11 juin 1726 : Louis XV, roi de 16 ans, nomme M. de Fleury « principal ministre » de 73 ans !


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Admirable destinée que celle de ce petit évêque de Fréjus obstiné qui, à force d'ambitionner le pouvoir, finit par accéder à la charge suprême de l'État à 73 ans et qui régna sans partage sur le royaume de France pendant dix-sept ans.

 

Le 22 février 1723, Louis XV est déclaré majeur. Le jeune roi est âgé de 14 ans. Sur les conseils de son oncle, Philippe d’Orléans, l'ex-régent, il nomme principal le douteux et irréligieux cardinal Dubois. Mais le prélat meurt dès le mois d'août et l'ex-régent réclame la place vacante qu'aussitôt son neveu lui accorde. Le duc d'Orléans meurt en décembre suivant. Louis XV, déjà marqué par la disparition de ses parents et de son arrière-grand-père, le roi Louis XIV, est bien seul. Il se tourne encore vers sa famille et nomme premier ministre un autre de ses grands oncles, le duc de Bourbon. Triste choix ! Ce prince, totalement dominé par deux femmes ambitieuses, sa mère, fille légitimée du feu Louis XIV et sa maîtresse, la marquise de Prie. Le duc est vite très impopulaire. Louis XV frappe de disgrâce le duc de Bourbon et, âgé de 16 ans, déclare assumer seul le pouvoir et se passer de premier ministre. Cependant, il confie l'essentiel du pouvoir à son précepteur. Le 11 juin 1726, à l'âge de 73 ans, « M. de Fréjus », comme on l'appelle d'après le nom de son évêché, est « appelé aux affaires ». En septembre de la même année, sur la demande du roi, il est créé cardinal. Soixante-ans séparent les deux hommes.

Issu de la petite noblesse languedocienne, André de Fleury (né à Lodève, le 22 juin 1653) est le fils de Jean de Fleury, seigneur de Dio, receveur des tailles au diocèse de Lodève et de Diane de La Treille (La Treilhe), fille de Jean Jacques de La Treille seigneur de Fozières., Destiné dès l'enfance à l'état ecclésiastique (pour « alléger sa famille »), il est envoyé à l'âge de six ans à Paris y poursuivre ses études au Collège de Clermont puis au Collège d'Harcourt. Doté d’esprit, doué de beaucoup de facilité et d'une heureuse mémoire, joignant à cela l'amour de l'étude, il réalise une brillante scolarité. En 1668, n'ayant encore que 15 ans, le jeune abbé de Fleury est nommé à un canonicat (chanoine) de Montpellier. Il retourne à Paris continuer les études qu'exige l'état ecclésiastique.
Il devient par protection du cardinal de Bonzi, aumônier de la reine Marie-Thérèse en 1677 puis, après la mort de la souveraine, aumônier du roi Louis XIV (1683). Il a 30 ans. Introduit ainsi à la cour, avec une figure agréable et spirituelle, de nobles manières, un esprit cultivé, il se fait bientôt connaître et acquiert d'illustres et puissants amis, qui deviennent ses protecteurs. En 1686, il est abbé de Rivour dans le diocèse de Troyes. Le 1er novembre 1698, il est nommé évêque de Fréjus (sacré l’année suivante), petit diocèse frontalier avec le duché de Savoie, « par indignité divine » suivant ses propres termes. Bien que déçu dans ses ambitions, il se rend dans son diocèse conformément aux décrets du concile de Trente et s'occupe avec soin de ses ouailles. Prétextant des ennuis de santé, il renonce à son évêché en 1715 et devient peu après, aux fêtes de la Pentecôte 1715, abbé commendataire de l'abbaye Saint-Philibert de Tournus, qu'il gouvernera jusqu'à sa mort.
Dans le même temps, sur proposition du duc du Maine, son fils légitimé, et grâce à l'insistance de l'épouse de ce dernier, le roi Louis XIV aux portes de la mort, ajoute un codicille à son testament, confiant à l'ancien évêque de Fréjus l'éducation de son arrière-petit-fils et successeur. L’ambitieuse duchesse du Maine voyait en lui un instrument docile à sa volonté, si son mari, qu’elle dominait entièrement, obtenait la régence du royaume. Il n'en fut rien et la régence revint au duc d'Orléans, petit-fils de France. Celui-ci, qui connaissait et appréciait Fleury, le maintint dans ses fonctions. Comme précepteur, Fleury cherche avant tout à gagner l’amitié et la confiance de son élève, enfant triste et indolent. L’attachement de l’auguste élève pour son précepteur est réel.
En 1721, il est nommé abbé commendataire de Saint-Étienne de Caen tandis que le duc du Maine, oncle très aimé du jeune roi, victime des cabales de son épouse, est incarcéré à la forteresse de Doullens (Somme). Le 25 octobre 1722, Louis XV est sacré roi à Reims. Fleury tient le rôle d'un pair ecclésiastique.

Quatre ans plus tard, il est nommé Ministre d’état. Edmond Jean François Barbier note dans son journal : « L’évêque de Fréjus n'a pas le titre de premier ministre, mais il en aura presque le crédit, puisqu'il assistera à toutes les conférences que chaque ministre aura avec le Roi, et qu'il lui fera prendre le parti qu'il jugera à propos. »
Effectivement, le jeune roi, orphelin trop tôt, abandonne la totalité du pouvoir au cardinal de Fleury, le précepteur fidèle qui avait su capter son affection. Le cardinal dirige donc la France aux côtés du roi. La situation est alors inédite. C'est la première fois qu'un ancien précepteur de roi devient de facto Premier ministre. Louis XV, désireux de garder auprès de lui son mentor auquel il était profondément attaché, qui avait déjà des charges importantes et en qui il avait totale confiance, donne au cardinal de Fleury pourtant septuagénaire un pouvoir extrêmement étendu.
Contrairement à nombre de ses prédécesseurs, le cardinal est réputé ne pas avoir profité de son élévation au ministère pour s'enrichir ni favoriser ses proches. Voltaire dit de lui qu'il « fut simple et économe en tout, sans jamais se démentir. » Il se distingue par la modération de son train de vie. Sans fortune, Il dépense ses revenus commendataires en aumônes et se contente de ses appointements de ministre (20 000 livres). On est loin de ses prédécesseurs que furent Richelieu et Mazarin.
Le cardinal de Fleury gouverne avec prudence et sagesse. Les ministres et très proches conseillers du roi sont renouvelés et composé d'hommes plus jeunes qu'auparavant. Les changements sont nombreux, mais ensuite la période du ministère Fleury est marquée par une grande stabilité.
A l'intérieur, il rétablit le budget de l'État, stabilise la monnaie, reprend la politique de Colbert, pacifie dans la mesure du possible le problème janséniste. Il ne parvient cependant pas à entraver la montée de l'opposition parlementaire. Autour de l'année 1737, il mène une politique antimaçonnique et fait fermer plusieurs loges.
Sa politique économique reconstruit l'économie du pays, sinistrée à la suite des dérapages de la politique monétaire du régent et de son ministre-banquier John Law. Il crée les conditions du développement économique, scientifique, industriel des années 1728-30 à 1770. Avec les conseils avisés de Michel Robert Le Peletier des Forts, Fleury réforme le système monétaire, en rétablissant la livre, ce qui assurera la stabilité monétaire du royaume jusqu'en 1785.
Sa politique extérieure est marquée par une recherche de la paix et de la stabilité européenne. Il met un terme à la guerre de succession de Pologne. Par le traité de Vienne de 1738. En revanche, il se laisse entraîner par la puissance de l'opinion dans la guerre de succession d'Autriche dont il ne verra pas la fin.

« Son Éternité », surnom qu’il doit à son grand âge, meurt le 2 juin 1743, à 90 ans. Il se fait enterrer dans un tombeau somptueux dans l'église Saint-Louis-du-Louvre. Louis XV ne le remplacera pas. Les dix-sept ans de pouvoir de Fleury « délimitent dans le règne une période caractéristique et importante, tant pour l'extension du royaume et son rayonnement dans le monde et pour les affaires intérieures, que pour l'administration, la législation et l'économie. » (Michel Antoine, Louis XV, Fayard, ).