade sur sa gauche, Grouchy ne marcha pas « au
canon » et ne put donc venir en aide au gros de l'armée.
Dans ses
Mémoires, Napoléon a fait porter sur son maréchal une part importante du poids
de la défaite. A sa suite, des générations d'historiens ont fait de même. La
tendance actuelle est de modérer les accusations contre Grouchy, pour plusieurs
raisons. La première est que la poursuite des Prussiens n'avait été ordonnée
par Napoléon que douze heures après la fin de la bataille de Ligny, soit
beaucoup trop tard pour que Grouchy puisse talonner l'adversaire. La deuxième
est qu'à aucun moment Napoléon n'a rappelé clairement Grouchy vers lui. La
troisième est que, compte tenu du fait que Grouchy devait traverser une rivière
(la Dyle) pour rejoindre Waterloo, il lui fallait se rendre maître du seul pont
disponible, à Wavre, à une bonne dizaine de kilomètres du lieu où il se
trouvait au matin du 18 juin. Or les Prussiens occupaient solidement ce
point de passage et il aurait fallu combattre plusieurs heures pour s'en rendre
maître. Il aurait fallu ensuite faire parcourir une douzaine de kilomètres
supplémentaires à 33 000 hommes, leurs caissons et leur artillerie.
Quel que soit le moment de l'après-midi où Grouchy aurait commencé ce mouvement
complexe, il ne serait jamais arrivé à temps à Waterloo. Il est donc très
exagéré de le rendre responsable, et encore moins seul responsable, de la
catastrophe. Au matin de la bataille, alors que le major général Soult
suppliait Napoléon de rappeler le corps de Grouchy, l'Empereur refusa sèchement
la proposition et voulut qu'on ne se concentre que sur l'armée de ce Wellington
qu'il considérait comme un mauvais général : « Ce sera l'affaire d'un déjeuner »,
avait-il ajouté.
L 'Angleterre s'enorgueillit de la
victoire de Waterloo. Cette dénomination, qui sonne so British, fut d'ailleurs
imposée par Wellington contre l'avis de Blücher qui aurait voulu qu'on
l'appelât « bataille de la Belle-Alliance », du nom d'un lieu-dit où les deux
vainqueurs s'étaient brièvement croisés à la fin des combats. Le général en
chef anglais y a gagné la réputation du général qui a vaincu Napoléon dans une
bataille rangée, et quelle bataille ! Cette version ne paraît pas moins forgée
à usage national que la thèse de la « défaite glorieuse » par les Français. Les
mérites d'un général et de troupes qui combattirent avec un professionnalisme
et un courage remarquables ne peuvent bien sûr pas être contestés. Mais la
gloire devrait être mieux partagée avec les alliés prussiens. Celle de Wellington
réside dans le choix tactique de tenir coûte que coûte en attendant Blücher. Le
« vainqueur » déclara d'ailleurs honnêtement qu'il avait livré une bataille « sans
manœuvre ». Dans sa dépêche au ministre de la Guerre Bathurst, le 19 juin,
on peut lire : « Je dois rendre justice au maréchal Blücher et à l'armée
prussienne, en attribuant l'heureux résultat de cette terrible journée aux
secours qu'ils m'ont donnés à propos. » Cela n'a pas empêché l'historiographie
de son pays de traiter parfois l'arrivée des Prussiens sur le champ de bataille
comme un événement presque accessoire.
L'intervention prussienne fut pourtant décisive, deux jours
seulement après la défaite de Ligny. Et d'abord en obligeant Napoléon à envoyer
des forces à la rencontre des premiers corps arrivant sur sa droite, ce qui
soulagea le dispositif anglo-néerlandais à un moment critique. Plus tard,
l'irruption du reste des Prussiens intervint au moment clé, lorsque les
réserves françaises étaient épuisées. A ce moment, les trois quarts du front
allié étaient tenus par des troupes prussiennes. Ce furent encore celles-ci qui
se chargèrent de la poursuite des vaincus. Ce qui fit écrire à l'officier
français Lemonnier-Delafosse : « Bataille extraordinaire, la seule où l'on vit
deux vaincus, les Anglais d'abord, les Français ensuite. Bataille que les
Prussiens seuls gagnèrent » (Souvenirs militaires). Malgré cette exagération,
l'arrivée de l'armée de Blücher fut donc vraiment décisive. Et comme l'armée de
Wellington comptait au bas mot 40 000 à 50 000 soldats
originaires du Hanovre, du Brunswick ou du Nassau, l'historien Peter Hofschröer
est allé jusqu'à écrire que Waterloo était une victoire « germanique ». Elle
fut en tout état de cause une victoire anglo-prussienne.
Après avoir cherché la mort sur le champ
de bataille, Napoléon fut entraîné par ses officiers loin des combats. Il parvint
à échapper à la capture et, après un voyage épuisant, arriva le 21 juin,
vers 9 heures du matin, au palais de l'Elysée. Il croyait encore possible
de renverser la situation. Une fois rentré dans sa capitale, disait-il, il
appellerait de nouvelles troupes, barrerait la route aux envahisseurs après
avoir, au besoin, imposé le silence aux Chambres en proclamant la « dictature ».
Il lui fallut peu de temps pour s'apercevoir que sa cause était perdue. Lors du
Conseil des ministres élargi convoqué dans la matinée, il demanda à chacun de
donner son avis. Seuls les ministres de la Guerre et de l'Intérieur, Davout et
Carnot, soutinrent la proposition de Lucien Bonaparte de procéder à un coup
d'Etat. Les autres laissèrent entendre que le moment était venu de consentir de
« grands sacrifices ». Si le mot d'abdication ne fut pas prononcé, chacun
l'avait à l'esprit.
Epuisé par
la campagne et sa pénible retraite (il n'avait quasiment pas dormi depuis trois
jours), Napoléon fut «achevé» dans l'après-midi par la résistance des Chambres
qui étaient entrées en ébullition. La Fayette était à la manœuvre, mais le
vrai maître de la situation était Fouché, dont les amis quadrillaient les
travées. Une fois le désastre de Waterloo connu, rien ne put enrayer la fronde
parlementaire. La catastrophe plaçait l'Empereur en position de faiblesse,
presque d'accusé. Un peu plus de douze heures après son retour à Paris, il
était acculé. Une réunion nocturne de commissions désignées par les Chambres
pour évaluer la situation confirma que l'abdication était la seule voie
acceptable, faute de quoi, comme un an plus tôt, la déchéance serait votée.
Le dénouement se joua à l'Elysée. En fin de
matinée du 22 juin, Napoléon renonça au pouvoir, à condition que son fils
soit proclamé empereur. Il se retira trois jours plus tard au château de
Malmaison, première étape sur la route de Sainte-Hélène.
Napoléon II ne régna pas. Il fut escamoté
quelques heures après avoir été placé sur le trône par son père. Une commission
de gouvernement, dirigée par Fouché, prit les affaires en main. Elle allait
bientôt avaliser le retour de Louis XVIII.
La question des pertes de la bataille de
Waterloo a fait l'objet d'études nombreuses, pas toujours conclues avec
précision. Pour ce qui concerne la seule journée du 18 juin 1815, les
bilans les plus sérieux font état de 6 800 Français,
1 450 Anglais, 1 100 « Allemands » de l'armée de
Wellington, 1 200 Prussiens et 250 Néerlandais tués, soit
environ 10 800 morts. Le nombre des blessés serait d'environ
22 000 Français, 4 900 Anglais, 7 000 « Allemands
», 4 300 Prussiens et 1 300 Néerlandais, soit
39 500 hommes. Parmi ces derniers, de 3 000 à 4 000
succombèrent des suites de leurs blessures dans les jours qui suivirent. Au
total on peut estimer que le bilan de l'ensemble de la campagne de Belgique
s'établit à 11 500 morts et 33 900 blessés dans l'armée
française, 5 260 morts et 14 500 blessés dans celle de
Wellington, 6 900 morts et 17 000 blessés dans celle de
Blücher, soit au total environ 23 700 morts et
65 400 blessés. Ces chiffres représentent presque le quart des
effectifs engagés, soit une véritable hécatombe, seulement dépassée par les
campagnes de Russie (1812) et d'Allemagne (1813) qui, elles, avaient duré
plusieurs mois. Ces quatre jours de juin 1815 furent donc bien un des
affrontements les plus sanglants des guerres de la Révolution et de l'Empire.
La défaite française eut, bien sûr, d'autres conséquences,
politiques celles-ci. Le sort du pays était entièrement entre les mains des
souverains européens. Ils se refusèrent à reconduire les accords de 1814, qui
avaient été plutôt modérés, et exigèrent un nouveau traité. Négocié par
Talleyrand et le duc de Richelieu qui lui succéda au ministère, celui-ci fut
signé le 20 novembre 1815 et complété d'un autre, dit « de la Quadruple
Alliance », entre les seuls vainqueurs. Ces textes étaient d'une grande
sévérité. En évacuant Landau, Sarrelouis, Philippeville, Marienbourg et la
Savoie, la France rentrait dans ses frontières de 1789 en perdant
530 000 habitants et 5 000 km² de plus qu'en 1814. Le
Trésor français devait verser une indemnité de guerre de 700 millions de
francs et entretenir une armée d'occupation du nord et de l'est du pays de
150 000 hommes commandés par Wellington (logement, chauffage, vivres,
fourrage, etc.). L'occupation était prévue pour cinq années au maximum, au
tarif de 383 589 francs par jour. Si on ajoute les indemnités versées
aux personnes lésées par les guerres de la Révolution et de l'Empire, ce furent
environ 2 milliards qui furent versés, soit trois années de recettes
fiscales, ce qui fait de la restauration impériale « les cent jours les plus
chers de l'histoire de France » (Pierre Branda).
Par la
Quadruple Alliance, l'Angleterre, la Prusse, l'Autriche et la Russie
confirmèrent en l'amplifiant ce qui avait été décidé par l'Acte final du
congrès de Vienne du 9 juin 1815. Elles prenaient la direction des
affaires du continent pour en assurer la « tranquillité ». La France resta
exclue de ce « concert européen » jusqu'au congrès d'Aix-la-Chapelle, du
29 septembre au 21 novembre 1818. Alors, l'indemnité de guerre ayant
été réglée, les vainqueurs acceptèrent l'évacuation du territoire français avec
deux ans d'avance. Le roi de France fut invité « à unir désormais ses conseils
et ses efforts à ceux des quatre puissances ». Malgré cette réintégration, même
si les successeurs de Napoléon ne renoncèrent jamais à agir sur le continent et
au-delà des mers, ils durent abandonner toute velléité d'expansion et
d'intervention extérieure, faute de moyens et de liberté de mouvement, certes,
mais aussi pour tenir compte de la nouvelle réalité de la puissance que le
XIXe siècle n'allait cesser de conforter : rien ne pouvait plus se faire
sans l'accord de Londres.
Waterloo
avait à jamais sonné le glas de la séculaire ambition française de
prépondérance en Europe et dans le monde.